The Mindful Compass In French

Comment construire notre boussole de la pleine conscience. Une traversée riche et amusante de nos différents systèmes sociaux (French Edition) [Paperback]

Ms Andrea Maloney Schara (Author)

Introduction

Nous n’avons qu’à moitié conscience de notre façon d’être.
William James.

Nous appliquons à toutes nos relations les schémas relationnels que nous avons développés dans notre enfance pour nous conformer à notre famille parentale.

Nous reproduisons dans nos relations sociales et professionnelles les modes de fonctionnement que nous avons connus dans nos familles.
Murray Bowen.

Voici un ouvrage sur le thème du leadership, un leadership volontaire ou bien imposé. Ce livre élabore une boussole qui vous guidera dans la réalisation de vos objectifs. Nous aborderons également les grandes lignes de la théorie familiale systémique et nous parlerons de son fondateur le Docteur en Médecine Murray Bowen.

La conception d’une boussole pour votre leadership.
Vous avez peut-être en mémoire une époque où les problèmes jaillissaient de toutes parts et où vous étiez seul (e) pour tout prendre en mains. Si vous avez vécu une telle situation, vous êtes un leader désigné d’office. Vous pouvez par contre aimer faire bouger les choses et rivaliser avec ceux qui ont aussi cette passion, vous êtes alors un leader volontaire, un leader né.

Ce livre destiné à vous aider à améliorer votre leadership examinera ces deux types de leaders. S’ils n’ont guère de points communs, ils présentent chacun une vision personnelle de ce qu’ils veulent accomplir. Ils savent anticiper et parer aux problèmes susceptibles de se poser quand ils réaliseront leurs objectifs et ils savent canaliser leur équipe dans cette direction. Tous deux savent manager leur équipe et ils ne redoutent pas de devoir prendre seuls des responsabilités et des décisions.

La vision d’un leader et la façon dont il prend ses décisions lui sont dictées par une boussole intérieure qui le guide pour résoudre une situation problématique, réaliser un objectif ou introduire un nouveau concept. Nous avons tous en nous une sorte de boussole intérieure que nous consultons avant de prendre une décision. Mais est-elle bien réglée?
Et que savons-nous de notre boussole ? Si nous répondons « pas grand-chose », le moment est venu pour nous de développer une véritable boussole de la pleine conscience et d’accroître nos capacités à diriger. Nous pouvons aussi décider simplement de découvrir les points de notre boussole actuelle. Si nous réfléchissons à la manière dont fonctionne notre boussole, notre leadership en ressentira les bienfaits.

J’exposerai dans la suite de ce chapitre quatre points-clés de la boussole de la pleine conscience. Ces points récapitulent la façon de fonctionner de personnages qui sont devenus de bons leaders familiaux. Vous pouvez vous aussi construire votre boussole personnelle si vous savez observer votre façon de réagir dans votre premier système social que représente votre famille.
C’est dans ce contexte que nous nous construisons et vous savez peut-être que vous êtes toujours régi par les principes de vie de votre enfance. La solution est d’en prendre conscience afin que la boussole que vous construisez vous aide à gérer l’embrouillamini de vos systèmes sociaux.

Ce que vous puisez dans vos ressources vous sauvera, ce que vous cachez au fond de votre coeur vous détruira.
Le livre de Thomas.

La boussole adaptable.
Cet ouvrage a donc pour thème le leadership et il traite également de ces dirigeants autonomes qui ont pris le temps de réfléchir et de comprendre comment mieux fonctionner dans les systèmes sociaux complexes.

Un leader doit pouvoir mener une réflexion profonde. (Les recherches indiquent qu’il faut environ 10 000 heures d’ « entraînement » pour bien comprendre les systèmes basés sur des règles, le jeu d’échecs par exemple.) Mais nous vivons dans un environnement plus complexe de systèmes non linéaires. Combien de temps faut-il pour en « saisir » le fonctionnement ? Nous comprendrons mieux comment fonctionnent les hommes et les systèmes humains quand nous entendrons leur histoire. Celles que nous rapportent les leaders dans ce livre nous permettent d’en extraire les points révélateurs et de les examiner à l’éclairage de la boussole de la pleine conscience. Elle peut être fort utile toutes les fois qu’un dirigeant est impliqué dans un processus de réflexion ou de prise de décision.
Vous verrez par exemple qu’après avoir entendu l’histoire de chaque leader, j’expose leur réflexion selon les quatre points de la boussole. Mais sachez que ces points ne sont pas immuables. Une fois que vous aurez saisi le concept global de la boussole, vous souhaiterez peut-être supprimer ou ajouter certains points pour votre boussole personnelle. C’est vous qui décidez. La boussole aux quatre points cardinaux que je propose peut vous servir de modèle mental et j’espère qu’elle se révèlera efficace.

Soyez clairs. Dans les situations conflictuelles, soyez justes et magnanimes.
Ne soyez pas un dirigeant qui contrôle.
Faîtes le travail que vous appréciez.
Impliquez-vous pleinement dans votre vie de famille.
Lao Tzu

Rechercher les faits en entendant les histoires.
Nos cerveaux sont façonnés pour apprendre par les histoires. Les histoires sont universelles, elles captivent notre attention et nous enseignent. Les histoires que les dirigeants relatent dans ce livre révèlent les composantes de leurs capacités à diriger. Quand vous commencerez à élaborer votre boussole, vous vous appuierez sur l’histoire de votre enfance pour développer des compétences mieux ciblées. Mais je vous propose dès maintenant de prendre quelques minutes pour réfléchir aux nombreux siècles d’histoire de la culture humaine.

Certaines histoires très anciennes comme les mythes grecs ont permis aux gens de mieux comprendre la nature. Ils présentaient au peuple Grec une carte amusante pour expliquer les changements des saisons. Les explications n’étaient peut-être pas toujours très exactes mais elles avaient un effet apaisant sur les gens et les préparaient aux changements météorologiques. Elles étaient toutefois suffisamment justes pour servir de base à la science.

La science s’est progressivement éloignée du subjectif pour s’appuyer sur des faits vérifiables et répétitifs. Nous savons maintenant que l’hiver revient tous les six mois mais en ressentir les effets, la neige fraîche qui tombe, l’air frais, les frissons des descentes en luge, la chaleur d’un feu, c’est du domaine du subjectif.

Beaucoup d’histoires anciennes nous enseignent des principes de vie: résister à la vanité ; veiller sur ses dépenses ; prendre soin de son prochain ; rechercher la sagesse. Et puis il y a les personnages : prenons Alice au Pays des Merveilles dont l’histoire ne nous effraie guère. Nous tombons avec elle dans le puits, nous rencontrons les différents personnages étranges et cherchons le moyen de nous entendre avec. Nous résistons avec elle et nous tirons parti du chaos et de la confusion. Alice est un personnage fictif qui nous fait sourire et nous encourage à rechercher notre identité et à atteindre notre objectif. Le chat du Cheshire sera à nos côtés.

Dans son livre Consilience, The Unity of knowledge (1998), E.O Wilson souligne que les histoires peuvent nous aider à résoudre nos situations difficiles. Il part de l’hypothèse que l’attrait de l’homme pour l’art, la religion et les histoires permet à son cerveau de se dégager de ses comportements instinctifs rigides et programmés. Voici comment il traduit le besoin de subjectivité quand le cerveau rencontre défis, incertitude et confusion: « L’homme avait besoin de ritualiser et d’exprimer par la magie les multiples aspects de l’environnement, la puissance de la solidarité et d’autres forces essentielles à la survie et à la reproduction. »

Les histoires sont une forme d’art qui nous permet de transmettre plusieurs niveaux de connaissances. On peut identifier des forces connues et inconnues dans une réalité simulée. Nous apprenons beaucoup des histoires qui s’appuient sur notre vécu. Les histoires sont aussi des modèles mentaux qui nous proposent d’autres moyens de résoudre les problèmes complexes et déstabilisants.

Le professeur d’Harvard Steven Pinker et auteur de The language Instinct et de Words and rules assimile les histoires à des modèles mentaux. Et le livre de David Buss, Evolution : The New Science of the Mind fait un travail de recherche dans un nouveau domaine, la psychologie évolutionnaire. Cet ouvrage étudie comment les principes évolutionnaires façonnent l’esprit en favorisant l’imagination.

Annie Murphy Paul souligne dans son livre Le culte de la personnalité que la biographie est beaucoup plus fiable que n’importe quel test de personnalité plus en vogue. La biographie est également le moyen le plus fiable pour prédire l’avenir. Il existe en outre un lien indéniable entre la cohérence de l’histoire de l’individu et son bien être psychique.

Certains thérapeutes classent les récits biographiques par thèmes, comme la rédemption par exemple, tandis que d’autres y identifient des forces naturelles. Les thérapeutes systémiques familiaux permettent en outre à l’individu qui entend ces récits de reconstruire des relations au sein de son système familial.

Ce livre n’aborde pas l’aspect pathologique et j’espère qu’il vous aidera à mettre en valeur vos capacités naturelles à diriger en prenant conscience de votre histoire. C’est là qu’intervient votre boussole. Elle changera quand vous serez mieux équipés pour comprendre votre histoire. Plus vous saurez adapter votre boussole, plus vous expérimenterez des changements constructifs.

Je remercie tous les narrateurs dotés d’une grande imagination et d’une grande capacité d’adaptation qui m’ont partagé une part de leur histoire. Leur perspective et leur perspicacité m’ont considérablement aidée à comprendre comment les gens trouvent leur voie et leur courage et construisent des perspectives d’avenir en prenant des risques fondés basés sur leur connaissance des systèmes sociaux.

Je remercie aussi les nombreux personnages historiques célèbres dont l’histoire met en lumière ce que signifie être un dirigeant. La vie des maîtres spirituels comme Moïse, Jésus, Bouddha, Mahomet, et Soeur Térésa témoigne de l’impact des principes sur l’élaboration de la boussole. Si vous regardez leur histoire, vous découvrirez combien leur façon d’agir était étroitement liée à leurs valeurs. Nous nous sommes laissés guider et inspirer pendant des siècles par les principes qu’ils nous ont transmis par leur histoire.

L’expérience n’est pas ce qui arrive à l’homme mais ce qu’il en fait.
Aldous Huxley

Freud commençait aussi ses entretiens en écoutant les gens faire le récit de leur histoire. Il pensait aussi qu’on développerait un jour une véritable science du comportement humain malgré la dimension subjective du récit autobiographique. Il examinait comment celui-ci pouvait laisser présager des relations à deux. Le transfert (la relation patient/ thérapeute comme s’il était un proche, un père par exemple) et l’inverse (la relation thérapeute/patient comme s’il était un proche) font maintenant partie de notre culture et ont été exploités par Woody Allen et par bien d’autres pour souligner la vision déformée que nous avons de ceux qui nous sont chers. Pour Freud, l’essentiel était d’interpréter la signification profonde de l’histoire de la personne pour lui permettre d’accepter la banalité du quotidien. En résumé : rechercher le héros quotidien en soi et non chez l’autre. Accepter qu’il y aura des tensions et s’efforcer d’être réaliste. C’est un bon conseil qui s’applique également aux dirigeants.

L’étude du comportement humain prendra une dimension plus scientifique quand on pourra davantage prédire l’avenir avec des faits répétitifs et vérifiables. Mais les histoires permettent pour l’instant de mettre l’accent sur les conceptions plus abstraites du comportement. J’espère que nous apprécierons d’entendre celles des autres, qu’elles nous enseigneront et nous prépareront aux changements de notre monde en perpétuelle évolution.

Nous sommes tellement bombardés d’informations que nous devons trouver un moyen de faire le tri parmi ce qui est important. C’est pourquoi je vous donne quatre dimensions (quatre points cardinaux) que vous pourrez prendre en compte dans votre analyse des histoires. Ces quatre points s’inspirent de ce que j’ai découvert en étudiant la théorie systémique de Bowen et en écoutant ensuite les gens raconter leur histoire. En tant que thérapeute, c’est à cela que je me suis formée pendant ces trente dernières années.

La théorie systémique familiale.
Les dirigeants que j’ai interviewés dans ce livre n’étaient manifestement pas des patients et ils ne connaissaient pas la théorie systémique familiale, mais presque tous étaient conscients de l’impact de leur famille sur leur réussite professionnelle. (Et je savais que leur histoire serait profondément révélatrice de l’esprit humain). Ils souhaitaient également prendre part à un projet qui honorerait les familles. Chaque histoire révèle un certain niveau de fonctionnement et chacune nous apprend comment un leader acquiert solidité et maturité. Pour vous mettre sur la piste, je citerai simplement l’un des concepts de Bowen auquel j’adhère particulièrement.

Le soi solide s’exprime ainsi dans une situation donnée : «Voilà ce que je suis, ce que je crois, ce que je soutiens, ce que je veux faire ou ne pas faire ». Un tel soi est construit à partir de croyances et de convictions, d’opinions et de principes existentiels clairement définis. Chacun d’eux est incorporé dans le soi à partir de sa propre expérience de la vie, après un raisonnement intellectuel et après avoir soupesé le pour et le contre et accepté la responsabilité de son propre choix.

Le pseudo soi s’acquiert sous la pression de l’émotion. Toute unité émotionnelle, que ce soit la famille ou la société toute entière, exerce en effet une contrainte sur les membres du groupe pour se conformer à ses idéaux et à ses principes. Le pseudo soi est un soi de « vitrine ». Il s’acquiert pour se conformer à l’environnement ou le combattre et il n’en prétend pas moins être en harmonie avec toutes sortes de groupes sociaux, partis politiques, groupes religieux ou institutions sociales hétéroclites. Le pseudo soi est donc un acteur et il peut jouer de nombreux soi différents.

La répartition des leaders sur une échelle en fonction de leur maturité.
A une extrémité de l’échelle se situent les despotes immatures et à l’autre les leaders sensés et bien différenciés, davantage préoccupés d’atteindre leurs objectifs en s’autogérant dans les relations qu’en se limitant à donner des ordres. Dans l’ancien système économique, les dirigeants avaient des raisons d’exercer leur autorité pour que le travail soit « bien » fait. Mais ce n’est plus le cas. Maintenant que le capital intellectuel devient le besoin fondamental de l’économie moderne le leader doit faire en sorte de responsabiliser les individus. Les leaders actuels doivent pour cela faire preuve de sagesse et d’une certaine maturité émotionnelle pour discerner comment fonctionnent les relations et prendre part à la résolution des problèmes en s’autogérant plutôt qu’en obligeant les autres à les suivre.

Le leader qui n’apprend pas à bien fonctionner dans un système social s’expose à des risques. S’il manque de maturité émotionnelle, il risque par exemple de prendre trop à cœur les comportements des autres. Il aura tendance à faire porter le blâme sur l’autre ou tombera dans la colère ou la déprime. C’est la porte ouverte aux émotions négatives, l’angoisse monte dans le groupe ou le système social et toutes sortes de symptômes et de comportements étranges peuvent apparaître.

Mais un leader mature qui s’appuie sur sa boussole est mieux préparé aux dynamiques systémiques qui peuvent se mettre en place et sera donc plus apte à prendre des mesures dictées par la réflexion plutôt que par les émotions.

La prise de conscience du soi n’est possible que si l’individu est productif, s’il peut réaliser lui-même son potentiel.
Goethe

Des trésors de sagesse que nous transmettent les leaders :
1. L’individu est influencé dans son quotidien par ses anciens modes de fonctionnement qui conditionnent son système familial et son environnement professionnel.
2. S’il se laisse dicter par ses émotions, il risque de s’engager sur une voie hasardeuse et trouble.
3. Le leader qui s’appuie sur ses principes prendra moins facilement position et exercera donc une influence apaisante sur le groupe.
4. Les membres d’un système sont conditionnés de telle sorte qu’un seul change à la fois.
5. Il faut être ferme pour rester sur ses positions quand on travaille à développer de bonnes relations avec ceux qui manifestent leur opposition.
6. Les leaders moins matures essaient souvent de contrôler les autres en méprisant les capacités de ces derniers à résoudre les problèmes. Ils finissent par les contrôler par la peur. Ca peut marcher, sauf pour les entreprises qui ont besoin d’un capital intellectuel.

C’est à vous de refléter le changement que vous voulez voir se réaliser dans le monde. –
Mahatma Mohandas Gandhi.

Les leaders responsables et l’aveuglement émotionnel.
A l’origine, les leaders plus matures étaient pour moi des visionnaires car ils étaient capables de comprendre le fonctionnement des systèmes. Mais j’ai découvert qu’ils ne s’arrêtent pas là. Ils agissent. Ils gèrent leur soi. Et ils examinent toujours quelle est leur part de responsabilité dans la situation problématique.

J’ai constaté que leur histoire tourne autour de leur responsabilité personnelle et de ce qu’ils feront ou ne feront pas pour rester fidèles à leurs convictions. En fait, c’est leur détermination à assumer leur responsabilité personnelle qui les différencie des individus qui portent des œillères émotionnelles.

Ces derniers sont souvent avides d’amour et d’approbation, de richesse et de pouvoir. Ils manipulent leurs relations ou leurs systèmes pour obtenir ce qu’ils veulent et satisfaire leur seul intérêt personnel. Ce qui les rend particulièrement dangereux, c’est leur aveuglement sur leurs mobiles et leurs actes véritables.

Comment définir un leader mature ? Ceux que j’appelle ainsi ne font pas nécessairement la une de vos journaux. C’est peut-être votre voisin, le directeur du service de police, le chef scout, la directrice du cabinet d’avocats ou l’employé communal de votre village. Peu importe, ce sont des gens qui ont appris à fonctionner de manière autonome, à se démarquer dans les relations et à donner en retour à leur entourage. Ils ont accordé une grande valeur aux relations importantes.

Ils n’ont pas nécessairement un QI très élevé. Ils sont sans aucun doute intelligents mais avant tout bien différenciés, ouverts aux opinions d’autrui, bien au clair avec eux-mêmes et capables de tirer partie de leurs erreurs (et prêts à les admettre). Ils attirent les autres à eux car ils leur accordent l’espace et le temps dont ils ont besoin pour évoluer et arriver à maturité.

J’ai expérimenté que le leader a souvent appris très jeune au sein de sa famille à intégrer ses sentiments à ses principes profonds. Ce peut être aussi dans une relation proche avec un mentor, un professeur par exemple, un coach, un conseiller d’éducation ou toute autre personne avec qui il a une relation suivie.

Vous pouvez apprendre à intégrer vos sentiments à vos principes quand vous commencez à relater votre histoire et à construire votre boussole. Vous êtes alors capable de comprendre les problèmes de nature émotionnelle tout en fondant vos décisions sur vos principes, et en vous y tenant même malgré les oppositions.

Les leaders matures peuvent commettre des erreurs comme nous tous. Ils peuvent aussi être trop ou pas assez réactifs. Ils savent par contre tirer partie de leurs erreurs et progresser. Ils savent combien il est déterminant pour transmettre une vision de s’efforcer de bien comprendre les autres. L’essentiel n’est pas seulement d’être visionnaire mais de travailler sur son identité et son relationnel.

Approfondir son savoir.
Comme je le disais précédemment, j’ai été conduite dans mon métier à écouter pendant des années les gens me raconter leur histoire et à étudier comment les leaders émergent des familles. Au début, chaque histoire personnelle était pour moi une mine d’or potentielle. Je savais que chaque individu avait une grande valeur personnelle mais j’avais besoin d’effectuer un sérieux travail de réflexion pour trouver comment l’exploiter.

J’ai fini par comprendre que je devais identifier les domaines où trouver cet or. Et j’avais besoin pour cela d’une boussole. J’avais suivi une formation sur la théorie comportementale qui reposait sur huit concepts. Il me fallait donc condenser ces huit points sur les quatre points de la boussole. Je me disais que cette boussole pourrait conduire les individus aux prises avec de grandes difficultés à faire des découvertes susceptibles de changer radicalement leur vie.

J’ai développé le premier point en me demandant si les dirigeants se fient toujours à leur vision personnelle de leurs objectifs. Cette vision est-elle l’élément majeur de leur leadership ? Ou bien est-elle simplement un guide pour le leader qui commence à développer sa mission personnelle ?

Pour le second point, j’ai commencé à réfléchir à ce qu’un leader fera avec sa vision une fois qu’il l’aura formulée et comment il gèrera les oppositions. Quelles sont les influences qui font obstacle ? Que faut-il savoir sur les forces d’opposition naturelle ? Quand les problèmes affluent (ils sont souvent inévitables), comment un leader peut-il les gérer de manière constructive ? Finalement, puisque personne ne souhaite tomber dans un terrier comme Alice (à moins d’être excessivement bien payé pour ce sacrifice), que devons-nous donc savoir sur la nature des forces de régression sociale?

Le troisième point concerne le développement des relations. Les dirigeants sont appelés à savoir travailler avec les autres et j’ai compris qu’une bonne connaissance des systèmes sociaux leur est indispensable. (J’ai compris aussi que je ne pouvais guider personne en tant que thérapeute si je ne savais pas m’autogérer dans mes relations aux autres. J’ai donc commencé par effectuer un travail de recherche sur mon propre système familial. J’ai pu ainsi dissocier mon vécu de celui de mes patients et leur raconter tout un tas d’histoires amusantes sur mes échecs et mes succès mitigés).

La réflexion sur les relations exige une certaine indépendance émotionnelle, et cette capacité à être soi-même constitue le quatrième point. Pour gérer l’opposition de ceux qui nous sont chers et de nos collègues de travail, on a besoin d’être fondamentalement distinct des autres pour rester profondément et fidèlement engagé dans ce qu’on est « résolu à faire ou ne pas faire ». Si tout ce que vous entreprenez est pour l’autre, vous perdez de votre soi ou vous êtes désorienté.

Voici donc les quatre points de la boussole de la pleine conscience.
• La capacité à définir une vision.
• L’opposition au changement en soi et/ou dans tout système, ou l’avalanche de problèmes auxquels vous vous exposerez en définissant votre identité ou votre vision face à l’autre.
• La capacité à communiquer et à comprendre l’histoire des relations dans un système et l’impact qu’elle exerce actuellement sur vous.
• La capacité à être soi-même tout en restant engagé dans les relations proches.

Après quelques années difficiles pendant lesquelles j’ai du faire face à certains problèmes familiaux, j’ai fini par trouver ma voie. Il m’arrive encore de faire des faux pas. Mais cela m’a fait du bien de découvrir que je pouvais me fonder sur les concepts de la théorie de Bowen. Je les ai expérimentés et je les ai transmis à mes patients. Je les ai maintenant peaufinés et vous exhorte à les examiner pour vous-mêmes. J’espère que l’optique et les histoires de ce livre profiteront à ceux d’entre vous qui sont résolus à développer leurs capacités à diriger.

La boussole et le quotidien.
Outre la sensibilité à ces quatre points, j’ai découvert au cours des années que les leaders matures ont deux atouts. Le premier est la méditation d’attention, ou la sensibilisation à l’incident et à ses conséquences sur l’avenir. Le deuxième est la capacité à apprendre par tâtonnements et à accepter ses erreurs. Ces deux atouts sont nécessaires à celui qui veut se servir de la boussole de la pleine conscience pour se diriger dans n’importe quel système social.

Une théorie systémique du comportement humain tente de considérer les forces qui affectent nos vies comme impersonnelles. Un tel point de vue objectif peut permettre aux gens de trouver une issue à travers les obstacles relationnels qui font fuir à toutes jambes la plupart des gens sensés. Le but est de vous faire dépasser votre investissement personnel dans les résultats.

Je ne dis pas que c’est un processus facile. Nous sommes tous confrontés malgré nous à des problèmes. Certains d’entre nous savent spontanément jouer la bonne carte, d’autres doivent se former, d’autres enfin abandonnent. Nous savons maintenant que l’une des solutions consiste à nous laisser guider par une boussole.

Les leaders qui nous partagent leur histoire dans ce livre ont eu la gentillesse de dialoguer ouvertement avec moi et le courage de partager leurs découvertes avec le grand public. On en a besoin pour étudier le comportement humain de manière plus factuelle. Les connaissances du comportement humain qui apparaissent en psychothérapie resteront toujours confidentielles, et on ne peut donc pas s’y référer. Ce sont des connaissances un peu contrefaites. Il nous faut donc passer outre la psychothérapie et réunir des récits personnels révélateurs de la condition humaine qui nous orientent davantage vers une science du comportement humain.

J’ai rassemblé des gens d’horizons divers pour souligner l’importance pour tous ceux qui occupent une position de dirigeant de savoir qui ils sont et comment ils peuvent gérer les relations. Peu importe ce qu’ils font, le paysage de notre monde en évolution nous oblige à bien « voir » pour bien »agir ».

J’ai regroupé les entretiens en trois chapitres pour que le lecteur découvre l’histoire de l’individu ainsi que son dialogue avec l’interviewer. Le premier chapitre met en scène quatre hommes : un entrepreneur, un conseiller au gouvernement et aux affaires, un membre de la sécurité intérieure et un ancien chef de police qui occupe actuellement le poste de maire.

Le second chapitre présente le seul couple que j’ai interviewé ainsi que l’histoire de trois femmes : C’est un couple qui était dans les affaires et qui se consacre maintenant au service public. L’une des femmes est conseillère en politique et la troisième est l’ancienne vice présidente d’une importante société Internet.

Le troisième chapitre présente le récit d’un directeur d’école retraité et d’un gestionnaire de fonds de placement qui ont pris des voies différentes à la suite du décès de leur père.

Je suis reconnaissante aux dix personnages de ce livre qui nous ont partagé aussi factuellement que possible l’impact de leurs relations sur leur vie et leur carrière.
1. Jim Walsh est un ancien directeur publicitaire qui s’est installé à Hawaii en 1986 et qui détient maintenant la société Hawaiian Vintage Chocolate. Il se consacre à la production du meilleur cacao du monde, selon un procédé basé sur la génétique, et il a découvert comment exploiter un environnement particulièrement productif. Son histoire tourne autour de la perte subtile et précoce de son identité. Le moment et la manière dont un enfant apprend son adoption influent considérablement sur le cours de son existence. Walsh a appris la nouvelle quand il avait huit ans. Il a voulu connaître la vérité et il a compris qu’en rassemblant des informations sur son adoption, il pouvait construire son identité et sa vie. Il s’est heurté en grandissant à l’autorité et à l’opposition de ses parents quand il voulait réaliser les objectifs qu’il avait à coeur. Ses expériences l’ont aidé à développer son esprit d’entreprise. Il a su préserver son identité et ses talents et surmonter l’opposition. Au moment où je vous présente son histoire, il est poursuivi en justice pour avoir résisté à la pression d’un ancien associé qui voulait l’obliger à s’aligner sur ses attentes et ses ambitions.
2. Art House dirige la société Meridian Public Affairs qui propose aux sociétés Américaines des stratégies de communication et des services aux affaires publiques. Il est l’ancien doyen adjoint de l’école Flechter School of Law and Diplomacy à Tufts University, ancien membre de direction de la banque mondiale (1971-1975) et membre stagiaire de la Maison Blanche (1975-1976). House a été également officier des projets spéciaux au Conseil National de Sécurité. Il est issu d’une famille qui l’a orienté vers la fonction publique. Il n’a pas eu de mal à s’identifier à ses parents et à suivre leur exemple. Mais les circonstances l’ont mis très vite à l’épreuve. Sa fermeté devant ses compagnons d’études qui voulaient lui imposer un système de valeurs qu’il ne partageait pas a profondément marqué ensuite son management. L’isolement affectif qu’il a vécu pendant quatre ans pour défendre ses valeurs lui a valu plus tard la fermeté nécessaire pour soutenir son point de vue face à la pression croissante, sans tomber dans le piège de la vengeance réactionnelle ni de la colère. C’est un enseignement fondamental que tout leader devra mettre en pratique s’il veut préserver son étoffe de chef.
3. Gary Rasnick, directeur central associé à CBS Défense, The Center for Homeland Security au Los Alamos National laboratory (Laboratoire National de Los Alamos) a d’abord affirmé ne voir aucun lien entre ses relations familiales dans son enfance et la suite de son existence. Mais son esprit scientifique lui a permis d’entrevoir une passerelle éventuelle en prenant conscience qu’on apprend beaucoup sur les relations en identifiant ce qui ne marche pas et en imaginant une autre voie. Son accent sur l’ouverture et l’intégrité témoigne d’un leader qui comprend profondément ses responsabilités à l’égard de ses subordonnés.
4. Robert Duffy, ancien chef de police de Rochester dans l’état de New York et actuellement maire de cette ville, nous raconte comment il a appris à rester fidèle à ses principes, aux conseils de sa mère. Duffy nous présente l’une des meilleures illustrations de l’influence de la famille nucléaire sur un cerveau en plein développement et de l’importance de prendre en compte les trois générations d’influence.
5. Ned Powell, directeur de l’USO, (l’Organisation pour les soldats dans l’Armée Israélienne),
6. et sa femme, Diane, ancien vice président de NBC, ont souligné combien les relations familiales ont nourri leur désir de s’impliquer dans la communauté. Leurs familles respectives leur lançaient quelques défis et même une ou deux répliques s’ils s’éloignaient un temps soit peu de leurs attentes. (Il est intéressant de voir aussi comment deux individus occupant des postes aussi élevés peuvent faire carrière tout en préservant leur mariage.)
7. Ladonna Lee explique comment l’influence de son père a déterminé son choix de carrière politique et nous partage sa tentation momentanée de s’engager d ans une autre direction.
8. Géraldine MacDonald, directrice retraitée du Global Access Networks (réseau d’accès mondial) chez AOL, raconte comment son père l’a encouragée à privilégier les sciences et les mathématiques à l’approbation de ses pairs, et elle insiste sur l’importance des relations pour définir un soi solide et donner la mesure de son talent malgré l’opposition. Il est intéressant de s’interroger sur le fait que la sensibilisation de sa famille aux changements politiques (fin 1930 et début 1940, et quand ils ont pu quitter l’Europe) a probablement contribué à aider MacDonald à discerner et à prédire les directions critiques dans son entreprise.
9. Bob Diflorio, directeur d’école retraité à Syracuse, état de New York, est issu d’une famille Italienne aux solides valeurs familiales. Son père est mort quand il avait six ans et son plus jeune frère deux ans. C’est Diflorio qui s’en est occupé tandis que les quatre autres enfants plus âgés travaillaient pour aider leur mère. Les valeurs familiales de cette famille l’ont vraiment aidée à surmonter des périodes très lourdes. Nous verrons aussi comment l’importance que sa famille accordait à la confrontation directe a aidé Diflorio à travailler avec le maire et d’autres directeurs d’école pour faire avancer son projet.
10. Steve Waite, directeur financier dans le domaine de la nanotechnologie et producteur musical, explique que son père l’a encouragé à réaliser sa passion au lieu de rester dans un emploi très bien payé qui lui assurait la sécurité financière. La mort de son père a été un tournant dans sa vie et l’a obligé à faire le choix de ce qui importait vraiment pour lui.

Je suis très honorée et reconnaissante d’avoir joué un rôle dans les récits autobiographiques qui peuvent vous aider à élaborer votre boussole.

Chapitre Un- Les oeillères relationnelles et le système social

J’ai réalisé avec le recul que les écrits de Lancelot Law Whyte (L’inconscient selon Freud), avaient contribué à la formulation de ma théorie sur le rôle primordial du développement de la prise de conscience dans le processus d’évolution.
John B. Calhoum (31 Mars 1973)

Les systèmes sociaux et les dynamiques relationnelles
Tous vos rêves, vos objectifs et vos ambitions prennent naissance dans un système social. Pour bien fonctionner dans un système social, pour réaliser des objectifs précis, il faut savoir repérer les relations difficiles. Cette sensibilisation aux dynamiques relationnelles est la clé d’une bonne gestion du système familial ou professionnel. Mon objectif est de vous équiper d’un plan et d’une boussole facile à utiliser pour vous aider à construire votre conscience relationnelle et votre autogestion personnelle.

Les leaders véritables méritent bien leur titre. Ils sont déterminés à rechercher le meilleur mode de fonctionnement dans leur système familial, professionnel ou strictement social. Ils sont pragmatiques, ils sont conscients de l’évolution du monde et de la nécessité de faire face quotidiennement à de nouveaux défis. Ces dirigeants ont à cœur d’apprendre et remettront en cause tout aveuglement psychologique qui les empêchera de faire en sorte que le travail soit accompli. J’ai une bonne nouvelle pour ces leaders et pour ceux qui veulent le devenir : en devenant attentif aux dynamiques relationnelles on rencontre des défis mais on se régale aussi.

Pour découvrir les dynamiques relationnelles, il faut se placer en observateur attentif de soi et des autres. Il faut aussi connaître un peu le fonctionnement des systèmes sociaux et la manière dont on est « câblés les uns aux autres » en tant que petit groupe ou espèce humaine. Nous faisons partie intégrante de nos systèmes sociaux qui sont tous conditionnés pour détecter et réagir aux moindres différences des uns ou des autres. Nous sommes en fait très préoccupés par ce que les autres pensent, ressentent, ou même rêvent. C’est assez facile à comprendre. Il est déjà plus difficile de réaliser que tous les systèmes sociaux, même ceux qui se limitent à deux ou trois personnes, ont une mémoire. Cette mémoire peut réveiller des souvenirs de longue date et déclencher des réactions parmi les membres du système.

Les souvenirs du passé anticipent l’avenir en déclenchant une réponse émotive automatique à la moindre menace perçue par l’individu. L’amygdale du cerveau ne pense pas, elle réagit simplement. Et il est vrai que nous n’avons pas toujours le temps de réfléchir avant de réagir. Nos réponses émotives sont conditionnées et nous pouvons nous affecter mutuellement. Certains disent que les autres peuvent agir sur nous et sur nos réactions, et c’est vrai. Mais nous sommes moins sensibles à notre entourage si nous savons où nous voulons aller et si nous nous appuyons sur notre boussole.
D’un autre côté, notre sensibilité affective nous permet de faire de grandes découvertes à partir de quelques faits. Nous pouvons mettre de l’ordre dans nos expériences et étendre nos connaissances au-delà de notre soi. Nous pouvons ensuite en faire bénéficier les futures générations en leur partageant des histoires qui leur parlent. Nous pouvons tirer partie de notre réflexion sur notre vie et sur celle des autres. Nous pouvons aussi étudier différentes branches de la psychologie pour apprendre comment fonctionnent les systèmes dans bien d’autres domaines.

Voici donc les pistes que je vous propose. Mais n’oubliez pas qu’il y a des obstacles et j’en ai déjà mentionné un : le cerveau humain est conçu de telle sorte que les souvenirs du passé le poussent à réagir automatiquement à ce qu’il perçoit comme un danger. En outre, notre cerveau n’aime pas trop se fatiguer et nous avons donc tendance à fonctionner au radar, ou dans un état d’aveuglement relationnel. C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose.

Les systèmes non linéaires et la re-programmation du cerveau
Puisque nos cerveaux sont conçus de telle sorte que beaucoup de faits fondamentaux des dynamiques relationnelles leur échappent, nous pouvons avoir du mal à prendre du recul pour bien saisir comment fonctionnent les systèmes sociaux. Il est donc nécessaire de trouver le moyen de sensibiliser l’individu à ces dynamiques relationnelles.

Nous avons des cerveaux qui fonctionnent selon le principe de causalité et qui se contentent de réponses et de solutions simples et rapides. Sachant combien ils aiment ménager leurs forces, pourquoi ne chercheraient-ils pas à expliquer simplement le fonctionnement des relations ? Mais si certains pensent que nous vivons dans un petit univers linéaire où les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, c’est tout à fait irréel. Il va donc sans dire que les systèmes sociaux et les dynamiques relationnelles ne sont pas obligatoirement linéaires ni causals et c’est pourquoi il est si difficile de les expliquer.

Murray Gell-Mann, membre éminent de l’Institut de Santa Fe dans le New Mexico, dit que chacun vit dans une marée de dynamiques systémiques non linéaires. Il compare la complexité de l’apprentissage d’une langue par un enfant à celle des bactéries pour résister aux médicaments. Et James Gleick énonce dans son livre écrit en 1988, Chaos, The Making of a New Science, les concepts de Mitchell Feigenbaum et son « effet papillon ». Il révèle que les incidents les plus banaux comme le battement des ailes d’un papillon dans un jardin peuvent avoir des effets considérables et imprévisibles sur une espèce en vie comme la nôtre. Dans les systèmes non linéaires, les effets anodins peuvent prendre des proportions démesurées.

On ne peut véritablement pas prévoir les conséquences d’un évènement ou d’une décision en se fondant sur une approche purement linéaire. L’ouragan Katerina en est une excellente illustration. Nombreux sont les habitants de la Gulf Coast qui se sont fiés à leurs expériences et ont cru pouvoir surmonter cette terrible tempête. Certains ressentaient même une certaine excitation à l’idée d’assister au spectacle que Mère Nature allait leur présenter. D’autres pensaient qu’ils pourraient si besoin s’enfuir sans problèmes à la dernière minute. Mais il en a été tout autrement. Le passé n’anticipe pas toujours l’avenir. Les conséquences peuvent s’avérer catastrophiques si nous appliquons le principe de causalité à la marée de systèmes dans laquelle nous vivons et travaillons.

Il n’y avait pas de fond musical pour égayer la situation quand nous regardions jour après jour les dirigeants prendre des décisions rapides et peu réfléchies. Rappelez-vous ces routes couvertes de monde dans un sens et désertes dans l’autre. Rappelez-vous ces caravanes. Les habitants de la Nouvelle Orléans avaient désespérément besoin d’emplacements pour s’installer. Mais les services locaux n’ont pas pu répondre à la solution que proposait le gouvernement. Les caravanes ont passé d’interminables mois dans le Kansas en attendant de pouvoir entrer à la Nouvelle Orléans, où elles ne sont pas autorisées ! L’ouragan Katerina illustre combien les systèmes humains peuvent agir bien différemment de ce qu’on aurait espéré.

Je ne dis que la pensée par cause et effets soit à bannir. En fait, elle est efficace dans un grand nombre de situations à court terme. Quand je me coupe, je mets un pansement, c’est tout. Mais la question se pose en cas d’évènements inhabituels ou de gros problèmes. Le principe de causalité nous propose en fait des données peu fiables pour résoudre les difficultés à long terme. Les systèmes sont très complexes. Si on pouvait observer un instant le fonctionnement du système dans sa globalité, on passerait outre la pensée à court terme, le jugement et l’accusation. On verrait comment un évènement ou une décision engendrent bien d’autres changements et on élaborerait un plan solide pour l’avenir.

Les conséquences du mode de pensée par causes et effets s’observent dans bien d’autres domaines. Lisez la rubrique financière de votre journal. On constate les effets de la tendance à se focaliser sur les bénéfices à court terme au détriment d’un équilibre durable. C’est une réalité au quotidien : l’enfant ment à sa mère (sachant qu’il finira par être découvert et puni) ; on trompe son conjoint (c’est nuisible pour une relation à long terme). Les objectifs à court et à long terme s’opposeront toujours. Mais la pensée à long terme facilite l’adaptabilité de celui qui projette de rester un certain temps dans le même système de relations.

Nous savons que les leaders dignes de ce nom sont à la fois capables de renoncer à leur satisfaction immédiate (de résister aux honneurs à court terme) et d’examiner la situation dans son ensemble. La question est de savoir si cette façon d’agir est innée ou si chacun peut élaborer une approche globale de la situation et modifier ainsi son fonctionnement automatique à court terme pour de meilleurs résultats. Soyons optimistes et disons qu’on peut apprendre et changer. Comment préparer alors notre cerveau à une autre approche plus globale et à comprendre comment fonctionnent les systèmes humains figés ?

Les aveuglements relationnels et le développement d’une vision personnelle du monde.
En fonction de nos expériences et de nos croyances, nous avons tous nos propres schémas sur le fonctionnement des relations. Mais sont-ils exacts ?

Nous sommes peu nombreux à croire encore à la platitude de la terre mais beaucoup y ont cru autrefois et nous savons que nous sommes toujours prêts à admettre de fausses croyances. Ne serait-il pas plus simple d’accepter les choses telles qu’elles sont, comme quand nous étions jeunes, sans tout remettre en question et tout analyser ? Mais l’école de la vie nous a enseigné à développer un esprit critique. Souvenez-vous de l’ouragan Katerina. On est confronté de plus en plus souvent à des problèmes difficiles à résoudre. Nous devons nous adapter, faire travailler notre cerveau et nous débarrasser des œillères relationnelles qui nous empêchent de voir la situation dans son ensemble.

Je sais qu’il est très difficile de voir au-delà des normes culturelles ou de l’autorité familiale (ou même étrangère). Je sais aussi que Mère Nature nous a doté de ces œillères relationnelles pour une bonne raison. Aussi, avant de commencer à les enlever, laissez-moi vous en expliquer l’un des avantages essentiels. « Voir la réalité, » ça coûte et les œillères nous simplifient la vie. Elles nous placent sur pilotage automatique pour accomplir les tâches ordinaires sans être toujours attentifs et vigilants quant aux éventuels dangers et sans chercher continuellement des solutions aux problèmes que nous rencontrons. La capacité d’attention exige beaucoup d’énergie.

Ceci étant, il serait bon par moments d’ôter ces œillères pour observer les merveilles de la complexité, des habitudes, les contextes subtils et l’influence primordiale des processus relationnels. Nous vivons souvent dans l’angoisse parce que nous faisons porter la responsabilité des problèmes sur quelqu’un, ce qui n’est pratiquement jamais le cas. C’est ce que nous constaterons en ôtant un instant nos œillères et nous découvrirons l’action réciproque exercée par différents éléments du système apparemment isolés. Alors, que nous reste-t-il à faire ?

Soyons un peu plus personnels. Les préférences sociales
Nous pouvons être plus personnels. Pour vous donner un aperçu sur votre mode de fonctionnement dans un système social, prenez un peu de recul et posez-vous quelques questions :

(1) Dans quelles mesures les positions que je prends se fondent-elles sur mes réactions aux gens et aux évènements dans mes systèmes sociaux ?
(2) Suis-je fidèle à mes principes existentiels malgré l’opposition de ceux que j’aime ?
(3) Quand les gens sont mécontents, suis-je capable de cultiver de bonnes relations avec les différents clans de mon groupe sans prendre partie?

Cette troisième question mérite une explication. Si vous êtes comme moi, vous avez plus souvent pris parti et écouté les cancans que vous n’avez essayé de prendre du recul pour analyser la situation. Il est vrai qu’on ne recherche pas vraiment la compagnie de ceux qui ne semblent pas nous soutenir. Mais je pense que vous apprendrez comme moi qu’en prenant parti pour quelqu’un, on contribue à accroître l’intensité émotionnelle du groupe sans résoudre le problème. Et cela ne contribue pas à bien vous adapter à des situations plus complexes.

Votre refus de prendre position augmente la tension dans le groupe et vous isole. (C’est en général le sort du cow-boy, seul et mal aimé). Mais le fait de vous démarquer vous permet d’observer ce qui se passe et donc de résoudre beaucoup mieux les problèmes. Et vous n’êtes pas obligé de vous résigner au point de vue de l’autre pour apaiser les tensions. Vous avez également le privilège de pouvoir observer comment s’adaptent les autres membres du groupe sans avoir à les aider à prendre les bonnes décisions.

Nous nous prononçons souvent en fonction des commérages de bureau ou des rumeurs qui circulent dans nos systèmes sociaux, sans nous préoccuper véritablement des faits. On soutient donc fatalement les personnes dont on a le plus besoin, sachant qu’on aura moins de mal à les convaincre. Il semble que nous sachions naturellement et spontanément qui fréquenter et qui éviter. Mais ceux parmi vous qui aspirent à un leadership digne de ce nom seront attentifs à cette faiblesse (qu’on peut appeler préférence sociale) et privilégieront les faits aux alliances spontanées à l’intérieur du système social. J’espère que vous n’aurez pas trop de mal à prendre conscience des rumeurs qui circulent dans le système social et à préserver votre identité tout en restant engagés dans vos relations. Ceux qui veulent y voir plus clair pour développer leurs capacités à diriger sauront qu’avant de prendre une décision importante, ils doivent toujours analyser la cohérence des preuves qui les ont conduits à voir les choses sous un certain angle, et la manière dont leur système social est câblé est un élément clé.

D’autres questions personnelles
Quand vous vous préparez à prendre une décision, vous posez-vous les questions suivantes ?

(1) Quels avantages y a t-il à suivre telle ou telle direction ?
(2) Qui va me contester et pour quels motifs ?
(3) Avec qui puis-je m’allier?
(4) Qu’est ce qui me pousse à effectuer ce changement ?
(5) Ai-je bien réfléchi aux conséquences possibles, même si cette décision comporte peu de risques ?

Ces questions constituent avec bien d’autres les bases d’un processus de prise de décision réaliste dans un système social rigide.
Maintenant que nous savons un peu comment fonctionner dans un système social, arrêtons-nous sur une question plus profonde : Comment nous appuyer sur nos expériences passées pour découvrir et stimuler à nouveau notre savoir-faire relationnel? La réponse brève, ce sont les « histoires ». Et voici la réponse plus détaillée.

La richesse cachée des histoires
L’individu qui cherche à comprendre un système ou même une autre personne est certainement capable de se souvenir des récits autobiographiques et peut-être même de les rassembler. Les histoires nous enseignent. Nous pouvons distinguer les personnages principaux, ce qui les a aidé à prendre de bonnes décisions et ce qu’il advient des personnes fragilisées par les émotions. Shakespeare, par exemple, savait à merveille attirer notre attention sur la difficulté des gens à analyser attentivement les conséquences relationnelles de leurs décisions.

Les histoires ont toujours été un moyen de mettre en valeur ce que nous estimons important et de le transmettre ensuite, ce que nous faisons depuis des milliers d’années. Peut-être ne sommes-nous plus à l’âge de pierre parce que nous avons fini par savoir raconter notre histoire.

Nos cerveaux aiment les histoires. Elles abondent de faits réels et imaginaires et révèlent souvent les liens entre les évènements. Au lieu de vous focaliser sur un wagon du train, vous pouvez monter à bord, profiter du voyage et vivre l’excitation de la découverte de soi. Les histoires nous présentent une succession d’évènements plutôt qu’une simple relation de cause à effet. Les évènements ont bien sûr une cause. Pour justifier un acte interdit, on dira peut-être : « c’est le diable qui m’a poussé ! »Mais ce n’est pas vraiment suffisant. C’est plus compliqué que ça. Pourquoi le diable était-il un ange déchu et quelles leçons devrions-nous en tirer ? Il y a autant de réponses à cette question que de religions. Vous pourriez par exemple soutenir que Dieu avait besoin du diable et qu’il était donc mêlé à sa venue et qu’il nous laissait nous débattre avec la question du bien et du mal. Je considère les récits comme des instruments puissants pour encourager une réflexion complexe et un moyen d’apprentissage plaisant.

La part des faits et des émotions varie d’une histoire à l’autre, mais elle est souvent la preuve manifeste d’un processus d’évolution. Comment croyez-vous que vous êtes passé d’une étape à l’autre ? Et qu’avez-vous découvert en chemin ? C’est ce que je veux apprendre des récits autobiographiques des leaders et ce que vous pouvez apprendre aussi de votre histoire personnelle.

Les récits rassemblent tout un ensemble de souvenirs, d’émotions et de « faits réels » qui sont étroitement liés. Ils ont une telle richesse et une telle portée que nous pouvons les écouter maintes et maintes fois avec un éclairage différent. En outre, les bonnes histoires sont divertissantes. Avez-vous remarqué qu’on apprend beaucoup mieux en s’amusant ? Les histoires amusantes révèlent notre perception des choses, qui n’est pas forcément la réalité.

Trois approches pour construire votre capital de connaissances
Cet ouvrage vous propose une aventure empreinte de réflexion, un cheminement au cours duquel votre changement personnel sera votre clé pour influencer et guider les autres. C’est la voie de la sagesse. Votre changement personnel passe par votre connaissance des faits de votre système social, familial ou professionnel. Mais les faits seuls n’ont pas beaucoup de signification car ils restent abstraits. Il faut les intégrer dans une histoire attrayante. Je vous propose trois pistes pour rassembler les faits de votre système social.
(1) Soyez plus attentif à votre cheminement personnel pour votre vie et votre leadership. Présentez sous forme de récit les personnages qui ont eu un impact significatif sur votre existence. Ce chapitre vous aidera dans cette démarche.
(2) Ecoutez comment les autres ont développé leur savoir faire relationnel pour devenir des leaders. Vous découvrirez l’évolution de chacun. Le chapitre trois est consacré aux premiers entretiens des dix leaders que j’ai interviewés.
(3) Complétez ensuite par d’autres lectures ou d’autres formations. Ce sera pour vous une formation personnelle. Vous y découvrirez des optiques diverses qui vous aideront à vous détacher de votre mode de pensée à la recherche des causes pour adopter une perspective plus large. Ce livre vous apporte les éléments de base de cet apprentissage que vous pourrez compléter ensuite avec d’autres ouvrages que je vous proposerai. Vous pouvez suivre aussi une formation si vous le souhaitez. Repérez les personnes auprès de qui vous voulez vraiment vous former, mais commencez toujours par l’observation de soi et des autres.

Réfléchissez sur votre vie et racontez votre histoire
Le mieux pour votre cheminement personnel, c’est de réunir les indices de votre mode de fonctionnement dans les divers systèmes sociaux. Vous pouvez le faire en une page et souligner ce qui compte vraiment pour vous. Vous ferez des découvertes sur vous-mêmes. Gardez juste à l’esprit les variables suivantes :
(1) D’où vous viennent vos capacités ?
(2) Quels évènements et relations importantes vous ont influencés?
(3) Comment avez-vous surmonté l’adversité ?

Un bon moyen simple (mais pas très heureux) de réunir des indices et d’analyser comment fonctionne un système familial, c’est d’observer ce qui se passe après le décès d’un membre important de la famille.

Vous verrez d’abord comment les membres du système expriment leur chagrin selon un rituel dûment conseillé. Cela ne résout pas tous les problèmes occasionnés par le décès d’une personne. Celle-ci laisse un vide. C’est un peu comme si une des planètes du système solaire avait quitté son orbite. Les gens peuvent être abasourdis et désorientés par le surcroît de stress et par le fait qu’ils ne peuvent plus échanger avec la personne disparue. Les décisions qu’ils prennent alors sont moins bonnes qu’à l’époque où le système était plus stable. Un fils qui vient de perdre son père peut par exemple collectionner toute une série de PV pour excès de vitesse.

Le système essaie de s’adapter à la montée de l’angoisse. Le système et ses membres tentent de trouver une configuration saine de nouvelles relations stables. A la suite du décès de la mère, ce sera par exemple la grand-mère qui assumera les tâches pratiques en attendant que le père se remarie. Si la mère est plus âgée, ce sera peut-être une tante qui se rapprochera de la famille. La disparition d’un proche et la difficulté à s’adapter à d’autres personnes qui fonctionnent différemment sont source d’angoisse. D’où la naissance de nombreux symptômes dans l’année qui suit la disparition d’un membre important de la famille. Ces symptômes peuvent être révélateurs des liens profonds qui unissent les membres de la famille.

Les sociétés peuvent connaître le même type de problème quand arrive un nouveau dirigeant et que les anciens collègues partent.

Après un décès, chacun doit souvent adopter un nouveau rôle dans la famille. Vous lirez dans les interviews comment à la suite du décès d’un membre important de leur famille Steve Waite, Ned Powell, Gary Resnick et Bob Di Florio ont su s’adapter pour affronter les changements difficiles. Leur histoire nous éclaire sur les relations et l’interdépendance entre individus.

Les histoires révèlent généralement les éléments qui favorisent les changements. Elles nous poussent aussi à réfléchir et c’est important car sans réflexion l’apprentissage par tâtonnements n’est pas possible. Les erreurs ne sont pas le fruit du hasard. On ne nous demande pas d’être parfaits, mais de savoir tirer des leçons de nos erreurs. Et il nous faut pour cela pouvoir faire des tentatives et des erreurs.

Vous avez plus de chances de devenir un meilleur dirigeant en vous appuyant sur vos propres compétences qu’en adoptant les idées des autres. Vous ne vous sentirez pas personnellement concerné par les idées exposées dans les groupes de travail. C’est pourquoi des milliers de façons de penser, aussi bonnes soient-elles, tomberont à l’eau une fois les groupes de travail terminés. Ce n’est pas une question de mémoire à court terme mais plutôt de capacité à maintenir son attention et peut-être surtout de force des habitudes. Je veux dire par là qu’on retrouve beaucoup de ses mécanismes de fonctionnement quand on se replonge dans son cadre familial ou professionnel.

Raconter son histoire n’est pas chose facile. Ce que vous avez appris quand vous étiez jeune peut s’être enregistré dans les recoins de votre esprit. Vous n’en évaluez peut-être pas l’importance ni l’utilité. Mais dès que vous essaierez de rédiger votre histoire, vous risquez d’être agréablement surpris.

Construire une boussole à partir de son histoire
Nous avons tous un système naturel de guidage intérieur, une boussole, qui nous guide dans le choix de nos décisions dans une situation donnée. Ce système qui est un mélange d’instinct et d’intuition se fonde en partie sur nos expériences passées et intègre une certaine mesure de pensée analytique. Mais il agit presque toujours à notre insu. L’intuition et l’instinct ont du bon, l’habitude aussi, et je vous invite à vous en servir. Mais je vous propose aussi de construire votre boussole personnelle.

Votre passé s’éclairera à mesure que vous raconterez votre histoire. Mais vous pouvez organiser les récits de votre vie selon les quatre directions de votre boussole.

On peut tous à un moment ou à un autre regarder ses œillères et se demander : « Quelle est la meilleure chose à faire maintenant ?» C’est une démarche qui exige un certain travail et s’il devient trop fatigant, vous pouvez toujours vous en prendre à Mère Nature et à votre famille pour les situations difficiles auxquelles vous vous trouvez confrontés. Et quand vous serez prêts, vous pourrez vous demander : « Comment enlever ces maudites œillères relationnelles afin de voir ce qui se passe vraiment et d’y faire face ? Je veux vraiment me placer en observateur du système et avancer avec un plan d’action. »

Pour vous y aider, je vous indiquerai, un peu plus loin dans ce chapitre, comment discerner vos points forts et vos points faibles en évoquant d’autres histoires en rapport avec les relations que vous avez eues avec ceux qui comptent pour vous. Vous découvrirez que beaucoup d’évènements sont survenus parce que vous deviez gérer les influences extérieures. Vous avez pu changer d’école suite à un déménagement. Peut-être votre famille a-t-elle été confrontée à un décès brutal ou à une maladie grave, ou peut-être avez-vous rencontré l’homme ou la femme de vos rêves et décidé de réorganiser toute votre vie.

Il est beaucoup plus facile de gérer les petits et les grands changements de sa vie si on sait comment se comporter avec les autres. Il est essentiel de bien comprendre l’impact de son système social et comment chacun réagit au changement pour faire de bons choix et prendre de bonnes décisions. La boussole nous y aide et nous conduit vers un avenir meilleur.
Voici les quatre points à prendre en compte avant de prendre ses décisions.

Les points de la boussole
Le Nord- C’est le point cardinal qui correspond à nos objectifs ou à notre vision de la vie. Nous pouvons notamment le développer en prenant en compte la manière dont nos relations ont contribué à affirmer nos passions. Certains disent : « Voici comment je vois l’avenir et voici ce que je vais faire pour qu’il se réalise. » Il peut s’agir de gérer plus efficacement son entourage (un parent peu encourageant ou un patron douteux).

Voici un guide en quatre étapes pour les esprits pratiques désireux de développer le point Nord sur leur boussole.

Quatre trésors de sagesse de ce que j’appelle le point « Nord »

1. Demandez-vous « D’où me vient cette idée ? »
2. Observez comment votre entourage y réagit.
3. Examinez comment vous réagissez à leurs réactions et à leurs façons de penser.
4. Enfin, attendez-vous et préparez-vous aux réactions et aux conséquences des objectifs et des changements que vous proposez.

Si vous suivez ce cheminement, vos objectifs et votre vision seront fondés sur la réalité et ce livre n’aura pas été une simple promesse en l’air.

Le Sud- Ce point représente l’opposition à laquelle vous serez inévitablement confronté quand vous exposerez votre vision à ceux qui devront la mettre en œuvre ou vous donner le feu vert.

La résistance au changement est prévisible. C’est une réalité à laquelle le véritable leader se sera préparé. Il sera prêt à faire face à l’avalanche de problèmes qui surviendront quand sa vision passera de l’état embryonnaire à la réalité.

Les trésors de sagesse de ce que j’appelle le point « Sud » pour les esprits pratiques
Ce point exige que vous soyez conscients de la résistance dans les systèmes relationnels. Vous pouvez commencer à développer ce point en considérant les configurations qui se forment spontanément dans les systèmes relationnels et en imaginant comment les gérer sans porter d’accusation. Les triangles et les alliances en sont deux illustrations et l’humour est une bonne manière de réagir :

• Les triangles- Dans tous les systèmes sociaux, les gens ont tendance à se regrouper par deux pour un besoin d’unité, de force et parfois même de considération en se liguant contre une tierce personne ou en l’excluant. Le duo est souvent beaucoup plus à l’aise sans la tierce personne. C’est une réalité qui s’observe dans la vie de tous les jours. Les parents passent leur temps à lutter et à ruser pour être seul à seul avec leur enfant ou leur conjoint. Aucun couple ne souhaite la présence d’une tierce personne quand il décide de sortir ensemble. Et presque tout le monde aspire à un entretien individuel avec son patron.
• Les alliances- Deux individus s’allient quand ils sentent qu’ils sont dans le même camp, qu’ils partagent un but ou un ennemi commun. Quand un individu s’accorde avec un groupe sur un projet, c’est à la fois un bien et un mal. Quand les gens voient que vous prenez parti pour quelqu’un, ils risquent de ne plus vous faire confiance. Vous aurez heureusement des gens de confiance qui mèneront un projet sur lequel vous serez tous d’accord.
Un bon leader qui rencontre une opposition à un projet prendra son temps pour avancer et continuera à dialoguer avec « l’autre camp ». Il verra petit à petit l’angoisse s’apaiser. Au lieu de prendre partie, il existe peut-être une autre approche plus respectueuse des autres points de vue.

• L’humour- L’humour est un excellent remède à l’angoisse dans un groupe, mais il peut aussi éluder les problèmes ou poser une distance de sécurité entre les problèmes et l’individu. Il peut nous permettre de communiquer avec des gens négatifs en faisant passer le message de manière moins abrupte et en évitant de réfuter les remarques négatives.
Si la situation est trop complexe et si l’humour ne marche pas, vous pouvez tenter quelques astuces psychologiques. En premier lieu, si le système est « très câblé », essayez de renverser la situation. N’en avez-vous pas assez parfois de donner toujours la même réponse à un problème qui n’est jamais réglé ? Pourquoi donc ne pas renverser la situation et laisser l’individu trouver sa solution ? Vous pouvez aussi encourager les inflexibles à s’entêter encore davantage. J’ai entendu parler d’un remède efficace mais qui n’a pas la faveur de tous : une femme protectrice et dominante a proposé de l’alcool à 100° à son mari qui buvait trop en lui disant que ce serait pour lui un moyen plus économique pour « s’éclater ».

Ensuite, il y a les paradoxes dont vous pouvez faire usage au travail ou en famille quand on attend de vous des réponses sûres et directes totalement inappropriées. Que faire si vous voulez éviter d’être trop sérieux ? Peut-être leur proposer une histoire avec une situation paradoxale qu’ils devront résoudre.

Ces techniques ont tendance à déverrouiller le système et à révéler d’autres types de comportements.

Pour mieux cerner les alliances en jeu dans vos systèmes sociaux, essayez de représenter graphiquement qui prend partie pour qui et par rapport à quoi. Ce graphique risque bien de représenter un triangle dont deux côtés (deux personnes ou deux groupes de personnes) s’opposent au troisième. Vous serez plus en mesure d’évaluer ce qui se passe. Et surtout gardez votre sens de l’humour. En prenant un ton trop sévère et en rejetant la responsabilité sur eux, vous perdrez votre étoffe de chef.

L’ouest- Ce point représente le passé, l’endroit où nous allons tous quand nous voulons comprendre le fonctionnement automatique d’un système. Quand on est déconcerté et désorienté, il vaut mieux se laisser distancer et essayer de comprendre ce qui se passe avant de réagir.

Trois trésors de sagesse de ce que j’appelle le point « Ouest »
1. Demandez-vous : « Qu’est-ce que je connais de l’histoire de ce groupe ? Qu’est ce que j’ai besoin de connaître d’autre ? »
2. Comprenez bien que nous vivons dans des systèmes non linéaires instables et que de petits changements peuvent avoir des effets considérables. Posez-vous donc la question : « Comment mieux apprécier les directions et les avertissements à l’intérieur du système ? »
3. Apprenez à bien connaître votre histoire sociale personnelle et les conflits de sensibilités à l’intérieur du système social que vous managez.

Chaque système est fortement influencé par son histoire car le passé affecte considérablement le présent et déterminera sans aucun doute l’avenir. Examinez l’histoire de vos relations dans vos systèmes sociaux. Vous en avez gardé des souvenirs affectifs, une certaine sensibilité, qui influent aujourd’hui sur vos rapports avec les autres. Essayez de découvrir quels sont ces souvenirs affectifs. Vous pourrez lutter contre vos anciens modes de fonctionnement quand vous en aurez pris conscience. De même, vous pourrez anticiper les obstacles auxquels vous devrez faire face quand vous aurez identifié l’histoire des relations dans une entreprise. Si vous connaissez bien votre propre passé et l’histoire du système dans lequel vous travaillez, vous aurez beaucoup moins tendance à reproduire les mêmes erreurs.

L’Est- Ce point représente la faculté d’être soi-même tout en restant engagé dans ses relations avec ses proches. C’est difficile mais nécessaire pour quiconque doit se démarquer et trouver des solutions nouvelles aux problèmes anciens. Mais comment faire pour accroître sa faculté de rester soi-même et réfléchir à l’élaboration de méthodes pratiques pour effectuer les changements nécessaires dans ses modes de fonctionnement et ses systèmes relationnels?

Les trésors de sagesse de ce point risquent bien de prendre la forme d’une liste de techniques. Mais même si vous n’avez pas l’ambition de méditer ni de devenir un grand penseur, vous pouvez découvrir avec ces autoévaluations comment vous êtes affectés par les autres et par votre environnement.

Trois trésors de sagesse de ce que j’appelle le point « Est »

1. Apprenez à faire attention à la manière dont votre corps réagit : les battements du cœur, le rythme respiratoire, la transpiration et la circulation sanguine (les mains froides).
2. Observez maintenant l’influence des autres sur votre façon de penser. Si par exemple dans une confrontation vous restez sur la défensive ou cherchez à polémiquer, ou si vous n’avez qu’une envie c’est de quitter la salle, sachez que vous vous êtes laissé envahir par le climat affectif environnant. Il est temps de faire une pause. Maîtrisez vous en entraînant votre corps et votre esprit et apprenez à écouter.
3. Souriez et riez aussi souvent que possible.

La gymnastique émotionnelle ; les seuils de basculement ; apprendre à observer.
Toute cette sensibilisation s’acquiert par la gymnastique émotionnelle, un entraînement à cultiver de bonnes relations en développant une compréhension approfondie de soi. Je m’étendrai sur le concept de la gymnastique émotionnelle et j’explorerai les solutions possibles pour vous aider à trouver comment développer une plus grande indépendance émotionnelle avant de rejoindre l’arène de vos systèmes sociaux.

A mesure que vous examinez comment réaliser au mieux vos objectifs, vous pouvez développer votre sang-froid face à la désapprobation ou à l’opposition en vous appuyant sur plusieurs techniques. La pleine conscience en est une. Nous savons que c’est un savoir faire durement gagné, mais nous connaissons aussi la valeur inestimable de la pensée stratégique qui en est issue.

N’oubliez pas que vos capacités à diriger actuelles et futures dépendent de ce que vous décidez de « voir ». Si ce sont les dynamiques relationnelles importantes dans un système, vous découvrirez ce qui pourrait créer un point de non retour dans un système social, un point qui pare au changement. C’est absolument fondamental pour les dirigeants qui ont la responsabilité de faire avancer les gens dans certaines directions.

On entend souvent parler de leaders visionnaires qui ont l’art d’inciter les gens à agir. Mais peu ont en fait le charisme qui convient. C’est plus souvent sur des détails insignifiants ou des changements de tactiques que les gens apprécient les leaders. Ce qui fait la différence, c’est la faculté des leaders vigilants et attentifs à discerner les points de bascule quand ils ont eu des échanges positifs avec les gens. L’individu ou le groupe semble comprendre le message. Un cycle retour s’installe entre le leader, sa façon d’agir et le fonctionnement du groupe. Les points de bascule modifient souvent la relation entre un leader et le groupe et orientent dans une direction claire, simple et pratique.

Seulement il n’est pas si facile que ça de discerner les dynamiques relationnelles ni d’identifier les forces subtiles qui régissent les systèmes sociaux. Il n’est pas facile non plus de comprendre notre aveuglement aux dynamiques relationnelles ni de modifier notre rôle dans nos relations. Nous sommes pris dans un tourbillon et nous avons du mal à prendre du recul pour adopter un regard objectif. Et n’ayant pas de périscope magique pour observer la situation à distance, nous avons besoin d’aide pour voir et comprendre les forces dans un système social ainsi que notre rôle pour les réorienter dans une autre direction.

Je persiste à dire que pour « voir » et par conséquent accroître notre niveau de fonctionnement il est nécessaire de bien comprendre les forces cachées qui nous poussent à nous rallier au groupe au détriment de notre individualité. (Heureusement, il existe d’autres forces qui nous poussent à développer notre propre identité dans nos relations). Nous sommes tiraillés depuis notre naissance entre ces forces visibles et invisibles. Mais nous pouvons aussi trouver dans notre famille une position parfaitement adaptée à nos talents. La famille représente notre premier système social. C’est là que nous avons du affirmer pour la première fois notre identité pour défendre notre place. La famille a donc été notre premier système social et c’est là aussi que nous avons acquis nos premières notions de leadership. Votre histoire familiale devrait vous éclairer sur les forces en jeu dans ce système. Vous devriez à votre tour pouvoir identifier les forces dans les autres systèmes dont vous faîtes actuellement partie.

Comprendre comment cinq personnes ont produit des effets sur vous :
Pour vous aider à voir comment vos relations ont affecté vos capacités à diriger, commencez par examiner vos rapports avec cinq personnes qui ont joué un rôle important dans votre vie. (Vous n’êtes pas obligé de commencer par votre famille, c’est vous qui voyez). Qui vous a profondément et positivement influencé ? On ne grandit pas dans le vide, mais dans un système social qui laisse des empreintes. Vous n’avez pas besoin d’être un spécialiste en sciences politiques pour comprendre comment mieux fonctionner dans un système social, mais vous devez être plus attentif à la manière dont vous considérez et réagissez aux gens que vous fréquentez dans le cadre de votre travail, de votre famille, de vos loisirs ou ailleurs.

Mais, comme le souligne le titre de ce livre, notre cerveau et nos systèmes sociaux nous aveuglent sur la rigidité de ces derniers. Mais pour ceux parmi vous qui souhaitez mieux gérer votre système de guidage intérieur et améliorer votre position de dirigeant dans votre groupe, cet exercice d’identification des cinq personnes qui vous ont influencés est la manifestation de votre sagesse personnelle.

Il se peut que dans vos relations avec ces cinq personnes vous ayez été confronté à une situation difficile ou une opportunité de carrière, ou peut-être avez-vous simplement négocié votre rôle dans un système. Peu importe les évènements, ce qui compte c’est qu’ils aient eu un impact sur vous et qu’ils vous aient conduit à apporter certains changements.

Après avoir identifié les cinq personnes, faîtes un bref résumé de chacun des évènements auxquels elles ont été mêlées. (Vous verrez quelques pages plus loin comment faire et par où commencer.)

Les découvertes que vous ferez sur votre histoire vous apprendront à affirmer vos intentions, vos croyances et vos objectifs sans vous laisser autant envahir par les émotions.

L’objectif est que vous soyez un leader libéré de son passé et que vous puissiez construire sur ce que vous découvrez en identifiant votre part de contribution à l’atmosphère tendue propre à tout système rigide.

Encore un avantage : Les leaders savent combien les gens sont à l’affût des points sensibles. Ne serait-il pas merveilleux de pouvoir les résorber? Vous y parviendrez, cela s’appelle la connaissance de soi.

Votre prise de conscience de la manière dont vos points forts et vos points faibles se sont développés dans vos relations est à la base de votre croissance. N’oubliez pas que les périodes de repli (quand les difficultés vous accablaient) sont aussi importantes que les périodes de succès (quand vous pouviez promouvoir vos objectifs et vos idées). Quels ont été les personnages importants de votre vie qui ont joué un rôle déterminant à l’époque ? Inscrivez leurs noms ci-dessous. (Après tout, ce livre est à vous).

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Chaque nom fera raisonner en vous une histoire, quelque chose que vous avez vu ou entendu, qu’on vous a dit ou fait, qui a eu un impact sur votre vie. Peut-être est-ce un parent, un professeur, un ami ou même un ennemi qui vous ont poussé (peut-être inconsciemment) à voir, penser et réagir autrement. Petit à petit, à mesure que vous allez vous remémorer ces histoires, vous décrirez les forces émotionnelles qui vous ont alors influencés et qui continuent à le faire aujourd’hui.

Vous pouvez commencer à retracer votre entrée dans le leadership en choisissant un conflit à la suite duquel vous avez opéré un changement radical dans votre contact avec les gens. Rappelez-vous, l’important n’est pas toujours ce qui vous arrive mais plutôt ce que vous en faîtes. Expérience, réflexion et prise de conscience sont les clés.

Si vous trouvez ce travail un peu effrayant, réconfortez-vous en songeant qu’après avoir retracé votre histoire et vu comment vous avez réagi à votre entourage pendant ces temps de mise à l’épreuve et de croissance, vous comprendrez mieux comment vous en êtes arrivé là aujourd’hui. Vous verrez comment votre manière de réagir actuelle est façonnée par vos relations avec ces individus. Ce nouvel éclairage vous permettra d’effectuer tous les changements nécessaires en vous appuyant davantage sur vos capacités personnelles confirmées.

Vous pensez peut-être : « Et alors ? Je me suis tant de fois penché sur mon histoire et sur ces gens. » Je vous invite en ce cas à réfléchir à cette parole de Schopenhauer : « Le travail ne consiste donc pas tant à voir ce que personne n’a encore jamais vu, mais à songer à ce que personne n’a encore jamais songé mais que tout le monde voit. »

Un exemple : Cinq éléments fondamentaux dans mon histoire
J’ai regroupé les éléments d’une histoire en cinq principes fondamentaux, que j’énonce sous forme de questions pour vous aider à écrire votre histoire personnelle. Et je cite des exemples de ma vie personnelle pour vous aider à comprendre l’essentiel.

1. Est-ce à la suite d’une difficulté ou d’un conflit que vous avez engagé une relation avec quelqu’un qui a pris une grande place dans votre vie?
Quand on m’a envoyé en pension, j’étais désorientée mais la sœur Mary de Sales a compris que je pouvais devenir une bonne athlète et elle s’est prise d’amitié pour moi. Elle est venue me dire un matin dans ma chambre que j’étais devenue dans son rêve la meilleure athlète de l’école. Voyant mon étonnement, elle m’a expliqué qu’elle m’avait vue jouer la veille au kickball (une sorte de baseball qui se joue avec le pied). Je lui ai demandé comment faire pour devenir championne et elle m’a tout expliqué.

2. Comment cette relation vous a-t-elle aidé à développer vos capacités (et peut-être à minimiser vos points faibles) ?
En fait, Sœur Mary de Sales jouait au kickball avec moi. Elle m’a aidée à rire de mes faiblesses (l’orthographe et la grammaire) et à développer mon point fort (l’athlétisme et l’humour).

3. Comment vous a-t-elle communiqué le désir de progresser ?
Sœur Mary de Sales représentait le corps enseignant auprès des élèves et athlètes du campus. Elle assistait à tous les matchs et me commentait fidèlement mon jeu.

4. Votre nouvelle attitude a-t-elle eu un impact sur votre position de dirigeant dans votre groupe ?
J’étais davantage motivée pour partir à l’entraînement de bonne heure et rester tard le soir car il y avait quelqu’un qui croyait en moi. J’ai donc fait des progrès. Et comme c’était quelqu’un d’important sur le campus, mes pairs ont vu combien elle m’encourageait et croyait en moi. Je pense que ça a contribué à ma réputation et que ça a peut-être incité les autres à m’élire présidente de l’association sportive.

5. Votre nouvelle position a-t-elle suscité des réactions négatives de la part du groupe ou du système relationnel ?
En ce qui me concerne, je n’en ai pas eu connaissance. On m’a un peu taquinée d’être la chouchoute du professeur. Mais par rapport à l’entraînement que je recevais, j’en ai conclu que c’était une position avantageuse malgré les taquineries.

La réactivité émotionnelle.
Même si je ne suis pas submergée par les émotions quand je raconte mon histoire avec Sœur Mary de Sales, cette relation a eu un impact considérable sur ma vie. J’ai expérimenté les effets qu’on peut produire sur la vie de l’autre. Cette expérience m’a peut-être fait découvrir que je pourrais également avoir un impact sur la vie de beaucoup en tant que thérapeute familiale.

Si j’avais choisi de vous partager une relation plus difficile et plus chaotique, peut-être avec ma mère, mon père ou mes frères, une relation d’aventures et de catastrophes quand j’étais encore avec mes parents, mon histoire aurait été certainement plus expressive et plus chargée d’émotions. Mais quand on réfléchit à son histoire, aussi simple soit-elle, on doit savoir qu’il faut du temps pour en comprendre le sens et pour porter un regard positif sur les évènements de l’existence. Chaque histoire chargée d’émotions ne révèle qu’une partie infime de la situation.

Une réflexion profonde sur nos réactions à la vie
Avant que vous commenciez à écrire, j’ajouterai simplement les réflexions d’une autre personne sur les histoires et leur portée. Dans son livre Story (Substance, Structure, Style and The Principles of Screenwriting) qui a remporté dix-huit oscars, Robert Mckee écrit ceci « Un écrivain consacre trop de place à l’expérience. … Les connaissances qu’il acquiert en lisant et en étudiant peuvent égaler ou même dépasser l’expérience, surtout si elle n’a pas été vérifiée. La solution, c’est la connaissance de soi: c’est vivre en étant attentifs à nos réactions face à la vie. » Mckee nous encourage à écrire notre histoire autour de notre perception du sens de la vie, de la mort, de la justice, de la vérité, des objectifs insensés, en un mot de nos valeurs essentielles. »

Appliquez-vous maintenant à écrire l’histoire de votre vie et faîtes vous plaisir. Puis gardez la à l’esprit pendant que vous lisez la suite de ce chapitre.

Quand vous aurez écrit et réfléchi à votre histoire, vous pourrez passer à l’étape suivante. Demandez-vous si vous pouvez la partager avec les personnes qui y sont impliquées. Avez-vous envie de savoir si les souvenirs que vous évoquez leur plaisent ? Peut-être vous demandez-vous comment ils réagiraient ? Pensez-vous qu’ils se souviennent aussi bien que vous de ces évènements ? Peut-être n’auront-ils pas les mêmes souvenirs ? Vous réalisez probablement maintenant qu’ils ne se souviendront pas forcément des mêmes faits et qu’ils n’auront pas non plus le même ressenti.

Et vous hésitez peut-être, à juste titre d’ailleurs. Vous pouvez vous retrouver dans une situation de stress si chacun évoque des souvenirs différents. Et pourtant c’est en dialoguant avec les autres acteurs de votre histoire que vous verrez si vos souvenirs correspondent à la réalité, et vous découvrirez progressivement dans quelles mesures les opinions des autres vous ont influencé ou vous influencent encore. (Vous n’ignorez pas maintenant combien cette information est importante pour que vous sachiez comment vous fonctionnez en tant que leader dans un système social.)

Ce n’est pas une tâche facile. En recherchant les faits, vous quitterez votre propre personnage, vous quitterez la scène, si l’on peut dire, et votre rôle habituel. Cela peut perturber votre entourage et provoquer des réactions vives. C’est alors que vous saurez vraiment ce que c’est que d’être dans un système social. Etes-vous prêt à réagir ?

Si vous voulez progresser, vous n’aurez pas envie de reprendre votre ancien mode de fonctionnement. Quelle que soit l’ampleur des réactions à votre histoire, vous devez rester aussi neutre et paisible que possible. Votre objectif est de chercher à acquérir la plus grande indépendance émotionnelle possible à mesure que vous explorez le système social qui vous entoure. (Rappelez-vous le point Est sur votre boussole)

Si vous cultivez avec quelqu’un une relation qui remonte à loin, vous savez déjà que vous pouvez vous attendre à certaines dynamiques. On a souvent établi une relation de dominant à dominé. C’est vrai dans les amitiés comme dans les familles et dans le cadre professionnel. Si en racontant votre histoire et en expérimentant les réactions de l’autre vous pouvez éviter de réagir selon le schéma habituel, vous saurez que vous avez su laisser à chacun une certaine liberté pour observer, réfléchir et faire des projets pour l’avenir.

Le love Lock
C’est cette liberté qui peut contribuer à résorber l’influence de la conformité, ou de ce que j’appelle le Love Lock. (On y reviendra plus loin.) On se met automatiquement au diapason de ceux qu’on connaît, qu’on aime et apprécie ou dont on pourrait même avoir besoin. Ce n’est pas une relation figée, mais elle peut être dangereuse car elle aveugle sur la réalité.
Etes-vous un dirigeant capable de maintenir une position neutre et objective tout en réunissant des informations et en cultivant des relations dans une atmosphère parfois très tendue ? Sachez que vous avez un atout de grande valeur. Beaucoup de dirigeants en sont incapables et ne cherchent même pas à essayer. Ceux qui ont du mal à préserver leur identité pour être en contact avec ceux qui n’ont pas les mêmes points de vue ont tendance à développer une culture d’entreprise du « oui ». Ils s’entourent de gens qui sont toujours d’accord et ils deviennent incapables de gérer l’opposition et par conséquent de saisir des informations nouvelles ou opposées. Ils peuvent travailler dans l’isolement et s’attirer de gros ennuis. Pensez à la société Enron où l’absence de renseignements pour faire contrepoids à la politique a fragilisé le système et conduit immanquablement à la faillite.

La part de l’imaginaire et du réel
On a peut-être du mal à réfléchir sur soi et sur son passé, mais une nouvelle tendance semble vouloir se développer. Ce sera peut-être bientôt monnaie courante de comprendre comment on devient un individu de caractère. Les bons et les grands leaders nous partageront peut-être en quelques mots leur histoire personnelle. On commence à l’entrevoir à l’heure actuelle. J’ai vu par exemple dans le New York Times du 2 Juillet 2006 un article intitulé « descendant de femmes énergiques ». La présidente du Conseil d’Administration de Deloitte et Touche, Sharon L. Allen, y évoquait les facteurs d’influence dans sa famille. Son arrière grand-mère était l’une des premières femmes sénateurs de l’Etat de l’Idaho. Personne ne s’attendait à ce que Sharon Allen devienne la présidente d’une entreprise de 8 milliards de dollars, mais elle savait que ses promenades nocturnes avec son père pour vérifier les récoltes de la ferme familiale lui avaient enseigné le souci du détail et la nécessité de travailler dur pour réussir. Ses parents avaient toujours insisté sur l’importance de l’autonomie en disant qu’elle pourrait réussir si elle en avait fermement l’intention. Voici donc une petite histoire personnelle pour illustrer comment une femme a été au bénéfice des influences de sa famille.

Les histoires peuvent être un moyen rapide d’évaluer notre tendance à nous baser sur les faits. Pouvons-nous prouver la réalité des faits dans notre histoire ou bien doutons-nous de la véracité de « l’information »? Dans l’histoire de Sharon Allen, il y a bien un fait réel : elle a fait le lien entre sa vie et l’histoire des femmes leaders de sa famille. Nous n’avons pas de détails sur les promenades avec son père mais elles ont eu une incidence positive sur sa vie actuelle. Nous pouvons néanmoins découvrir les réalités de la carrière politique de son arrière grand-mère.

Nous idéalisons tous nos relations avec les êtres qui nous sont chers. Alors, faîtes attention : vous risquez de découvrir que ce que vous écrivez relève plus de l’imaginaire que du réel. Mais ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Rien n’est plus beau que de s’accepter et d’accepter les autres tels qu’ils sont et c’est la vérité qui peut nous y aider. Si nous sommes attentifs à nos histoires et à celles des autres, nos points faibles peuvent nous aider à mieux comprendre notre entourage. C’est important pour les leaders dignes de ce nom qui doivent relever le double défi d’être au clair avec leur identité et de rester ouverts et compréhensifs envers leurs points faibles et ceux des autres.

Le cadeau de Mère Nature-les œillères
La plupart des gens reconnaissent que nous sommes dirigés par nos pensées qui déterminent nos actes, animent nos croyances et nos objectifs profonds. Comme je l’ai déjà souligné, les objectifs ne peuvent se réaliser que dans le contexte d’un système social. Les systèmes sociaux sont un mélange de relations complexes et figées dans une dynamique rigide. Quand vous aurez défini un objectif et commencé à mettre tout en oeuvre pour l’accomplir (dans vos rapports avec les autres et à l’intérieur d’un système social), vous commencerez à découvrir (que vous le vouliez ou non) comment les systèmes sociaux sont organisés pour vous faire réagir.

Vous serez d’abord confronté à l’opposition à vos idées et à vos objectifs (Le point « Sud » sur votre boussole). Je taquine parfois les gens en disant : « Ne regardez pas les obstacles. Vous pouvez mettre ces anciennes œillères relationnelles toutes les fois que vous voulez. Mais si vous voulez apprendre afin d’élaborer un avenir meilleur, il faut les enlever de temps en temps pour voir ce qui se passe vraiment. »

Comme je l’ai déjà dit, les œillères ont un objectif et un avantage. Mère Nature ne les a pas seulement données pour qu’on ne voie que ce lion prêt à bondir mais aussi pour qu’on ne soit pas toujours en train d’essayer de résoudre les problèmes relationnels. Elles nous permettent de nous détendre et de laisser un peu notre « inconscient » travailler sur les problèmes. Nombreux sont ceux qui vont se résoudre sous la douche. C’est amusant de voir comment notre cerveau peut résoudre de manière surprenante des problèmes complexes pendant que nous vaquons à nos occupations. C’est ainsi qu’il fonctionne.

Dans le meilleur des mondes possibles, on pourrait mettre tranquillement ses œillères quand on accomplit une tâche machinale puis les enlever peu à peu pour observer la confusion qui règne dans le système social. On peut jeter un coup d’œil pour voir les gens qui se critiquent ou dans quel état se trouve celui qu’on vient d’écraser accidentellement.

Dans un monde moins idéal, on garde trop longtemps ses œillères ou, pire encore, on ne les enlève jamais. C’est ce que font les soi-disant leaders, insensibles à ce qui se passe dans le système social perturbé. Le grand aveugle dit : « Je ne me laisse pas influencer » ou « Ils m’ont poussé à faire ça.» Les plus avisés sont capables d’enlever leurs œillères pour évaluer leur part de responsabilité aux évènements et la manière dont ils se sont laissés influencer.

Les œillères sont parfois nécessaires. Elles nous freinent dans nos réactions et limitent notre champ de vision. Un excès d’informations peut nuire dans certaines situations, par exemple si l’alarme se déclenche dans les bureaux ou quand vous devez passer beaucoup de temps dans vos comptes. Dans ces moments là, vous ne devez voir que le problème et évacuer tout le reste. Mais ces œillères qui sont parfois confortables et très fonctionnelles peuvent aussi nous peser, surtout quand elles nous empêchent de trouver la clé des changements dans les systèmes où nous vivons et travaillons.

Les facteurs d’influence à l’intérieur du système
Pour en revenir à ce meilleur des mondes possibles, vous devez, pour réaliser vos objectifs, savoir vous adapter et revoir votre statut d’aveugle quand les conditions changent (Ce qui se produit sans cesse dans les systèmes sociaux.) Vous devez aussi connaître les facteurs d’influence à l’intérieur des systèmes sociaux qui limitent ou augmentent réellement votre capacité à accomplir vos objectifs en fonction de la manière dont vous réagissez (en fonction bien sûr de votre aveuglement.) Par exemple, l’attribution des rôles dans un groupe social semble dépendre d’un facteur d’influence social profond et impersonnel.

Les recherches ont montré que beaucoup de ces facteurs d’influence invisibles sont impersonnels mais que ce sont nos manières de réagir qui deviennent subjectives et s’ancrent dans nos cerveaux. Dès que nous sentons une menace ou même un besoin émanant du groupe, notre système réflexe entre en action. Ce n’est pas forcément une bonne chose, puisque nous réagissons dans la colère ou la peur, en nous fiant à nos émotions plutôt qu’à notre réflexion. Mais l’individu qui est vigilant, qui enlève ses œillères et est donc plus lucide, maîtrisera probablement sa tendance à réagir spontanément et analysera comment répondre aux besoins, aux peurs ou aux autres problèmes sociaux.

La célèbre réaction « fuir ou se battre » révèle l’aspect inconscient de notre système de guidage intérieur. Nos réactions aux pressions et aux évènements qui nous entourent sont souvent comparables à la réaction de combat fuite. Seule une crise peut remettre en cause ce mode de réaction automatique et nous obliger à nous arrêter pour écouter et regarder et, si nous n’avons pas de boussole, espérer que nous avons bien pris la bonne décision. Plus tard, certains parmi nous réfléchiront à l’incident et essaieront d’en tirer des leçons.

Notre cerveau a été sensibilisé au monde qui l’entoure selon certaines caractéristiques. Comme je l’ai déjà dit, nous pensons selon le principe de causalité et nous avons du mal à voir le lien entre une chose et l’autre sans rejeter la faute sur la chose (ou sur la personne). Mais quand vous dépassez cette perspective limitée (vous avez ôté vos œillères), vous entrez dans le monde de la pensée systémique où de petits mouvements comme les battements des ailes d’un papillon peuvent influer sur bien des choses.

Les œillères, de Freud et Descartes à Bowen
Sigmund Freud fut le premier à faire allusion aux œillères émotionnelles et il a appelé certains de ces mécanismes réflexes l’inconscient. Merci à Freud. Il a restauré l’union entre l’âme et le corps que Descartes avait séparés. Mais par opposition à Descartes, Freud est peut-être allé trop loin en accordant une telle importance à l’imaginaire que même les rêves et les associations d’idées ont pris une dimension « scientifique ».

Moins d’un siècle s’est écoulé entre Freud et la pensée systémique. Nous pouvons maintenant observer que certains individus sont plus lucides et sensés que d’autres et se demander pourquoi. Nous sommes nombreux à essayer d’abandonner l’idée que « le problème, c’est lui » pour remettre en cause « le mode de pensée et de réaction des membres du système » au lieu de se focaliser sur le « caractère » de chacun d’entre eux. Autrement dit, quand on pense que le problème, ce sont les autres, on se met des œillères et la réalité nous échappe.

Voici comment j’explique le grand bond historique entre l’exploration du psychisme de l’homme avec Freud et la naissance de la notion d’individu en tant que membre d’un système élargi avec Murray Bowen (qui intègre le concept fondamental des œillères relationnelles).

Imaginez que Madame la Terre soit en analyse. On veut absolument savoir ce qui ne va pas et pourquoi elle tourne de la sorte. Au cours de cette première séance, Freud veut découvrir pourquoi Madame la Terre s’est recouverte de tant de couches de « crasse» et pourquoi cette « crasse » la fait tourner comme ça. Freud part du principe que si seulement la Terre laissait la crasse remonter à la surface au moyen d’associations d’idées, elle pourrait exprimer ses sentiments profonds sur la façon dont elle tourne. Elle pourrait gérer la crasse qu’elle a enfouie. Et alors tout s’éclairerait. C’est pourquoi Freud oriente les séances vers un travail d’investigation, une écoute attentive et une analyse des interactions entre la Terre et lui, pour expliquer finalement ce qui ne va pas chez elle. (On écrira beaucoup de livres sur les découvertes de Freud et ses disciples, et on remplira beaucoup de formulaires de déclaration d’assurance pour couvrir les frais de ces investigations.)
Juste après cette première séance, le Docteur Bowen entre dans la pièce pour faire sa consultation. Il dit à Freud : « J’ai une autre optique à vous proposer, voulez-vous l’entendre ? Regardons ce qui se passe quand nous faisons marche arrière pour demander à Mère Terre dans quel contexte relationnel elle a évolué. Je pense qu’elle devrait réaliser depuis quand elle fonctionne comme ça, ce qui la fait réagir et où elle place son énergie. Réfléchissez, n’a-t-elle pas dit que tout a commencé avec Mars quand elle est sortie de son orbite ? Je voudrais la laisser expliquer comment l’attraction du soleil et ses relations avec les autres planètes ont influencé sa trajectoire. »
Bowen explique ensuite rapidement à Freud qu’on peut partir de l’analyse des multiples causes du comportement de Mère Terre pour expliquer l’« influence » que ses relations exercent sur elle et bien sûr celle de ses bien-aimés.

Ces idées novatrices rencontreront peut-être des oppositions. Espérons que Freud ne dira pas: « Monsieur Bowen, vous avez un problème avec les figures d’autorité». Il vaudrait mieux qu’il dise : « C’est intéressant, creusons et voyons où ça mène. »

La recherche psychologique dans la bonne humeur
Des histoires drôles comme celle-ci aident à faire passer beaucoup de notions importantes. Certaines expériences démontrent aussi combien les gens ont du mal à voir le contexte global quand on leur demande d’aller au détail (ou de mettre leurs œillères). Je pense à l’expérience du psychologue Daniel Simons de l’Université de l’Illinois. (Simons et Christopher Chabris, 1999. « Gorillas in our midst : Sustained inattentional blindness for dynamic events.») Elle était destinée à présenter les 25 secondes d’un clip vidéo de six joueurs de basket. Trois joueurs de l’équipe en chemise blanche se font des passes, même chose pour l’équipe en chemise noire. En cours de jeu, un individu déguisé en gorille s’avance tranquillement vers le milieu du terrain, se frappe la poitrine et repart. Ceux qui devaient compter le nombre de passes de l’équipe en chemise blanche n’ont aucun souvenir du gorille. Quand Simons a demandé aux gens qui participaient à l’expérience de se concentrer sur les passes, il avait suffisamment canalisé leur attention pour qu’ils ne voient pas le gorille. C’est une histoire qui amuse ou qui fait peur, selon votre opinion sur les gorilles.

L’aveuglement psychologique est une force (ou un instinct) qui nous vient de nos ancêtres et que nous conservons en agissant machinalement sans prendre le temps de nous arrêter pour réfléchir. En termes psychologiques, ce processus mental porte le nom d’inhibition latente.

Nous savons que le cerveau humain est programmé pour faire plusieurs choses à la fois. Nous pouvons conduire une voiture, siroter un café et encore téléphoner à un ami (dans certains états seulement, car, le plus souvent, il faut avoir le kit main libres). Nous savons ce qui doit mériter toute notre attention et ce que nous pouvons faire sur pilotage automatique. Ces dernières tâches se remarquent à peine, elles sont machinales.

Nos relations pourraient en faire partie. Les cultiver pourrait être aussi un acte réflexe comme le fait de conduire une voiture ou de se laver les dents, ce qu’on « fait » presque sans réfléchir: on gagne sa vie ; on donne des consignes aux autres ; on écoute et on fait ce qu’on nous dit, parfois ; on achète à manger ; on prend soin des enfants ; on parle avec son conjoint. Tout cela se fait souvent de manière inconsciente tant que le climat est calme. Les situations problématiques sont une opportunité à saisir. Nous pouvons les aborder avec un nouveau regard et approfondir nos dynamiques. Si nous décidons d’ôter nos œillères et d’adopter un regard neuf, nous découvrirons que quelque chose a changé dans le système social, peut-être progressivement d’ailleurs. Ce changement est pour nous une opportunité pour apprendre à mieux fonctionner dans le système actuel.

Le travail d’attention
Il est essentiel que les leaders remarquent et se souviennent de la manière dont ils transmettent leur message à leurs subordonnés. Ils doivent savoir comment le groupe accueille l’information et la prend en compte. Mais on se souvient très rarement avec précision de ce qu’on découvre. Nos cerveaux ne sont pas équipés d’appareils photos. Nous changeons des petits détails par ci par là et nous affirmons énoncer des faits réels. Nous traitons les informations de manière déformée. Il faut du temps pour bien les faire passer. La réalisation des objectifs, des projets et de la vision du dirigeant dépend de ses capacités à communiquer et à s’auto gérer; il doit par conséquent apprendre à être vigilant, à enlever ses œillères et à savoir communiquer efficacement.

Les leaders s’investissent tellement pour communiquer efficacement avec leurs subordonnés qu’ils ont la tâche ingrate d’essayer de comprendre ce facteur d’influence qu’on appelle aveuglement émotionnel et/ou relationnel.

L’opposition et ce que les relations nous enseignent
Un leader est toujours confronté à une certaine opposition quand il présente à ses équipes un objectif ou un projet nouveau. C’est un peu la même chose quand il essaie de raconter son histoire. On peut pratiquement toujours s’attendre à une certaine résistance ou à des différends de la part de ceux qui ont « participé » à cette histoire. Raconter votre histoire devient donc une opération de transmission de votre manière de voir les choses, tout en sachant très bien que d’autres points de vue sont tout aussi valables.

Vous n’aurez pas le même souvenir d’un évènement décisif de votre vie que d’autres qui y ont participé. Il y a quelques exceptions. Personne ne contredit Mère Nature quand elle raconte les effets de ses relations sur sa position dans le cosmos. «C’est comme ça », dit-elle. Mais pour nous, raconter notre histoire peut être un exercice et/ou une découverte de nos passions plus profondes.

Les relations nous enseignent tellement qu’on se demande comment il est possible de ne pas être plus attentif à ce processus « d’apprentissage ». Oui, il expose à des risques et la transparence n’est jamais facile. Mais c’est un bon exercice d’avoir le courage de partager son histoire aux autres sans rechercher leur amour ou leur approbation. C’est possible si on y voit un moyen d’apprentissage pour soi ou pour autrui.

J’espère que vous centrerez davantage votre attention sur ce type de formation personnelle en considérant l’influence de vos relations proches sur votre manière de gérer (et d’abord de vous distinguer en tant que leader) et en lisant l’histoire d’autres leaders qui témoignent de l’impact de leurs relations sur le cours de leur existence. Le but est de montrer comment les détails d’une existence peuvent révéler la sensibilisation d’une personne aux influences relationnelles et présager en quelque sorte de son mode de fonctionnement futur. Les histoires permettent aux gens de construire sur leurs points forts sous-jacents et même d’apprendre par leurs faiblesses.

Nous savons qu’une meilleure sensibilisation aux forces automatiques en présence dans nos systèmes professionnels, politiques, scolaires ou familiaux est une clé pour devenir un dirigeant plus énergique. La personne peut alors fonder ses décisions sur des faits plutôt qu’en réaction à un évènement ou à la pression du système. On pourrait même dire qu’une gestion solide est davantage une question de stratégie que de franc parler.

On suppose ici que le savoir vivre (et le savoir diriger) apparaissent et se développent presque fortuitement dès qu’une personne acquiert une compréhension plus profonde de sa vie et des principes qui gèrent ses différents systèmes sociaux. Nous pouvons nous lancer dans cette aventure sur un plan personnel ou intellectuel. Peu importe par où vous commencez et comment vous avancez, l’essentiel est que vous intégriez davantage ces deux corps de connaissances.

Il est évident que ceux qui ne veulent pas se contenter d’une survie médiocre doivent être très attentifs à leur mode d’autogestion dans les systèmes relationnels. Les recherches sociales démontrent également que plus nous connaissons ce qui motive les systèmes sociaux, plus nous aurons la chance d’être des individus heureux et efficaces. La connaissance est importante. Néanmoins, le sujet de ce livre n’est pas le contrôle du sage sur le moins sage, mais l’acquisition de la sagesse à travers un apprentissage par tâtonnement. Une vie réussie n’est pas seulement une question de génétique ou de circonstances de notre passé. C’est une porte qui s’ouvre pour ceux parmi vous qui veulent se prendre en charge en étant attentifs à leur mode de fonctionnement dans les relations.

La théorie systémique familiale et les récits biographiques
La Théorie Familiale Systémique propose un mode unique de réflexion sur votre histoire. Elle affirme que chaque individu est profondément marqué par les trois générations qui l’ont précédé et qu’il est façonné avant même sa naissance. Le terrain a été préparé pour son arrivée et les autres membres connaissent souvent déjà le rôle qui sera le sien. Ce regard sur votre histoire vous éclairera sur les facteurs d’influence de votre sensibilité et de vos capacités.

Vous pouvez apprendre beaucoup de choses sur l’impact exercé par les trois dernières générations en examinant des questions simples : Quelle est votre position dans votre fratrie ? Etes-vous l’aîné ? Le cadet ? Ou le petit dernier ? Quel parallèle pouvez-vous faire entre votre position dans la fratrie et celle de vos parents et grands parents ? Quels ont été les évènements sociaux et historiques qui ont marqué toutes ces générations? Avez-vous évolué dans un climat familial paisible ou au contraire hostile ? Certains ont-ils mis des distances entre eux suite à de sérieux différends ? La famille a-t-elle subi les effets dévastateurs d’une guerre ou d’une maladie ?

Des frères et sœurs peuvent avoir les mêmes parents tout en étant très différents. Aucune famille ne peut cloner ses enfants ni physiquement ni affectivement. Et les parents ne peuvent pas non plus toujours être égaux à eux-mêmes au fil des jours et des années. Même s’ils pensent savoir élever leurs enfants « comme il faut », un oncle, un ami ou un grand parent peut avoir orienté l’enfant vers une optique différente et occasionner des difficultés dans le champ d’influence multi générationnel.

Si la famille nucléaire le veut, elle peut essayer d’échapper au passé en s’enfermant dans un environnement isolé et particulièrement intense. L’enfant subit alors un champ d’influence générationnel où règnent la confusion, la cohésion sociale et/ou une grande uniformité. Vous pouvez représenter un schéma pour situer votre famille et voir si elle s’est coupée des autres membres dans les générations passées (par exemple « on ne parle jamais à Tante…) ou si elle est au contraire trop fusionnelle (« Tout ce que dit Tante… fais-le !).

Rien n’est plus difficile que de vivre pleinement dans le présent et d’entretenir des relations avec chacun en faisant abstraction de ce qu’on a entendu à leur sujet. Mais si nous ne faisons pas tout pour essayer, nous sommes condamnés à vivre dans le passé avec une liste arrêtée de devoirs et de répliques préétablies. Un cerveau angoissé aime tout ce qui est bien défini et bien établi. Pas besoin de réfléchir, c’est merveilleux, mais ce n’est pas une attitude dynamique ni créative, et surtout pas celle d’un dirigeant !

Vous trouverez aussi dans votre cadre professionnel cette gamme allant de l’excès de fidélité à l’isolement. A la maison ou au travail, chacun recherche le juste milieu. Mais comment est-ce possible quand on se trouve à une extrémité de la gamme ?

Voici seulement quelques éléments qui peuvent s’inscrire dans l’analyse de votre mode de fonctionnement au sein de votre famille (ou au travail). J’espère toutefois que ce livre ne se limitera pas à une simple analyse mais qu’il vous aidera à découvrir vos capacités sur lesquelles fonder votre avenir. Une profonde compréhension des facteurs d’influence qui ont marqué vos premières années et qui entrent en jeu maintenant vous aidera à vous démarquer et à fonctionner de manière plus réfléchie, l’élément essentiel pour devenir un véritable dirigeant, brillant et fidèle à ses objectifs.

Comprendre les autres dans un système social
Il est déjà assez difficile de se comprendre soi-même mais il est encore bien plus compliqué de comprendre les autres (qu’ils appartiennent à votre passé et à votre présent). On n’obtient pas toujours facilement les informations dont on a besoin. Les agents de recrutement et les Directeurs des ressources humaines par exemple ne sont pas libres de poser les questions qu’ils veulent aux futurs employés. Et même les meilleurs amis hésitent à parler de leur enfance ou de leur mariage. Mais vous pouvez malgré tout apporter des détails. Une bonne compréhension de vos anciens rapports avec les autres exige de vous les qualités d’un bon observateur capable de contrôler sa réactivité émotionnelle. Vous commencerez alors à mieux vous comprendre et à mieux comprendre les autres. Et vous commencerez à voir disparaître ces anciens types de comportement stériles. Quand on comprend l’histoire des individus ou des groupes, il est plus facile d’établir avec eux une relation profonde et constructive tout en préservant son identité.

Nous avons pratiquement tous un jour ou l’autre « perdu » un peu de notre soi. Souvenez-vous de la première fois où vous êtes tombé amoureux : Quand vous étiez prêts à donner à votre bien-aimé (e) tout ce qu’il (ou elle) désirait. Quand votre bien-aimé (e) courait au devant de tous vos désirs. Ce sont des souvenirs amusants mais courants de nos premières amours. Ce sont aussi des expériences courantes de notre manière de dialoguer avec ceux à qui nous voulons plaire, dont nous avons besoin et/ou qui ont besoin de nous. On peut perdre son soi en gérant mal sa relation à l’autre.

Le système social devient le champ social : l’influence de la physique
Nous avons évoqué précédemment l’évolution de la psychiatrie de Freud à Bowen. Que se passe-t-il quand notre approche du système social rejoint celle d’Einstein et des autres ? La conception déterministe de l’univers devait disparaître, même au grand regret d’Einstein. Quand Einstein est monté à bord de sa vague de lumière pour faire le tour de l’univers, notre conception du temps et de l’espace et l’effet du champ sur les objets ont changé à jamais. Einstein a découvert que même la lumière est soumise au système qu’elle traverse. Si la lumière peut se réfracter en traversant l’espace, qu’y a-t-il d’étonnant à ce que nous soyons aussi déformés en passant d’un système social à l’autre ?

Ceci étant, essayer de comprendre un leader en faisant abstraction du système dans lequel il évolue équivaut à croire que la terre est le centre de l’univers et que pour savoir ce qui la fait tourner comme ça, il suffit d’enlever un peu de terre.

Une étude récente effectuée par Boris Groysberg et Anisha Nanda de Harvard Business School nous éclaire sur l’importance du système. Elle consistait à observer ce que devenaient les analystes les plus pointus, « les étoiles de la finance », quand ils changeaient de poste et d’entreprise. Ceux qui quittaient leur ancien cadre professionnel et espéraient réussir aussi bien ailleurs étaient déçus. En général, les compétences de ces éminents analystes régressaient au cours des cinq années suivantes. Groysberg et Nanda faisaient remarquer que si le succès de ces analystes n’avait dépendu que de leurs compétences, ils auraient aussi bien réussi dans leur nouvel emploi. Mais ce n’était pas le cas. On impute cette régression au fait qu’il faut du temps aux dirigeants pour découvrir et s’intégrer au système informel où se trouve l’information dont ils ont besoin pour prendre des décisions et faire réaliser le travail. Ces systèmes sont spécifiques à chaque entreprise. Les « étoiles » peuvent malheureusement estimer qu’ils n’ont pas besoin d’apprendre comment fonctionnent ces nouveaux systèmes. Mais c’est une grave erreur.

Jim Collins soutient cette hypothèse et raconte dans son livre Good to Great que les directeurs généraux les plus compétents sont issus de l’entreprise. Pourquoi ? Ils savent comment circule l’information et comment fonctionne le système.

Dans son livre The Wisdom of the Crowd, James Surowiecki se réfère à des études démontrant que les meilleurs scientifiques sont ceux qui sont les plus aptes pour travailler ensemble. Il cite une étude effectuée sur 41 gagnants du Prix Nobel qui démontre que parmi les candidats désignés, les gagnants étaient ceux qui coopéraient le plus.

A l’ère de l’homme des cavernes, ces derniers devaient faire de leur mieux pour savoir à qui faire confiance, comment organiser la chasse, avec qui partager sans risques leurs connaissances sur la fabrication du feu et des outils. Et tout le groupe, le système devait ensuite s’adapter aux inventions nouvelles telles que la roue. L’importance de se gérer personnellement dans un système émotionnel instable fait partie depuis si longtemps de notre identité qu’on n’en a plus vraiment conscience. Mais si nous sommes là aujourd’hui c’est parce que nos ancêtres se sont fiés à leur intelligence et à leurs émotions pour comprendre leurs systèmes sociaux et les autres facteurs d’influence naturels.

L’organisation actuelle de la société nous permet de mieux comprendre la dimension émotionnelle de notre soi. Les hommes comme les femmes peuvent cesser de vouloir à tous prix diriger et donner des ordres et se pencher sur le champ systémique dans son ensemble pour y observer les émotions sous-jacentes aux relations. Avec l’apparition du capital intellectuel, par exemple, on ne peut plus menacer quelqu’un pour l’obliger à agir. Ce n’est souvent qu’une solution de facilité pour les dirigeants incompétents qui ne voient pas combien il est important d’encourager les autres à la réflexion et contre-productif à long terme de forcer les gens à agir sous la contrainte.

Les meilleurs contextes professionnels (et familiaux) encouragent l’authenticité. C’est ainsi que les gens peuvent devenir plus matures, assumer leurs responsabilités et s’investir davantage auprès du groupe sans devoir abandonner une part de leur soi au point de tomber dans la rébellion. A notre époque où règne le capital intellectuel, la contrainte par la menace est l’échec assuré, aussi bien pour la pauvre victime que pour le dirigeant, l’entreprise ou la famille.

Les clones et les robots qui obéissent aveuglement aux ordres d’un leader ont pu être utiles dans des situations vitales où on se débarrassait des gens comme on voulait (pensez aux périodes de guerre dans la Chine antique), ou quand on n’avait pas besoin de s’adapter à des changements rapides (pensez à l’entreprise familiale qui se transmettait de génération en génération). Mais ce n’est plus vrai à l’heure actuelle. Le monde des affaires exige aujourd’hui que chaque individu prenne la responsabilité d’évaluer les situations et de trouver des solutions. Je crois que nous allons vers une époque où chaque membre d’un groupe devra tendre à devenir un leader responsable. Ceux qui ne le sont pas risquent de se laisser envahir par des situations sociales difficiles ou des groupes d’individus amers.

Les dirigeants dignes de ce nom doivent donc faire preuve d’intelligence et d’intuition et être capables de se fier à leurs instincts tout en élaborant des projets à long terme. Nous avons besoin de notre intelligence, mais aussi de la partie plus profonde de notre cerveau, les systèmes limbiques et reptiliens, pour être à l’écoute de notre ressenti. (La prise en compte de notre affectif dans nos projets dépend beaucoup de nos familles et nos relations familiales précoces y sont pour beaucoup dans notre capacité à associer nos plans à notre ressenti.) Les sentiments sont complexes. Ils peuvent émettre des signaux trompeurs si on leur accorde trop de place ou si on refuse de les écouter. Les relations aussi sont complexes. C’est pourquoi nous devons élaborer nos projets en englobant la connaissance de nos systèmes émotionnels et sociaux.

C’est dans cette optique qu’a été conçue la boussole. En analysant une situation selon ses quatre points, les gens motivés comprendront mieux comment associer leurs sentiments et leur réflexion et, qui plus est, comment tirer profit des erreurs du passé. Personne ne devrait être enchaîné ni prisonnier de son passé.

Vivre dans un système émotionnel
Dans les systèmes émotionnels, les gens sont conditionnés à réagir spontanément les uns aux autres. Chaque membre du système remplit son rôle et tout le monde sait qui fait quoi, pour qui et pourquoi. (Si vous ne me croyez pas, demandez à un enfant de vous parler de son système familial ou scolaire). Les systèmes familiaux et professionnels se rejoignent dans leur tendance à modeler l’individu selon les besoins du système et non selon ses aspirations ou ses attentes. Quand nous sommes enfants, nous bataillons pour préserver notre sécurité affective et notre intégrité au sein de notre système familial. Devenus adultes, nous reproduisons en partie le même schéma quand nous manoeuvrons pour nous positionner au travail et à la maison.

Quand les gens partagent le quotidien ou travaillent ensemble à la réalisation d’un projet commun, les réactions intenses à l’intérieur du système augmentent considérablement et les individus commencent à s’influencer mutuellement de bien des manières invisibles. Pensez-vous que le comportement de votre collègue de travail puisse avoir des répercussions sur vous ? Quand vous jouez en équipe, ne pressez-vous pas vos coéquipiers de tout faire pour gagner? C’est à peu près la même chose que d’aspirer à ce que les membres de notre famille se conduisent bien, laissent tomber l’alcool, trouvent un emploi, arrêtent, ou même commencent à harceler notre mère.

Dans les succès comme dans les échecs, les individus agissent sur le système et inversement à travers la mise en place de nombreux cycles retour. Ils peuvent décider de leurs réactions : ils peuvent précipiter les rétroactions ou les tempérer, les ignorer ou les modifier complètement. Les leaders visionnaires qui ont des objectifs précis s’appuient sur ce réseau d’influence pour optimiser les résultats.

Pour vous aider à comprendre, songez un instant à Einstein et à sa vision scientifique du monde. Nous avons dit qu’Einstein savait, même si peu le comprenaient, qu’une particule de lumière est influencée par le champ qu’elle traverse. Oui, la particule a une direction et l’espace réfracte la lumière. De même, les forces inhérentes aux systèmes émotionnels influent sur le soi et inversement. L’influence que nous exerçons sur les autres n’est pas facile à détecter mais elle existe et elle dirige l’espace/temps de nos vies.

Les histoires, votre histoire et celles que je relate dans les chapitres suivants, peuvent vous aider à discerner l’impact de ces forces sur vous. Elles peuvent vous aider à voir pourquoi vous réagissez comme ça et comment vous pouvez vous améliorer. Votre passé peut vous aider à construire l’avenir de votre choix.

Les histoires regroupent beaucoup d’informations. Les textes anciens qui ont résisté aux siècles, comme le Coran et la Bible, sont un puits d’histoires inoubliables. Elles sont faciles à mémoriser et ce qu’elles soulignent se comprend aisément. En fait, l’histoire de la psychiatrie repose sur la compréhension approfondie de l’histoire de l’individu. Mais ce livre ne traite pas de psychiatrie. Il vous aidera à comprendre le sens de votre histoire et comment elle vous a façonné. Mieux vous comprendrez votre histoire personnelle, mieux vous pourrez identifier vos points forts et vos faiblesses dans votre univers professionnel ou familial.

En réfléchissant à l’histoire et aux évènements importants de votre vie ainsi qu’aux récits biographiques des autres, vous pourrez découvrir comment acquérir autonomie, fermeté et stabilité. Beaucoup de nos histoires personnelles, par exemple, sont tissées autour d’un chaos relationnel. Si c’est votre cas, voici pour vous l’occasion d’apprendre comment garder votre sang froid dans un système professionnel ou familial submergé par l’angoisse et les émotions.

Murray Bowen et le développement de la pensée systémique familiale
Le Docteur en Médecine Murray Bowen (le psychiatre dont on a évoqué précédemment les divergences de points de vue avec Freud) a souligné que les problèmes des soldats de la deuxième guerre mondiale relevaient plus de leur mental que de leur physique. L’un des nombreux dilemmes de cette époque était de trouver le moyen d’aider les soldats à gérer leur stress qui semblait engendrer des dépressions chez certains d’entre eux. On voulait comprendre pourquoi certains étaient plus résistants que d’autres.

Le Docteur Bowen décide donc de quitter la chirurgie pour s’orienter vers la psychiatrie, et après la seconde guerre mondiale il va faire un séjour dans le centre psychiatrique de la Menninger Clinic. Karl Menninger et son père Charles Frederick ont fondé cette clinique en 1919 à Topeka, au Kansas afin d’y réunir de nombreux spécialistes. William les rejoindra en 1925. La Menninger Foundation a été fondée en 1941 pour la recherche, la formation et un enseignement de la psychiatrie accessible à tous. Elle est vite devenue un des centres psychiatriques et psychanalytiques les plus réputés des Etats-Unis. A la fin de la seconde guerre mondiale, Karl Menninger a joué un rôle déterminant dans la fondation du Winter Veterans Administration Hospital à Topeka qui est à la fois un hôpital psychiatrique et le plus grand centre de formation psychiatrique du monde.

Pendant sa formation à la théorie analytique à la Menninger Clinic, le Docteur Bowen a compris que beaucoup des idées de Freud, aussi intéressantes soient-elles, ne se fondaient pas sur la science. Le Docteur Bowen se posait une question qui allait bouleverser son évolution scientifique: « Qu’est-ce qui pourrait élever l’étude du fonctionnement humain au rang des sciences reconnues ? »

Certains disent que Murray Bowen était originaire du Tennessee et qu’il ne voulait donc pas passer sa vie à tourner en rond. Autrement dit, puisque les récits biographiques ne sont pas 100% factuels, on ne peut en déduire aucun fait scientifique prouvé. Le Docteur Bowen considérait que l’histoire des patients ainsi que les nombreuses interprétations des psychothérapeutes étaient trop subjectives. Le Docteur Bowen voulait rassembler les faits relatifs au comportement humain pour le concevoir comme l’objet d’une science.

(Des années plus tard, j’ai voulu aider les gens à mieux comprendre leur histoire et à voir comment ils pouvaient en tirer profit pour envisager un avenir différent. Je me suis inspirée de ce que disait le Docteur Bowen: « Si seulement les gens pouvaient comprendre ce contre quoi ils se battent, ils s’en sortiraient mieux» Ils se battaient contre le fonctionnement et les règles de leurs systèmes familiaux au cours des générations.)

De 1956 à 1960, le Docteur Bowen a conduit un projet de recherche sur la schizophrénie en faisant hospitaliser des familles entières à l’Institut fédéral pour la santé mentale de Washington. Après avoir étudié comment fonctionnait chaque famille en tant qu’unité émotionnelle, il observait qui occuperait la position de dirigeant familial. Il passait toujours par une période éprouvante quand les membres de la famille essayaient d’amener l’équipe à résoudre leurs problèmes. Quand ils voyaient qu’ils ne pouvaient pas y compter, l’un d’eux prenait alors le rôle de dirigeant.

Bowen est le premier psychiatre à avoir développé une théorie sur le fonctionnement humain en tant qu’unité émotionnelle ou système. Il se fonde sur ses observations des familles vivant ensemble dans un environnement assez naturel. La pierre angulaire de sa théorie est la différenciation du soi, qui expose (entre autre) dans quelles conditions un individu révèlera ses capacités à remplir la fonction de leader familial.

On pourrait dire qu’un bon psychothérapeute doit faire en sorte d’amener les gens à prendre conscience qu’ils sont capables d’autonomie, de maturité et de réflexion. On ne peut pas gérer une anxiété imaginaire ou réelle si on ne sait pas se démarquer face aux exigences et aux attentes des autres. Dès qu’on commence à se fondre dans les autres ou à ne plus savoir où on en est, on adhère au mode de pensée du groupe. Dans les situations extrêmes, les sectes par exemple, tout le monde pense la même chose.

Par ailleurs une personne différenciée est une personne mature, elle sait s’affirmer et faire preuve de lucidité. Elle dira : « Voici ce que je suis, ce que je crois, ce que je soutiens, ce que je veux faire ou ne pas faire dans une situation donnée. » (Extrait de Family Therapy in Clinical Practice, page 365). Un soi différencié est tout désigné pour faire un dirigeant digne de ce nom.

Le Docteur Bowen soulignait que le niveau d’angoisse des gens qui vivent des changements (dans leur travail, leur mariage, leurs structures familiales par exemple) dépend beaucoup de leur capacité à se démarquer de leur famille d’origine. Cette capacité à se différencier est en rapport étroit avec le succès avec lequel ils révèlent leurs talents de leaders.

Pour faciliter le développement de son autonomie émotionnelle, le leader peut s’entraîner à la pratique de la gymnastique émotionnelle et travailler à préserver son intégrité tout en restant engagé dans ses relations. Personne n’a dit que c’était facile, mais c’est possible. Le Docteur Bowen écrivait que « Si l’individu peut conserver ses convictions intellectuelles quand l’angoisse monte, il sera plus souple, plus flexible et moins affecté par l’intensité émotionnelle qui l’entoure. » (Extrait de Family Therapy in Clinical Practice, page 362).

Nous avons vu que les individus peuvent améliorer leurs capacités à faire face à des situations nouvelles en construisant leur boussole sur les histoires personnelles. C’est vrai pour vous aussi. Les quatre points de la boussole vous aideront à découvrir comment acquérir un esprit plus rationnel et peut-être même plus compréhensif en développant un sens de l’ordre et une meilleure compréhension des difficultés familiales et professionnelles. Je ne prétends pas qu’il soit toujours facile de faire le lien entre votre fonctionnement dans vos relations précoces et votre attitude actuelle au travail, mais je pense qu’on retrouve souvent bien des points communs.

La bonne nouvelle, c’est que tout le monde peut apprendre en remontant dans le passé s’il raconte une histoire simple sur sa vie. Mais il est bon de rappeler qu’il n’existe pas d’histoire purement factuelle, comme le faisait remarquer le Docteur Bowen, et que personne ne retrace son histoire avec exactitude. Elle est un mélange de souvenirs de soi et des autres et il n’y a pas d’observateur neutre pour trancher. Chacun doit se prendre en charge. Ce n’est pas seulement l’histoire mais de l’entendre raconter qui peut vous sensibiliser aux traits de caractère et aux sensibilités qui accroissent ou affaiblissent votre leadership actuel. Un vrai leader se révèle dans les défis.

Quand vous réfléchissez à votre histoire, observez la démarche que vous avez engagée pour faire de votre mieux, repérez les points de non retour qui vous ont formé et fait grandir et bâtissez dessus. Ils modifient votre relation aux autres et vous orientent donc vers d’autres directions et des actions soudain claires et appropriées. Ce processus commence souvent par « Je veux entreprendre ceci, mais je ne peux pas ; il y a un conflit que je dois surmonter. » Tout pas en avant rencontre obligatoirement une opposition. Mais c’est une nouvelle vie qui vous attend si vous appliquez ce que j’expose dans ce chapitre pour contourner les obstacles.

Vous ne pouvez pas diriger toute votre famille, mais vous pouvez agir sur vous et la santé de votre famille s’en ressentira. C’est une bonne raison pour devenir soi-même. Vous en expérimenterez les fruits pour vous-même et pour votre famille.
Murray Bowen

Résumé
Si vous voulez donner toute la mesure de votre talent, vous trouverez dans ce chapitre un puits d’informations qui vous aideront à mieux discerner les challenges que rencontre un dirigeant solide et à tirer le maximum de ce que vous avez appris en faisant partie du système.

Ce chapitre a pour but de vous sensibiliser encore davantage aux problèmes de gestion auxquels vous serez confrontés et de réaliser que vous détenez déjà certains outils pour les résoudre, ou pour les surmonter ou les dissiper.

Les forces sociales à l’intérieur d’un système engendrent des « œillères relationnelles » qu’il est possible d’enlever. Ce chapitre vous explique comment faire. Il vous expose comment fonctionnent les systèmes sociaux et comment vous avez été mis à l’épreuve et façonné par les forces émotionnelles complexes qui vous entourent. Il participera donc grandement à l’accroissement de vos qualités relationnelles.

En particulier, puisque ce chapitre traite de leadership et de la manière dont les leaders émergent de leurs familles et de leurs systèmes sociaux, il vous aidera à améliorer vos capacités à diriger, à être plus efficace, plus créatif, plus souple et mieux estimé. En bref, un leader solide et sensibilisé aux systèmes connaît son histoire et il peut rester lui-même tout en restant engagé dans ses relations. C’est le portrait du leader digne de ce nom qui sait prendre des décisions réfléchies pour lui-même et pour le groupe. Il sait qu’il en coûte de prendre des décisions, mais qu’on ne peut pas y échapper.

Le leadership est puissant par nature car le mode de fonctionnement du leader dans sa famille est plus important que ses compétences pour modifier les systèmes relationnels.
Edwin H. Friedman

Chapitre deux- La sagesse du dirigeant

On a besoin d’être dans le même état affectif que le croyant ou l’amoureux pour approfondir un problème scientifique difficile.
Albert Einstein

(Extrait de Victory and vexation in Science : Einstein, Bohr, Heisenberg et autres
De Gerald Holton)

L’écoute ou la voie de la sagesse
Il y a mille manières pour éplucher une pomme. Mais une bonne façon à la fois formatrice et amusante d’acquérir la sagesse pour diriger, pour cueillir les pommes de l’arbre de la connaissance, c’est d’être attentif aux histoires. Elles peuvent nous aider à dépasser nos préjugés sur notre vie et sur ce que nous pouvons faire pour la changer. Deux des problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés sont de savoir comment dépasser nos préjugés et comment échapper à nos points de vue étroits. En fait, nous devons lutter contre notre besoin de tout ramener à soi. (Voir « A mind of its own » de Cordelia Fine). Nous sommes sur la défensive quand on parle de nous, mais beaucoup moins quand on parle des autres. Nous aimons aussi les commérages et les belles histoires. Il y a dans les histoires un sens relationnel qui nous connecte aux autres et des informations que ces mécanismes de défense peuvent nous amener à négliger. Vous connaissez bien ces mécanismes qui viennent vous souffler « Tout va bien. Ne change rien.» Ou encore, quand tout va mal, « Tu ne peux rien y changer. Alors laisse tomber ».

Nous avons bien d’autres bonnes raisons d’écouter les leaders raconter leur histoire. Premièrement, elles nous révèlent les types d’interactions qui les ont influencés dans leur croissance et leur évolution. C’est passionnant d’écouter ceux qui sont prêts à assumer leurs responsabilités, à trouver des solutions aux problèmes, et qui nous partageront peut-être pour la première fois comment ils se sont formés au leadership dans leurs relations.

Ensuite, entendre les leaders raconter leur histoire peut vous rappeler une expérience de votre cheminement personnel soit identique soit radicalement différente. La façon d’agir qui se dégage des histoires que vous entendez peut éveiller en vous un souvenir qui réaffirmera votre détermination à construire vos capacités à diriger.

Il y a encore une troisième raison plus pratique de prêter une écoute attentive à l’histoire des leaders : nous apprenons moins vite par nos expériences et nos tâtonnements qu’en écoutant les autres.

Enfin, découvrir comment fonctionnent les autres en entendant leur histoire peut vous aider à vous débarrasser de vos œillères relationnelles pour observer votre manière de gérer. Comprendre les dynamiques peut aussi vous aider à discerner pour quel type de leader vous travaillez (ou votez). Quand vous serez débarrassés de vos œillères, vous serez mieux à même de comprendre les autres, et c’est un excellent atout dans un monde qui mise sur le capital intellectuel.

Quelles sont mes valeurs ?
Il y a deux questions qui ne peuvent pas laisser les leaders indifférents : « Qui suis-je ? » et « Qui êtes-vous ? ». Un dirigeant commence en général par définir ses valeurs et ce qu’il est prêt à faire et à ne pas faire. Puis, ses motivations l’incitent à chercher à découvrir la nature des systèmes émotionnels et relationnels dans lesquels il vit et travaille. S’il consacre du temps à la réflexion sur les forces en jeu dans ces systèmes pour répondre ainsi à la question « Qui suis-je ? », il sera mieux équipé pour mener à bien ses projets.

Un des plus grands écrivains du monde, William Shakespeare, avait bien saisi la complexité des relations quand il faisait poser à Hamlet la célèbre question « Etre ou ne pas être ». Il soulignait également le trouble que vivent les hommes quand ils réfléchissent sur leurs valeurs : « Rien n’est tout blanc ni tout noir, c’est nous qui en décidons ainsi. »

En bon observateur de la nature humaine, Shakespeare savait que les leaders sont confrontés à toutes sortes de forces. L’une concerne la manière dont nous gérons notre soi dans nos relations et l’autre notre compréhension des conséquences de notre réflexion.

Ecrit en 1601 ou 1602, Hamlet nous plonge dans la tragédie du personnage qui perd son soi. La pièce souligne combien il est difficile de préserver son intégrité et sa réflexion face à la pression de ceux qu’on aime ou même de leur ombre. Beaucoup disent que c’est un superbe portrait d’un héros aux prises avec deux forces opposées : l’intégrité morale (à laquelle aspirent tous ceux qui veulent développer un soi plus autonome et plus solide) et le besoin de venger un meurtre (qu’on éprouve quand on s’approprie et qu’on se laisse absorber par les sentiments, les besoins et les désirs de l’autre). Shakespeare nous incite symboliquement au travers de cette pièce à évaluer nos faiblesses, notre aveuglement et les choix qui nous appartiennent. Cet écrivain perspicace nous sensibilise à l’importance des histoires pour nous alerter sur nos fragilités.

Quand vous lirez l’histoire des dix dirigeants que j’ai interviewés dans ce livre, vous découvrirez aussi comment on peut se fortifier dans ses systèmes relationnels importants. C’est mon objectif. C’est une interprétation différente et beaucoup moins spectaculaire, mais les gens construisent leurs valeurs sur ce qu’ils vivent dans leurs relations. Ces histoires révèlent comment nos relations façonnent nos vies. Vous y découvrirez aussi les forces qui nous entourent au moment où nous prenons la décision de diriger ou de ne pas diriger.

Les grands leaders luttent parfois tous les jours pour trouver l’énergie et le courage d’aller au fond d’eux-mêmes, de bien définir leurs croyances et de nous faire partager ensuite où ils veulent nous conduire et pourquoi. Ce cheminement difficile vers un soi plus solide peut vous amener à vous révolter contre les tendances et les schémas établis et risque bien de perturber vos proches. (Mais sachez que si le combat devient trop dur, vous pouvez toujours faire marche arrière, au moins pour un temps, et continuer avec les autres qui ont peut-être les solutions, on ne sait pas.) Que votre cheminement soit plus ou moins difficile, vous pouvez prendre plaisir à découvrir et à mettre à profit votre savoir « être ». Quand vous développerez vos capacités à diriger, en apprenant par les autres, par vos relations, votre histoire et vos erreurs, vous apprendrez aussi comment aider les membres de votre système social et professionnel à devenir plus matures et à résoudre les situations problématiques.

Faire les bons choix : les avantages et les dangers.
Vous découvrirez en lisant ces dix histoires que l’apprentissage se fait à plusieurs niveaux et dans plusieurs directions selon que vous cherchiez à apprendre ou que vous vous contentiez de reproduire vos anciens modes de fonctionnement. Mais il y aura toujours un prix à payer. Vous pouvez décider de vous investir en vous adaptant aux conditions changeantes ou d’économiser vos forces en restant comme vous êtes, et peut-être en prenant le risque de passer à côté de votre vie. Vous avez le choix.

Ceci dit, on a le droit de s’informer avant de faire son choix et notamment de comprendre comment fonctionnent les systèmes. Vous prendrez alors votre décision en connaissance de cause. Sinon, dans le pire des cas, les forces en jeu dans le système peuvent vous attribuer malgré vous un rôle de victime ou de coupable.

Les groupes sociaux et familiaux sont régulés par les forces auxquelles les leaders sont confrontés (ou qu’ils utilisent à leur avantage) et ils n’en ont pas plus conscience que des battements de leur cœur. Mais en lisant ou en écoutant attentivement leur histoire, vous discernerez mieux les forces naturelles et souvent cachées qui affectent votre identité, vos relations et vos objectifs. Vous pouvez considérer ce travail d’écoute comme un moyen de développer vos capacités à identifier les stéréotypes relationnels.

Mais il y a un petit problème : écouter les gens n’est pas forcément inné. Bien des choses peuvent brouiller notre compréhension. Nos espoirs et nos attentes en font partie. La personne que nous écoutons ou dont nous lisons l’histoire peut dresser un portrait positif mais irréel d’elle-même, qui traduit un besoin de survie, un aveuglement ou un profond désir de gagner à tous prix. (Nous savons que certains leaders n’hésitent pas à user de tromperie).

Il serait donc très utile d’avoir un instrument fiable pour mesurer les sentiments réels ou le fonctionnement humain. La température élevée d’un thermomètre indiquerait par exemple que l’individu fonctionne dans les émotions et la température basse qu’il est en contact avec la réalité. On utiliserait ce type de thermomètre pour lire la température d’un leader. Malheureusement ce genre d’instrument n’existe pas, nous devrons donc nous fier à notre intelligence. En entendant les leaders raconter leur histoire, vous exercerez votre faculté d’écoute et vous focaliserez votre attention sur les faits qui mettent en valeur leurs capacités et leur niveau de fonctionnement. Et votre management s’en ressentira.

Beaucoup de leaders jugent très important de savoir (1) qui dans le groupe peut s’en tenir aux faits et faire les appels délicats, et (2) qui fera avancer son projet personnel en fonction des informations qu’il aura recueillies. Encore une fois, si vous avez une écoute attentive, vous saurez faire ces différences.

On a beaucoup de respect pour les dirigeants qui sont prêts à endosser leurs responsabilités. Mais l’histoire montre combien on peut se laisser berner par des leaders charismatiques zélés, surtout en périodes de troubles. En périodes plus calmes, nous nous laissons également facilement duper par ceux qui occupent une certaine position dans le groupe, sans remettre en cause leur autorité. Encore une fois, c’est une écoute attentive qui peut vous éviter de vous faire berner par un faux leader.

Certains ne sont pas vraiment prêts à endosser leurs responsabilités mais acceptent malgré tout de diriger. Pourquoi ? Parce qu’ils en tirent un profit : un rang, des avantages financiers et même un meilleure système immunitaire. N’importe quel groupe peut donc être soumis à un chef épouvantable, même les Scouts.

Ces leaders là savent se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Les gens très motivés savent très bien berner leur troupeau. Mais encore une fois nous ne sommes pas des moutons. Nous avons certains indices pour faire la distinction entre les leaders dignes de ce nom et les autres. Il est par exemple très facile de repérer ceux qui font les cent pas dans les couloirs de votre bureau avec leurs œillères émotionnelles. Ils fanfaronnent mais ne savent pas très bien ce qu’ils font et ils refusent d’accepter la responsabilité de leurs erreurs quand on les y confronte.

En écoutant et en analysant l’histoire des dirigeants, vous pouvez commencer à élaborer en quelque sorte un thermomètre factuel. Il vous aidera à faire le tri entre les histoires chargées d’émotions et celles qui s’en tiennent aux faits. Une écoute attentive vous aidera à mieux comprendre et à discerner les bons des mauvais leaders. Et surtout vous pourrez devenir le dirigeant que vous voulez être.

Trente cinq questions pour une compréhension approfondie
Comme je l’ai fait remarquer au premier chapitre, vous avez acquis la majorité de vos compétences dans votre tout premier système social, votre famille. Une grande part de votre être intérieur s’est donc développée alors que vous étiez jeune et que vous n’en aviez pas vraiment conscience. Rien d’étonnant à ce que vous ne soyez pas toujours très lucides sur vos capacités actuelles. Par conséquent, j’ai énoncé les 33 questions suivantes pour vous aider à faire le lien entre vos expériences précoces et vos capacités à diriger actuelles et à construire sur votre savoir faire naturel. (J’ai remis également cette liste aux dix personnes que j’ai interviewées dans ce livre.)

Lisez les, réfléchissez-y et méditez sur celles qui vous parlent. Il n’y a pas de réponse juste. Ces questions ont pour but de vous inciter à la réflexion. Si elles réveillent une grande histoire qui vous éclaire sur ce qui vous a incité à diriger et sur les points forts sur lesquels vous voulez bâtir, alors ce sont de bonnes questions.

1. Votre famille tenait-elle à cultiver des relations ouvertes ? (C’est le type de relation où chacun exprime à tour de rôle sa façon de penser, avec calme et transparence. Les relations ouvertes favorisent la réflexion personnelle.)
2. A quel âge avez-vous pu discuter ouvertement de vos principes et de vos valeurs en tant que dirigeant ?
3. Etaient-ils en accord avec ceux de votre famille d’origine ?
4. Comment gériez-vous la critique quand vous étiez jeune ? Et maintenant que vous êtes adulte ?
5. Quel enseignement pensez-vous avoir tiré des qualités de ceux qui comptent pour vous ?
6. Quels sont les évènements de votre jeunesse qui ont contribué à faire de vous un leader?
7. Votre rôle de responsable familial a-t-il été la conséquence directe de votre position dans votre fratrie ?
8. Le travail de l’un ou l’autre de vos parents vous a t-il inspiré des principes pour votre leadership ?
9. Quelles qualités appréciez-vous particulièrement chez votre mère, votre père, vos grands-parents, vos oncles et tantes ?
10. Quelles capacités à diriger votre famille a-t-elle discernées en vous quand vous étiez plus jeune ?
11. A quelle occasion avez-vous fait vos preuves pour la première fois dans votre famille ou votre entourage ?
12. Quelles étaient les relations entre vos parents, vos grands-parents et votre famille élargie ?
13. A quel âge avez-vous affirmé pour la première fois vos principes existentiels face à vos parents, vos frères et sœurs ou vos amis ?
14. A quel âge avez-vous découvert votre passion pour votre travail ?
15. Comment pensez-vous avoir influencé vos collègues, les étudiants ou un public plus large ?
16. Quelles sont les forces économiques et sociales qui ont marqué la vie familiale et professionnelle de votre génération?
17. Etes-vous doué pour prédire ce qui va se passer ?
18. Sur quels critères définissez-vous les qualités de dirigeant chez les autres ?
19. Avez-vous une recette pour travailler avec les autres ?
20. A quel âge avez-vous commencé à savoir comprendre les autres ?
21. Comment savez-vous quand vous devez être authentique ou au contraire stratégique ?
22. Comment faîtes-vous pour maintenir le contact avec les autres après un différend ?
23. Comment faîtes-vous pour rester positif quand on vous comprend mal ou qu’on sabote vos efforts pour arranger les choses ?
24. Y a-t-il eu des évènements dans votre vie familiale passée qui vous ont appris à diriger ?
25. Les relations entre vos grands-parents et vos parents vous ont-elles apporté quelque chose ?
26. Quelles sont les qualités de dirigeant que vous reconnaissent vos parents et vos frères et sœurs ?
27. Quand avez-vous su pour la première fois que vous pouviez faire changer les choses ?
28. Quelle est votre histoire préférée sur votre position de dirigeant ?
29. Qu’avez-vous appris sur le travail d’équipe dans votre famille d’origine ?
30. Quels sont les principes qu’elle vous a enseignés et que vous pouvez reporter sur votre travail ?
31. Comment gérez-vous la pression de ceux qui vous poussent à aller dans leur sens?
32. A quelle situation particulièrement difficile avez-vous été confronté ?
33. A votre avis, quelle sera la prochaine ?

La discipline d’écoute
Maintenant que vous avez réfléchi à ces questions, je voudrais simplement rajouter deux suggestions. D’abord, plusieurs questions et idées peuvent vous venir à l’esprit quand vous écoutez les gens dans un cadre professionnel. Et comme vous risquez de les oublier, vous pouvez avoir envie de les noter. Quand par exemple j’ai réécouté les cassettes des interviews des 10 leaders, j’ai noté par écrit les idées qui me venaient à l’esprit. Parfois, elles ont soulevé en moi des questions plus profondes, et parfois elles m’ont enfermée dans une optique plus étroite. Mais ce fut toujours un enrichissement. Vous pouvez en faire autant.

Ensuite, n’oubliez pas que si vous écoutez quelqu’un raconter son histoire en vous référant aux quatre points de la boussole, vous prendrez un certain recul et pourrez aussi construire votre propre boussole. Voici quelques suggestions pour vous aider :

• Pendant que vous écoutez, demandez-vous si l’individu a exprimé ce qui est important pour lui. Recherchez les phrases à la première personne: « Voici ce que je suis décidé à faire ou ne pas faire. » C’est le premier point sur la boussole, la capacité à définir sa vision ou ses objectifs.
• Si les phrases à la première personne se concrétisent par des actes, vous avez un autre point sur la boussole : prévoir et faire face à l’opposition au changement qui vient de soi ou des autres.
• Demandez-vous ensuite si l’individu est conscient de ses points forts et de ses points faibles. Vous aurez la réponse en observant dans quelles mesures il met à exécution ce qu’il déclare. Doit-il son succès à l’analyse qu’il fait de son système relationnel actuel et de celui dans lequel il vivait auparavant ? C’est le point de la boussole qui correspond à la capacité à être en relation avec les autres.
• Et enfin, demandez-vous dans quelles mesures l’individu s’autogérait, se démarquait et fonctionnait de manière autonome sans chercher à contrôler les autres ni à s’attirer leur soutien pour les objections à sa vision et à ses objectifs.

Chapitre Trois- Les interviews : Jim Walsh, Gary Resnick et Art House

Le prix de la grandeur, c’est la responsabilité
Winston Churchill

La science des histoires
En méditant sur votre histoire et sur celle des autres, vous commencerez à construire sur « la connaissance des processus », c’est-à-dire comment l’impact d’une chose sur une autre engendre des transformations. Vous serez mieux équipé pour réagir avec sagesse à des situations diverses. En acceptant de découvrir et de raconter votre histoire, vous reconnaissez la souplesse extraordinaire du cerveau humain pour comprendre son fonctionnement et entreprendre un travail. En analysant ce qui s’est passé, vous pourrez ôter vos œillères relationnelles et triompher de vos habitudes négatives.

Il existe toute une documentation sur la science de la compréhension des histoires. Elle a ciblé jusqu’à maintenant les prévisions sur les comportements parentaux, mais sont-ils si différents de ceux des leaders? Pourrait-on faire le lien entre élever un enfant et être un bon dirigeant ? Il semble que oui, notamment dans les domaines où le succès des futurs dirigeants est subordonné à la liberté intellectuelle et/ou à l’accompagnement.

Les dirigeants que j’ai interviewés entrent dans la catégorie des individus volontaires pour assumer leurs responsabilités, ce qui nécessite de connaître les responsabilités de chacun et de savoir déléguer les siennes. Il ne s’agit pas seulement de diriger mais également de préparer les autres à assumer leurs responsabilités. C’est dans cet esprit qu’on peut faire le parallèle entre une entreprise et une famille et entre un dirigeant et un bon parent.

La survie de la famille ou du groupe dépend de sa faculté à s’adapter au quotidien, à anticiper un avenir inconnu et à y préparer les autres. Un grand leader se préoccupe moins de sa supériorité hiérarchique que d’assurer la réussite des autres.

Il est important de souligner que les interviews se déroulaient sous forme d’échanges réciproques. Ils ne se limitaient pas à une série de questions auxquelles il suffisait de répondre par oui ou par non comme dans les entretiens entre patient et thérapeute. Le but était que chacun examine ses systèmes dans leur contexte global sans se focaliser sur quelque domaine que ce soit.

Jim Walsh
Jim Walsh est un ancien directeur publicitaire qui s’est installé à Hawaï en 1986. Il est PDG de la société Hawaiien Vintage Chocolate. Il se consacre à la production du cacao le plus fin du monde selon un processus basé sur la génétique et qui se poursuit par une passion pour les arbres et des conditions de production inégalées au monde.

On pourrait dire que les personnes que j’ai interviewées pour ce livre se répartissent sur une échelle en fonction de la façon qu’ils ont de raconter leur histoire. D’un côté se situent les penseurs abstraits qui peuvent prendre du recul par rapport à eux-mêmes pour raconter leur histoire, analyser leurs expériences et en évaluer l’impact. De l’autre, ce sont ceux qui, comme Jim Walsh, racontent les détails de leur vie avec tant de précision et de conviction que nous pouvons presque revivre leur histoire avec eux. Jim Walsh illustre combien on engage le bien-être de sa famille et de tout son entourage quand on est profondément déterminé à chercher à bien se connaître.

Walsh a vécu bien des évènements qui le distinguent des autres, et il a des souvenirs précis de certains détails de sa vie qu’il raconte dans des portraits fascinants. Peu de gens se souviennent de leurs premières années, encore moins comprennent comment elles ont façonné leur existence. Mais Jim Walsh en est bien conscient. Il a une grande ouverture d’esprit et j’ai donc apprécié la complexité et la cohérence de son histoire.

• AMS. Ce qui caractérise entre autre un leader, c’est sa capacité à préserver son identité tout en restant engagé dans ses relations. Je suis toujours curieuse d’entendre comment se passe la première tentative de s’affirmer face à l’autre.
• JW. Quand j’étais tout jeune, j’avais l’impression d’être uni au soleil et de ne faire qu’un avec l’univers. C’est une sensation et un souvenir très anciens mais encore très présents dans ma mémoire. Quand j’avais deux ans et demi, je me suis rendu compte pour la première fois que j’étais un être à part entière. Je me souviens que je jouais dehors avec d’autres enfants et que je ne voulais pas aider ma mère au jardin. Je suis donc rentré à la maison pour jouer avec le chat. J’avais mon idée en tête mais ma mère a envoyé mon frère me chercher. « Maman m’envoie te chercher », a-t-il dit. « D’accord, j’y vais si je peux monter sur ton vélo. » Il a dit oui, mais en chemin, j’ai perdu ma chaussure. En descendant de vélo, mon pied s’est pris dans les rayons et mon orteil s’est arraché. C’est là que j’ai compris que j’étais un être à part entière. J’ai du aller à l’hôpital pour me faire recoudre l’orteil. C’est là que j’ai pris conscience que j’étais différent des autres.
A cinq ans, j’ai découvert que je ne ressemblais pas à mes frères et sœurs. Je n’avais pas la même couleur de cheveux. Puis à l’école quand je me suis vanté d’avoir un père médecin, mon meilleur ami m’a dit ceci : « Tu n’es pas un Walsh, tu as été adopté. » Je suis rentré chez moi, j’ai pris mon goûter et ensuite j’ai raconté à ma mère ce que m’avait dit mon ami. Elle était entrain de poser un verre sur l’étagère et elle est restée figée quand elle a entendu ça. J’ai compris que c’était vrai, que j’avais bien été adopté et que je ne savais pas qui j’étais.
Ma mère m’a dit : « Nous voulions te le dire quand tu serais plus grand. » Mais ma vie a changé à partir de ce jour là. Mes relations avec mes parents sont devenues difficiles et j’étais le seul enfant à la maison. A l’âge de huit ans, on m’a accusé à tort d’avoir volé. Je me vois encore assis sur les marches devant la maison jurant que je ne laisserais jamais personne diriger ma vie.
• AMS. Voulez-vous dire que cette dernière expérience a renforcé votre détermination à vous affirmer davantage par rapport aux autres ?
• JW. Tout était une question d’essayer de comprendre qui j’étais. Je repensais aussi aux Sœurs Dominicaines qui venaient chez nous. J’ignore si elles avaient quelque chose à voir avec mon adoption.
• AMS. Mais vous vouliez en savoir plus ?
• JW. Oui, quand j’étais au collège, j’ai décidé avec mes amis de rechercher mon certificat de naissance dans les dossiers de mon père pour essayer d’en savoir plus sur mes parents. Nous avons trouvé un document avec ma date de naissance indiquant que le nom de ma mère était Ann Smith.
• AMS. Avez-vous rencontré votre mère biologique ?
• JW. Je ne me suis pas vraiment préoccupé de ma famille biologique jusqu’à ce que Marie, ma femme, soit enceinte de ma fille aînée, Ashley. J’ai voulu alors connaître les antécédents génétiques de ma famille. J’ai donc demandé à ma mère d’organiser une rencontre avec Ann Smith, ce qu’elle a fait. Mais ma mère biologique s’est désistée. J’ai donc décidé de le faire moi-même. J’ai trouvé où elle habitait, je suis allée chez elle un après-midi, j’ai frappé à la porte en disant : « C’est Jim Walsh ». Il était trois heures, l’école se termine à 3 heures et quart et elle avait sept autres enfants à qui elle n’avait jamais parlé de moi. J’ai insisté pour savoir qui était mon père. Elle n’a pas voulu me le dire, alors je suis parti.
Ma mère adoptive n’a pas voulu me le dire non plus, car les familles étaient amies. Personne ne voulait se faire ombrage. Ma mère adoptive a maintenant 96 ans et j’ignore toujours qui est mon père biologique. D’après ce que je sais, quand celle-ci va mourir, ma mère biologique pourra m’en dire plus. Ma mère est une intellectuelle, elle réfléchit beaucoup et il y a encore un secret qui lui fait peur. Elle n’est pas encore prête à le révéler.
• AMS. J’entends la frayeur des familles devant des situations qui leur semblent trop lourdes à gérer. Elles préfèrent souvent taire l’information. Cela les soulage peut-être à court terme mais les choses se compliquent à la longue et c’est l’impasse. Les relations familiales risquent de se rompre et les membres de la famille n’ont pas l’occasion de gérer les difficultés avec leurs dons naturels.
Quelle a été votre relation avec vos frères et sœurs quand ils ont appris votre adoption ? Avez-vous vu des changements dans vos relations avec vos parents et vos frères et sœurs ?
• JW. J’avais trois frères plus âgés que moi, Tom qui avait 8 ans, un qui en avait 5 et Mike qui en avait 3. Quand la nouvelle de mon adoption a été connue, on m’a traité différemment. Ma mère me faisait deux gâteaux pour mon anniversaire, l’un pour ma famille biologique et l’autre pour ma famille adoptive. Il y a eu une véritable rupture. Mes frères sont partis en pension et je suis resté tout seul avec mes parents pendant plusieurs années, puis ce fut à mon tour d’y aller. Ma mère vivait des temps difficiles. Elle s’impliquait beaucoup dans son rôle de femme de médecin d’un petit village. Peut-être n’avait-elle pas beaucoup d’occasions de développer son identité car elle vivait dans une petite communauté semi rurale. Elle ne cherchait jamais à savoir ce qui se passait. Elle a fait une dépression pendant un temps, mais ça n’a pas duré. Je ne crois pas qu’elle était heureuse en mariage. Elle disait toujours que la meilleure période de sa vie avait été ses années de collège quand elle voulait devenir religieuse. Mes parents se sont mariés dès que mon père a terminé ses études de médecine. Elle a été heureuse au début de son mariage.
Je voulais essayer de comprendre comment ça s’était passé entre eux. Et je ne voulais pas avoir besoin des autres et supporter les tensions à la maison. J’ai fait appel à mon sens de l’humour pour m’engager auprès des autres. Mon père avait aussi un bon sens de l’humour et je pouvais parfois rebondir dessus. Mes rêves m’on été aussi très utiles tout au long de ma vie.
Après le collège, je suis allé à l’Université du Wisconsin où je suis entré en année préparatoire de médecine. Je voulais suivre les traces de mon père. Mais en fait j’avais toujours eu l’âme d’un chef d’entreprise. J’avais aidé dans une épicerie quand j’avais 11 ans. Au collège, j’organisais des concours de musique avec mon frère. Il avait besoin de moi pour créer un club sur le campus universitaire et pouvoir louer la maison polyvalente de l’Université du Wisconsin. J’avais 19 ans quand nous avons décidé d’organiser notre principale manifestation. Comme mon oncle était doyen des services d’admission, je lui ai demandé conseil. Il m’a conseillé de lancer un club de musique avec l’autorisation de l’université pour louer ensuite la maison polyvalente.
Mon frère et moi, nous avons créé une caisse spéciale pour organiser des évènements de petite ampleur. Nous voulions maintenant passer à l’étape suivante et faire venir un orchestre d’Angleterre. J’avais besoin pour cela de 25 000 dollars. Je fréquentais Marie depuis six mois. J’appréciais beaucoup sa famille à qui j’ai demandé de me prêter cet argent. Ils ont accepté. Son père est allé à la banque pour faire un emprunt sur leur maison. Le premier concert de la tournée nationale s’est joué à guichet fermé. Marie et moi, nous sommes arrivés en limousine en ayant fait 60 000 dollars au premier des douze concerts qui allaient suivre. Je lui ai dit : « Comme c’est facile ! » Mais les problèmes ont commencé. Un nuage de fumée s’est soudain élevé au milieu de la salle. La sono a explosé. Nous avons essayé de faire un petit bricolage mais la tension a commencé à monter dans la salle. Les spectateurs se sont mis à proférer des injures et le principal chanteur a lancé son micro sur une femme dans le public. On a du la transporter à l’hôpital. On a promis aux gens qu’on les rembourserait le lendemain et on a essayé de faire comprendre aux musiciens qu’il leur fallait maintenant payer les soins pour la femme qui avait été blessée. Ils ont rompu leur engagement pour cette tournée nationale et sont repartis en Angleterre.
Je me suis retrouvé à 19 ans avec une dette envers mes futurs beaux- parents de 25 000 dollars. Il me fallait renoncer à mes études de médecine et rembourser cet argent au plus vite. Je savais que j’étais doué pour le commerce et je suis donc entré dans une entreprise agricole. J’ai pu ainsi rembourser ma dette en trois ans.

• AMS. Le blâme est un problème important et difficile. Les parents font souvent tout ce qu’ils peuvent pour que tout aille bien pour leurs enfants. Ils se préoccupent beaucoup plus de leurs enfants que de ce qu’ils font personnellement. Ils leur mettent la pression et les responsabilisent pour les mettre sur la bonne voie. C’est souvent un véritable défi pour les parents de porter un regard objectif sur leur propre fonctionnement. Comment se situait votre mère dans sa fratrie?
• JW. Elle était fille unique. Son père tenait une épicerie, une bonne affaire dans les Knights of Colombus, et il était huissier d’armes au Sénat. Il avait épousé Maggie, l’aînée de trois sœurs. Maggie était impitoyable. Même mon père en avait peur. Elle a passé les six derniers mois de sa vie avec nous. Elle avait une vieille canne noueuse et quand je lui apportais son plateau, elle tapait avec sur son lit en me disant « Sors d’ici, pauvre diable ! » Je partais en courant. Mais les sœurs étaient très proches. Mon père et mon oncle par alliance ont construit une maison où la cuisine était orientée comme Maggie l’avait décidé, même si c’était la maison de ma mère.
• AMS. Quelle histoire ! Mais on peut voir se transmettre de génération en génération la peur de contrarier l’autre, parfois même à juste titre. Faire passer la famille avant tout est incontestablement une épée à double tranchant. Chacun doit céder une grande part de lui-même pour satisfaire la force dominante, et c’est parfois dangereux sur plusieurs générations.
Peut-on en revenir à vos points forts et à ce que vous en avez fait au travail ?
• JW. Mon entrée dans l’agriculture a éveillé en moi un intérêt pour les entreprises et j’ai voulu voir comment elles travaillaient. A 23 ans donc je me suis adressé à une société de recrutement en postulant pour un travail avec beaucoup de contacts avec les autres entreprises. Ils m’ont trouvé un emploi dans une société motivée située à la périphérie de Minneapolis. L’un de ses concurrents m’a recruté un an et demi plus tard. Il m’a demandé de reprendre la tête de l’entreprise car son détenteur n’avait pas d’enfants. J’ai apprécié de travailler avec lui et j’ai beaucoup appris à son contact mais ensuite il est parti travailler pour la société Green Stamps. L’activité a changé. J’ai décidé de ne pas attendre plus longtemps et j’ai démarré ma propre société.
La société J.P Walsh et compagnie était une société qui reconnaissait ses pairs. Dans beaucoup de grandes sociétés, les hommes d’affaires obtenaient des voyages ou d’autres sortes de primes. J’étais en bonne relation avec beaucoup de grandes compagnies allemandes comme Volkswagen ou Mercedes. Mon objectif final était à l’époque de créer un cabinet de commissaire aux comptes afin de pouvoir acheter beaucoup d’autres compagnies comme Howard Hugues. J’avais la trentaine et j’étais propriétaire de sept compagnies à Chicago.
L’autre tournant dans ma vie a été l’interview que m’a accordé Ken Darby du Sun Times. Je lui disais qu’après avoir atteint mon objectif de devenir millionnaire à 30 ans, je voulais nourrir la population mondiale avec les océans. C’est une idée qui m’avait traversé l’esprit et qui ne me quittait plus. Environ un an plus tard, j’étais en plein surmenage et j’ai donc décidé d’aller faire du rafting avec mon beau-père au Chili. J’y ai été gravement blessé à la tête. Le médecin à bord a pensé que je ne m’en sortirais pas et m’a incité à écrire à ma famille mes dernières volontés. Je savais aussi que j’étais entre la vie et la mort et que ce serait épuisant de sortir des Andes.
Cela faisait douze ans que j’étais marié avec Marie. Je savais qu’elle s’en sortirait. Ashley avait trois ans. Elle avait du caractère et elle s’en sortirait aussi. Mon beau frère était le numéro deux de la société et je pouvais lui transmettre mes instructions. Puis j’ai décidé de choisir de vivre. Marie était enceinte de sept mois de ma fille Camryn que je ne connaîtrais pas. J’ai su que je devais vivre pour voir cette enfant.
Mon frère Bill venait de travailler sur la visualisation créatrice et je venais de lire un livre sur le sujet. J’ai pris conscience alors qu’il me fallait décider. Je pouvais mourir sur la rivière ou me rétablir et vivre. J’ai commencé à visualiser la blessure. C’était une grosse boule de sang et si elle gagnait mon cerveau, j’étais mort. J’ai visualisé un mur autour pour l’empêcher de se détacher en traversant les montagnes.
Nous avons réussi à rentrer. J’ai ensuite passé un mois aux soins intensifs. Il m’a fallu un an et demi pour retrouver mes capacités cognitives. L’heure était venue pour moi de reconsidérer mon projet de vie. Je voulais faire quelque chose pour les Scouts qui m’avaient aidé. Je voulais vivre dans un pays chaud où je pourrais voir mes enfants tous les jours. Bref j’allais devoir passer des heures à faire un tableur Lotus pour y mettre au clair toutes les options qui s’offraient à moi. Marie pouvait vendre un certain nombre de nos sociétés et j’ai repris mon activité en 1984.
J’avais décidé de travailler dans l’alimentaire et j’ai étudié quel domaine je pouvais développer. Mon esprit d’entreprise et ma volonté de résoudre mes problèmes moi-même ne m’avaient pas quitté. J’ai rencontré par hasard le président de Hershey et je lui ai demandé s’il semait des graines de cacao à Hawaii. Il a dit que non mais qu’il aimerait bien car l’Afrique se trouvait dans une situation politique instable. Je lui ai proposé d’être mon associé technique et en 1986 une exploitation de graines de cacao voyait le jour à Hawaii. Il faut 25 ans pour que le cacaotier pousse. Mais je réalisais mon rêve : le climat chaud, les enfants autour de moi et une récolte naturelle énergétique.
Quand notre dernière fille a obtenu son diplôme de fin d’études secondaires, Marie a voulu revenir sur le continent car les quatre saisons lui manquaient. Nous sommes donc revenus vivre aux Etats-Unis. J’étais PDG d’une affaire florissante, quelle serait donc la prochaine étape ?
Il me fallait y réfléchir sérieusement. J’ai pris une année et je suis tombé en dépression. Mais une autre idée d’investissement en a jailli, j’allais mettre à profit les connaissances techniques de la société Hawaiian Vintage Chocolate pour une alimentation pratique. Elle serait distribuée sous forme de tablettes faciles à manger, diététiques mais agréables au goût et énergétiques. On les a appelés SOBE. C’était une excellente idée mais elles ont mis trop longtemps à arriver sur le marché. Nous avons remplacé la fabrication de ces tablettes par d’autres sans glucides que nous avons appelées les Z-Bar. Nous développons aujourd’hui toute une gamme de produits nutritifs.
Hawaiian Vintage était le chocolat pour ceux qui ont tout, celui qu’il faut avoir. Clinton en a offert au chef d’Etat Chinois en 1995. Le Dalaï Lama l’appréciait particulièrement. J’ai reçu un jour un appel d’un certain Mark Hopkins. Il me disait qu’il avait rencontré lors d’une conférence un shaman qui voulait rencontrer l’Américain qui faisait pousser des cacaoyers à Hawaï. Cet homme avait du faire beaucoup de recherches pour me trouver mais il voulait m’apporter un message. Il disait que les arbres avaient un message pour moi : « C’est le rôle du cacaotier de guérir le cœur de l’homme et vous participez à cette mission, alors persévérez. » J’ai toujours eu une sensibilité particulière pour les arbres. Je pense qu’ils me soignent. Ils nous font ce cadeau sous une forme moindre, le chocolat. Les graines de cacao sont source d’énergie et de vitalité.
Le directeur de ma banque d’affaires est venu à Hawaï après sa crise cardiaque pour soigner son mal avec des graines de cacao. Ce fut pour lui un épisode extraordinaire et pour moi l’assurance que j’étais sur la bonne voie.
Je sais qu’il y aura bien des aléas dans les années à venir, mais mon objectif principal sera de nourrir la population et de restaurer la planète.
• AMS. Je sais que vous devez partir maintenant. J’ai beaucoup apprécié cet entretien et j’espère qu’on pourra le reprendre dans les années à venir.

Les points de la boussole de la pleine conscience de Jim Walsh
(1) La capacité à définir une vision : quand il était tout jeune, Walsh avait l’impression de ne faire qu’un avec le soleil et l’univers. C’est une vision puissante qu’il a reprise, sur laquelle il s’est fondé et qu’il a utilisée pour centrer ses objectifs de vie à travers les épreuves et les changements. L’accident de son pied à l’âge de trois ans lui fait prendre conscience de son individualité. Accusé à tort d’avoir volé quand il a huit ans, il est farouchement déterminé à ne compter que sur lui. Oui on peut penser qu’il est allé un peu trop loin dans cette dernière histoire mais l’autonomie est un besoin puissant qu’on peut domestiquer. Et c’est ce qu’il fait quand il entre au collège. Il est déterminé à entrer en année préparatoire de médecine et à suivre les traces de son père. Quand une autre épreuve vient briser ce rêve, Walsh a la faculté de réajuster sa boussole et avec la confiance qu’il a en lui et son sens de l’autonomie, il trouve le moyen de gagner l’argent nécessaire pour rembourser sa dette.
(2) Le refus du changement qui vient de soi ou des autres : Nous affrontons l’une des résistances majeures de notre existence quand nous devons faire le choix de vivre ou de mourir. On connaît bien des histoires de malades en phase terminale qui attendent pour mourir d’avoir faire leurs adieux à toute leur famille ou qu’un enfant ait obtenu son diplôme de fin d’études secondaires. Mais peu d’entre nous ont du faire face à une blessure quasi fatale et décider d’accepter la mort avec résignation ou de se battre pour vivre. Il y a une certaine sérénité à accepter de se résigner à mourir et une certaine résistance à accepter l’idée que la vie touche à sa fin. Walsh analyse méthodiquement les deux alternatives et il prend la décision de vivre pour assister à la naissance de son enfant. Il se crée une vision mentale pour résister à la mort et se centre sur ce qu’il doit faire pour s’en sortir. Il écrit aussi à ses bien-aimés pour leur exposer ce moment décisif de sa vie. Cet exercice, comme celui d’écrire ses dernières volontés, libère peut-être les gens d’une frayeur trop intense et les incite à vivre. Nous devons savoir qu’on se heurte constamment à des résistances mais qu’il est inutile de leur accorder trop d’importance.
(3) La capacité à entrer en relation: Walsh nous parle de sa détermination à entrer en contact avec sa famille biologique. Sur un plan spirituel, ses premières sensations de ne faire qu’un avec le soleil et l’univers se retrouvent dans sa volonté de vivre et d’entrer en contact avec toutes les formes de vie. Sur un plan professionnel, il aime le contact à travers la vente. Le plus difficile pour quelqu’un de relationnel, c’est d’apprendre à se démarquer suffisamment pour être bien au clair avec ses valeurs et leur rester fidèle. Il semble que Walsh ait su trouver un très bon équilibre.
(4) La capacité à être soi-même dans les relations : Walsh a eu deux avertissements douloureux qui lui ont fait prendre conscience de son individualité et de sa différence. Le premier a été l’accident de son orteil et le deuxième la nouvelle de son adoption. On a le choix de briser ou de construire son avenir en s’apitoyant sur son malheur et sa différence ou en cherchant à tirer partie de cette individualité pour réussir. Quelqu’un qui comme Walsh a su se démarquer de sa famille ne risque pas de se laisser contaminer par l’intensité psychologique des autres. Il est également capable au plus haut niveau de laisser s’apaiser la colère et les déceptions qui accompagnent souvent la prise de conscience de sa différence et de son individualité.
L’histoire de la vie de Walsh gravite autour de l’importance d’être soi-même tout en restant en contact avec les autres. Elle est le témoignage d’un homme qui a appris à compter sur lui-même et a donc développé une grande productivité en restant profondément fidèle à ses valeurs et engagé dans ses relations familiales et sociales.

Gary Resnick, Docteur en philosophie.
Gary Resnick est Directeur de la Division Biosciences au Centre pour la sécurité de la patrie au Laboratoire National de Los Alamos.
Son esprit scientifique lui a permis de bien comprendre l’importance de prendre en compte des points de vue divers sans porter un regard trop positif ou négatif sur les principes, les hypothèses et les théories présentées. Resnick est un homme de sciences et il était donc la personne toute indiquée pour contester certaines de mes hypothèses sous-tendant l’interview et s’appuyant sur la Théorie Familiale Systémique. Il doutait par exemple que ses premières relations aient influencé plus tard ses capacités à diriger. J’étais fascinée car on a besoin de sceptiques qualifiés et ouverts d’esprit pour tenter d’établir un lien entre les relations, les évènements de la vie et l’art de diriger. Cet entretien avec Gary Resnick a donc été pour moi un grand privilège.

Gary Resnick se situe entre un frère aîné et un petit frère (qui est mort jeune). Il n’a pas joué le rôle de l’aîné qui conduit logiquement au leadership. Resnick a donc fait le choix de devenir leader.

C’est mon ami Norman Johnson qui nous a présentés. Ils travaillaient ensemble sur les problématiques de sécurité après les attentats du 11 septembre. Ce que j’ai tout de suite remarqué, c’est le côté observateur de ce « chef ». J’étais assez surprise car j’avais devant moi un leader averti qui ne monopolisait pas toute la conversation. Je n’avais pas l’impression de dialoguer avec un « chef ».

Resnick et Johnson sont tous deux des scientifiques mondialement connus dans le domaine de la protection biologique et chimique. Quand je les ai rencontrés, ils travaillaient à définir les différents modes de réaction aux catastrophes tandis que j’essayais de réfléchir au moyen de transmettre les informations aux gens sans les angoisser. Nous partagions le même désir de comprendre comment les groupes et les individus réagissent aux informations qu’on leur transmet. Resnick et moi, nous assimilons les humains et les microbes à des systèmes autonomes pleins d’énergie. Nous savons que les organismes en bonne santé savent s’adapter aux environnements changeants et que toute espèce vivante doit anticiper ses stratégies, sinon… !

Quand j’ai demandé à Resnick s’il voulait bien prendre part à un entretien afin d’essayer de comprendre quel lien il pouvait y voir entre les relations précoces et l’art de diriger, il a tout de suite accepté. Il a toutefois émis la réserve qu’il risquait de me décevoir car il ne voyait pas très bien comment sa famille avait pu influer sur son leadership.

Je lui ai demandé avec curiosité comment il était devenu un leader.
• GR. Quand j’étais tout jeune, je ne cherchais pas vraiment à diriger, et pourtant on me prenait pour un dirigeant et on m’y encourageait. C’est peut-être parce que j’étais doué pour résoudre les problèmes. J’ai même refusé de prendre les choses en mains, et surtout quand on a fait pression sur moi.

Plus tard, quand j’ai commencé à étudier l’éthologie (qui observe entre autre le comportement du dominant et du dominé chez les animaux), j’ai commencé à me faire mon opinion sur ce que font les humains. Je connaissais les activités et les besoins d’un système social pour vivre. Je constatais qu’il y a aussi des chefs et des exécutants chez les fourmis et que la plupart d’entre elles conservent leur position avec une certaine flexibilité. Je voulais connaître les différents rôles et savoir comment ils se répartissaient.
J’ai obtenu mon premier vrai emploi quand j’ai approché la trentaine, après mes études de médecine. Mon travail prenait une direction très scientifique et je ne sais pas trop comment j’ai ouvert les yeux, mais j’ai pris conscience du système social qui m’entourait. J’ai commencé alors à chercher comment bien le traiter. Je n’ai cessé de gravir les échelons. Je me suis mis à me documenter sur le leadership.
Quand j’ai eu 36 ans, j’ai suivi un stage de formation au leadership au cours duquel j’ai pu voir les effets du groupe sur les leaders. On se trouvait dans une situation où tout le monde était au même niveau. Au bout d’un moment, on a fait venir les leaders au milieu du groupe et chacun devait leur donner ses impressions sur leur façon d’agir. Je n’avais pour ma part pas eu de retour et j’ai donc été surpris, quand on m’a demandé de venir au milieu, par la fureur de certains à mon égard. Ils me reprochaient violemment de ne pas avoir été attentif pendant les cours.
« Quoi ? » dis-je, « Je suis là pour comprendre le cœur du problème. Ensuite, je ne fais plus attention et j’attends le sujet suivant. »
On m’a répondu ceci : « Si vous ne faîtes plus attention, vous dépréciez ce qui se passe. »
J’ai vu que Resnick avait tout de suite compris que le groupe lui demandait de réagir en leader même si tout le monde devait être sur un pied d’égalité. Resnick s’est opposé à la pression du groupe.

• GR. Je leur ai dit ceci : « Comment serais-je un leader quand il ne doit pas y avoir de différences entre nous? » J’ai pris conscience de quelque chose. Ils faisaient pression sur moi parce qu’ils avaient « besoin » que je les dirige. Le groupe s’attendait à ce que je les manage. Comme je n’ai pas répondu à leurs attentes, ils se sont montrés critiques à mon égard, jusqu’à ce que je leur en fasse prendre conscience.
En écoutant son histoire, j’ai réalisé qu’elle était une bonne illustration de la pression du groupe sur les individus, souvent aux dépens de tous. Il est important de bien voir ces types de relations dans lesquelles les membres du groupe se déchargent de leurs responsabilités sur un individu plus influençable.

• GR. Un dirigeant doit savoir faire preuve de bon sens. Il doit aussi être capable de résoudre les problèmes des autres. Je suis un peu atypique en ce sens que je sais résoudre les problèmes pour répondre aux besoins des autres. Je sais leur donner de bons conseils. C’est un peu ce qu’on appelle la mentalité de « la plénitude » : « Il y en aura pour tout le monde. En travaillant dur, j’aurai tout ce que je veux. » C’est tout l’opposé de l’esprit de compétition : « Il n’y en aura pas pour tout le monde. Il faut que je passe avant les autres. Il y aura un perdant»

Il est intéressant de souligner que l’attitude positive de Resnick lui permettait de garder un point de vue intuitif et objectif : tout en comprenant les dilemmes de la personne, il pouvait lui prodiguer des conseils avisés.
Resnick a remarqué qu’en guidant les gens dans leur choix de carrière, il perçoit souvent les différents aspects d’un problème et les nombreux moyens d’en sortir. Son approche est la suivante : « Il y a un besoin institutionnel et voici comment vous pourriez vous intégrer dans l’avenir de cette entreprise. Et nous pouvons aussi examiner votre besoin personnel et la meilleure solution pour vous. »

Voici une bonne illustration d’un dirigeant qui encourage la responsabilité personnelle de l’individu en lui donnant accès à toute l’information. Il est alors en mesure d’exploiter son intelligence pour analyser ses décisions dans les grands axes.

Apprendre en s’identifiant ou en se différenciant des autres.
Quand nous avons abordé les dynamiques familiales de Resnick et les facteurs d’influence qui ont mis en valeur ses capacités à diriger, il a dit : « Je ne vois pas comment ma famille m’a influencé car nos échanges étaient très restreints. »
J’ai répliqué que certains apprennent en s’identifiant tandis que d’autres observent ce qui se passe autour d’eux et retiennent ce qu’il ne faut pas faire. Les recherches sur la famille démontrent que les gens trouvent souvent d’autres moyens de se gérer au lieu de suivre des stratégies qui ne semblent pas performantes. Les enfants voient souvent leurs parents qui ne s’en sortent pas, ils ne disent rien et poursuivent leur chemin. S’il ne se sent pas jugé, l’individu a plus de chances de se laisser guider par sa réflexion.
Resnick accueille avec objectivité les informations personnelles. Il a écouté mes idées avec attention et en a testé quelques unes. Il a examiné scientifiquement les effets indirects des évènements familiaux sur la vie des gens.
Après avoir écouté mes réflexions sur les enseignements que les gens tirent de leur famille, il a dit : « C’est vrai, quand j’explique pourquoi je fais telle ou telle chose, je me perds trop dans les détails. Et ça vient probablement du fait que mes parents ne communiquaient pas très bien. Je ne veux pas qu’on me reproche plus tard de ne pas avoir donné toutes les opportunités de réussite. Je considère que je dois informer les gens sur ce qui les attend. Je les mets devant leurs responsabilités pour qu’ils s’en sortent. Je leur expose de nombreux aspects de la situation pour qu’ils puissent se décider en connaissance de cause et prendre leurs responsabilités. »

Il a ajouté : « J’ai grandi dans un contexte où il y avait peu d’échanges profonds sur les changements importants dans la vie de la famille. »

J’ai répondu : « Vous avez peut-être été un peu avantagé par rapport à votre frère aîné qu’on a probablement davantage poussé à perpétrer les traditions familiales et donc aussi cette absence de dialogue. Votre position de second dans la fratrie vous a permis davantage de grandir comme vous le vouliez. »

Resnick a reconnu qu’il avait pu grandir à son rythme. Il a ajouté que dans sa famille on se contentait de faire les choses en disant « il faut que ce soit fait ». On ne se demandait pas trop comment ni pourquoi.

Sachant que Resnick avait perdu son petit frère très tôt, je me suis demandée tout haut si cette disparition précoce pouvait être à l’origine de cette absence de dialogue. J’ai aussi noté que Resnick avait 27 ans quand il a commencé à prendre conscience de l’importance des relations. J’ai ajouté que sa découverte des romans (qui s’est faite plus tardivement que chez la moyenne des gens) l’avait peut-être sensibilisé à de vraies relations. En fait, tout ce que nous faisons a son importance, mais nous ne savons pas très bien l’évaluer. Resnick nous parle de ses études après l’université.
• GR. J’ai fait mon doctorat en microbiologie à Rhode Island. C’était passionnant. Je découvrais tout cet univers de la psychanalyse, de la pensée par causes et effets, du mode de fonctionnement entre les gens.
• AMS. Nous savons que c’est l’époque où vous avez commencé à considérer les relations sous un autre angle, mais essayons d’aller plus loin. Comment expliquez-vous un tel revirement dans votre mode de pensée? Quels changements s’est-il produit dans votre famille et dans la société ? On était en 1976 et la guerre du Vietnam était terminée. Votre frère est rentré. Quelle impression vous a-t-il faite à son retour ?
• GR. J’avais très peu d’échanges avec lui. Il a mis quelques années avant de s’en remettre. Il était manifestement marqué par ce qu’il avait vécu.
• AMS. Pensez-vous que son départ et son retour de la guerre aient pu avoir des effets sur vous ?
• GR. Je ne sais pas. Juste pour vous dire à quel point j’étais déphasé, j’ai obtenu ma licence en 1971 et je n’ai pas passé mon examen final avant ma dernière année. Les étudiants grévistes avaient tout bloqué. Je passais mon temps à la pêche. La guerre ne m’intéressait pas.
• AMS. Se pourrait-il que depuis la mort de votre jeune frère vous ayez cessé de vous préoccuper des relations jusqu’au retour de la guerre de votre frère aîné ?
• GR. Je ne sais pas ce qui a provoqué le déclic. Je ne faisais pas partie du système social. Le changement a été soudain. J’ai juste commencé à faire attention aux autres et à la manière dont ils dialoguaient. J’ai changé de lectures. Je me suis mis à dévorer les livres de science fiction. Je n’avais lu jusque là que des ouvrages scientifiques. J’étais séduit par l’idée de concilier les sciences humaines et les sciences exactes.

Un problème que je vois, c’est qu’un leader efficace pourrait encourager les gens au suicide. La société prône les leaders efficaces, mais pas les leaders matures. Mais nous pouvons malgré tout essayer de transmettre certains principes sur les leaders matures. La société applaudit souvent les leaders efficaces qui peuvent encourager les gens au suicide pour épargner les finances de l’entreprise.
• AMS. Pour en revenir à votre famille et comprendre quel type de leader vous êtes devenu, comment le parcours de votre père peut-il avoir affecté vos choix de carrière?
• GR. Mon père a tenté de s’aventurer dans les affaires avec les parents de ma mère mais l’entreprise a fait faillite. Il avait quitté le bâtiment pour se lancer dans la vente au détail à New York. Quand l’affaire a échoué, il est retourné dans le bâtiment. Il a du accepter un poste moins élevé d’aide mécanicien. Il lui a fallu des années pour retrouver son ancien poste.
Je considère ma mère comme une femme de talent qui n’est née ni au bon moment ni au bon endroit. Elle ne pouvait guère espérer un avenir professionnel étant donné la société de l’époque et sa situation financière. Ella aurait aimé se voir confier un poste à responsabilité. Elle aurait aimé travailler dans la comptabilité et réussir brillamment.
• AMS. On dit que si le parcours professionnel du conjoint ne répond pas aux attentes de son épouse, celle-ci va les reporter sur son fils qui réussira mieux que son père.
• GR. Oui, il paraît logique que la mère reporte ses espoirs sur ses fils. Je dois avoir certains points communs avec ma mère. Elle est par exemple très déterminée. Elle n’ira se coucher que si tout va bien pour tout le monde. J’ai peut-être adopté son état d’esprit en faisant toujours attention aux autres. Mais pour rester un bon leader, on a besoin d’avoir un sérieux retour d’information sur ce qu’on fait. C’est indispensable si on veut tout faire pour être un leader de haut niveau.

L’application au cadre familial de ce qu’on découvre dans le cadre professionnel.
• GR. J’avais un ami qui manageait très bien son équipe. Il a été promu ensuite à un poste d’encadrement de trois équipes. Au lieu de placer un sous-directeur pour encadrer chaque groupe, il a voulu les fondre en un seul dont il était le chef. Si vous ne savez pas déléguer, vous aurez à gérer trop de points délicats.
C’est une dynamique que j’applique aussi à ma famille. Je peux décider de m’interposer et de résoudre les problèmes de mon fils en allant voir ses professeurs. Mais si je le traite comme un inférieur, je l’empêche de régler lui-même ses problèmes. D’un autre côté, si je lui apprends à gérer ses relations avec les gens qui lui occasionnent des problèmes, il s’en sortira mieux avec le temps.

Développer ses capacités d’analyse.
• AMS. Je me demande quels effets l’histoire de vos grands parents a pu avoir sur vos facultés d’analyse. Vous connaissez leur histoire en Russie. (Quand on connaît ses racines, c’est une preuve qu’on a gardé le contact avec sa famille et qu’on ne s’en est pas coupé).Vous ignorez peut-être les détails de l’histoire des trois ou quatre générations qui vous ont précédé mais on a toujours quelques anecdotes sur ses ancêtres. Il semble qu’on tire toujours quelque chose des échecs et des succès qui appartiennent aux histoires familiales et que plus on en sait plus notre cerveau est capable de gérer les complexités.
• GR. J’ai conscience que je dois mon désir de réussite à ma famille.
• AMS. Le décès de votre plus jeune frère explique peut-être aussi votre besoin d’aider les plus jeunes. Et vous avez peut-être à coeur d’aider les femmes parce que vous avez conscience de l’avenir professionnel que votre mère aurait pu avoir.
• GR. Oui, c’est vrai, d’ailleurs on m’a félicité d’avoir ouvert la voie de la réussite aux femmes. Mais si je ne vois pas de bons résultats, je ne peux pas diriger. Si je ne crois pas en ce que je fais, j’abandonne ou je cède la place à quelqu’un d’autre.
Je dirais que c’est encore difficile pour moi d’établir une passerelle entre les influences familiales et le leadership. J’entends trois choses qui pourraient influer sur mes capacités à diriger. Je reconnais que ma famille a du jouer un rôle dans le fait (1) que je donne trop de détails, (2) que je fais tout pour réussir car j’ai peut-être peur de l’échec et (3) que j’aime offrir aux autres la possibilité de réussir.
• AMS. Ce fut un entretien très intéressant et nous verrons ce que nous en tirerons. Il y a beaucoup d’idées à creuser. Merci beaucoup.

Les points de la boussole de Gary Resnick
1. La faculté de définir une vision : Resnick nous a partagé deux aspects de sa vision du leadership : Le premier est la nécessité de veiller à bannir tout esprit de compétition et de permettre à chacun de prendre ses décisions en pleine connaissance de cause. Le deuxième est l’idée de concilier les sciences humaines avec les sciences exactes. Cette vision lui a permis d’examiner comment comprendre les gens et d’adopter une approche plus factuelle du fonctionnement humain. Son objectif global, c’est d’apprendre à développer une compréhension approfondie des gens et à devenir un leader qui sait communiquer.
2. Le refus du changement qui vient de soi ou des autres : Ce qui m’a particulièrement plu dans cet entretien avec Resnick, c’est sa sincérité à expliquer qu’il ne voyait pas de rapport entre ses premières relations dans sa famille et ce qu’il a fait ensuite dans sa vie. Mais il est revenu ensuite sur sa position. Il a su entendre ses doutes et les respecter, puis les vaincre quand ça lui paraissait raisonnable.
3. La faculté d’entrer en relation : Resnick a vu les difficultés de son père dans son travail et le potentiel inexploité de sa mère. Mais il n’a réagi ni par le jugement ni par la colère. Il était donc libre d’explorer d’autres moyens d’entrer en relation et de travailler avec les autres. Il a découvert qu’il était apprécié pour ses capacités à résoudre les problématiques et qu’il a pu les appliquer très tôt à son leadership. Il pouvait entrer en contact avec les histoires de sa famille, même s’il n’était pas sûr qu’elles soient entièrement fondées sur la réalité. Il comprenait les épreuves et les succès des générations passées. Il a voulu voir ensuite comment les hommes et les autres espèces collaborent et il a découvert que les êtres qui s’épanouissent apprennent à s’adapter aux environnements changeants. Toutes les espèces vivantes doivent pouvoir anticiper sur les stratégies à adopter et Resnick a été très compétent dans ce domaine.
4. La faculté d’être soi-même dans les relations : Pendant la guerre du Vietnam, quand Resnick était à Cornell University, les étudiants grévistes avaient bloqué l’université pendant la période des examens. Resnick a décidé d’aller à la pêche. Son isolement ne lui coûtait pas, bien au contraire. C’est une qualité pour s’adapter aux changements et c’est probablement ce qui s’est passé pour lui à l’époque. Après la guerre du Vietnam, Resnick a commencé à se passionner pour les livres de science fiction et nous savons que la lecture et la réflexion nous obligent à prendre du temps à part.

Les avantages et les inconvénients de la position d’aîné dans la fratrie
Nous avons écouté deux leaders, Gary Resnick et Jim Walsh, qui n’étaient ni l’un ni l’autre les aînés dans leur fratrie. Ecoutons maintenant Arthur House qui, lui, avait une position d’aîné. On dit souvent que ce sont des leaders nés. Ils héritent traditionnellement de la ferme ou du titre familial et assument la responsabilité de la « bonne gestion de la ferme » pour les générations futures. Beaucoup peuvent d’ailleurs déclarer forfait face à une telle pression, et ils ont bien des raisons pour cela. Ils ont parfois des parents qui n’étaient pas des aînés ou qui ne s’en sont pas bien sortis. Et parfois ce sont d’autres pressions sociales extérieures qui peuvent faire dévier ceux qu’on appelle des leaders nés. Mais Arthur House n’entre pas dans cette catégorie. Sa famille s’attendait à ce qu’il devienne le leader de son entourage et de sa famille et elle l’encourageait dans ce sens.

Arthur House
Arthur House est Directeur Général des affaires publiques à la Banque Webster, la plus grande banque privée implantée au New England. Il a été également l’assistant du Doyen de la Fletcher School of Law and Diplomacy de la célèbre Université de Tufts. Il a travaillé aussi au gouvernement : à la World Bank (1972-1975), en tant que membre de la Maison Blanche (1975-1976), en tant que membre du comité directeur de National Security Council , au Sénat américain et dans plusieurs sociétés.

• AMS. J’ai eu beaucoup de plaisir à écouter les personnes que j’allais interviewer exposer leurs expériences diverses sur les effets produits par leurs relations sur leur leadership. Il y a des questions sur lesquelles on ne percute pas et qu’on oublie. D’autres nous restent en tête car elles demeurent d’actualité. Les gens entendent quelque chose. Une lumière jaillit, une idée germe et devient un concept qui fait partie du vécu de l’individu. Mais c’est un concept qui peut tous nous intéresser.
Le Docteur Bowen disait que « chaque individu naît avec une certaine sagesse. Il suffit de créer l’environnement adéquat pour qu’il l’exprime ». Il est question ici de la relation à l’autre et de son mode de pensée, il ne s’agit pas seulement de questions à résoudre. En tous cas, je suis à l’écoute de toutes vos réflexions sur le leadership et de l’impact que vos relations précoces ont exercé sur vous.
• AH. Quand j’étais en troisième cycle universitaire, l’un de mes professeurs de faculté disait qu’un individu de valeur, originaire d’une famille bien en vue, dont la mère avait épousé quelqu’un d’une classe sociale inférieure, avait tout le profil pour être un grand leader mondial. Il disait que l’enfant répondait souvent aux attentes que sa mère avait connues dans sa propre famille. Elle inculquait à son fils le sens du leadership. Ce professeur nous a énuméré les grands noms de l’histoire qui répondent à cette définition. Mais elle ne s’appliquait pas vraiment à ma famille. Pour moi, le leadership n’est pas tant une réussite ou une victoire, mais plutôt une épreuve. C’est la détermination, la volonté et l’investissement nécessaires pour réaliser quelque chose, ce sont des qualités qui peuvent aussi bien venir d’un parent que de l’autre.
• AMS. Oui, je pense qu’ils peuvent nous édifier. Le père et la mère s’investissent tous deux auprès de l’enfant. Et le mariage peut parfois en tirer avantage. C’est ce qu’on observe tant que les attentes des parents concordent avec les talents de l’enfant, ses souhaits et ses capacités à se discipliner. Mais il est important que le parent sache préserver son identité et rester soi-même.
• AH. Je me référais en quelque sorte à l’image de mon père. Il était un excellent orateur qui a été élu membre du Sénat, puis président de la Cour Suprême du Connecticut. C’était un personnage public reconnu, un homme modeste et sans prétention. Il n’étalait pas ses talents. Le leadership n’était pas pour lui un fait établi mais un investissement. Et j’avais donc conscience qu’il était possible d’être reconnu pour ses talents. C’est dans cet état d’esprit que j’ai grandi.
Ma mère était issue d’une famille très cultivée. Elle était diplômée du Wellesley College et c’était une femme très ambitieuse. C’était inhabituel dans les années 1930 mais elle voulait faire carrière et avait de grandes qualités professionnelles. Elle avait une sœur qui travaillait au gouvernement de l’Etat et trois frères : un médecin, un éducateur et un spécialiste d’économie publique. Il y avait beaucoup de Doctorants dans la famille.
Une certaine sérénité régnait dans ma famille. On considérait qu’il fallait se lancer. C’était très bien d’avoir des projets à condition qu’ils soient bien fondés, et on pouvait toujours compter sur la famille.
Il y a une circonstance particulière qui aide à comprendre pourquoi j’étais déterminé à diriger. Quand j’étais jeune, j’aimais les espaces naturels et le sport. Nous avons décidé en famille qu’il me fallait partir faire mes études dans un établissement privé mais je me suis vite rendu compte que je n’y étais pas à ma place. Je trouvais l’école suffisante et élitiste. Malgré mes efforts, je n’ai pas réussi à adhérer à cette culture. J’en souffrais un peu, mais je ne partageais pas leurs valeurs et je n’étais pas prêt à renoncer aux miennes pour être apprécié et me fondre dans le moule. J’avais alors 14 ans et cette expérience a été difficile pour moi.
Lors de ma dernière année d’études secondaires, l’école a commis une erreur en envoyant des notes qui n’étaient pas les miennes dans les écoles où j’avais déposé une demande d’inscription. Tous les établissements m’ont refusé, même ceux où j’étais sûr d’être accepté. C’est ce qui m’a permis de découvrir l’erreur. L’école a commencé par me reprocher mes résultats décevants, mais une fois confrontés avec les faits, ils ont fini par admettre qu’ils s’étaient trompés dans les notes et par accepter de les rectifier, après un entretien assez tendu avec mon père. J’ai finalement été accepté à la célèbre Université de Tufts, et j’ai eu une chance incroyable. J’ai tout de suite apprécié la culture. C’était une population très diversifiée et il y régnait une atmosphère saine : tout l’opposé de mes années de lycée. J’ai été chef de classe pendant deux ans et j’ai finalement pris la responsabilité de l’association des étudiants. J’ai participé à l’élaboration d’un projet en Afrique et j’ai accompagné un groupe d’étudiants en Afrique de l’Ouest pendant l’été. On m’a décerné aussi des prix de leadership quand j’étais étudiant.
Puis je suis entré dans une école supérieure renommée et j’ai beaucoup apprécié de n’avoir qu’à étudier, rien à prouver ni à défendre.
Je pense que ma famille m’a fortement influencé par ses encouragements et son soutien. En surmontant l’expérience négative de l’établissement privé et en réussissant ensuite à l’université, j’ai appris que je pouvais me sortir d’une situation difficile et tenir ferme dans mes valeurs profondes.
• AMS. Voici l’une des meilleures illustrations de l’importance de savoir être un individu autonome et énergique.
• AH. Je me rappelle encore un soir de ma première année dans cet établissement privé où j’étais assis sur les gradins en essayant de mettre de l’ordre dans mes idées. J’étais au clair avec moi-même. Je ne partageais pas leurs valeurs et je n’allais pas m’intégrer à leur groupe. J’aurais du en parler à mes parents à l’époque et rentrer chez moi, mais je n’en étais pas capable. J’ai pris la décision de faire tout mon possible pour me démarquer. J’étais très seul. C’était une épreuve. Des années plus tard, mes parents ont été très peinés d’apprendre ce que j’avais vécu, j’aurais du leur en parler à l’époque.
• AMS. C’est souvent plus difficile quand on est fils unique et qu’on s’identifie profondément à un père qui a du ressort. Parlez moi de vos parents et de leurs familles respectives.
• AH. J’ai deux sœurs, une plus jeune et une plus âgée. Ma mère était la seconde d’une famille de cinq enfants. Mon père était entre deux sœurs.
• AMS. L’aîné peut même subir une pression implicite pour être un homme fort qui ne se plaint pas. Les aînés se conforment souvent aux souhaits des parents sans se plaindre.
• AH. Je peux dire qu’on s’attendait à ce que je réussisse et que je ne prenne pas le chemin de la facilité. C’était précisément le cas de ma mère qui avait quitté Wellesley pour exercer une profession. Elle travaillait dans une société à Boston quand elle s’est associée à une amie pour commencer une formation pour les femmes à l’école de commerce de Harvard. C’était dans les années 1930. Plus tard elle a été embauchée par un « chasseur de têtes » comme assistante personnelle de Madame John D. Rockefeller. Elle vivait à New York avant d’épouser mon père. Celui-ci était diplômé de la faculté de droit de Harvard et il a eu bien évidemment du mal à convaincre ma mère de quitter la scène pour aller vivre à Manchester dans le Connecticut.
La table familiale était à la fois un lieu de détente et une institution en elle-même. Les conversations y étaient séduisantes mais exigeantes. Elles contribuaient grandement à notre maturité. Nous devions examiner et défendre nos points de vue. Nos parents nous incitaient à lire le journal et nous devions choisir un thème et en faire un compte rendu sensé. Nous apprenions aussi à respecter les opinions des autres. On pouvait plaisanter et s’amuser, mais on privilégiait les divergences d’opinions et les conversations enrichissantes.
Je dis cela parce que plus tard je suis devenu Démocrate (mes deux sœurs aussi d’ailleurs) tandis que nos parents étaient Républicains. L’essentiel était de défendre un point de vue avec des arguments fondés. Il peut paraître étrange que nous soyons tous trois devenus démocrates, alors que nous venions d’une famille « Rockefeller » ou Républicaine libérale. Des années plus tard, quand je me suis présenté aux élections, un journaliste a demandé à mon père comment le fils d’un éminent Républicain avait pu devenir Démocrate. Il a dit : « Sa mère et moi, nous lui avons appris à lire et depuis il est libre de ses choix.»
La table familiale nous a été très bénéfique. On ne ressentait pas de pression mais on devait connaître et pouvoir discuter avec bon sens de l’actualité dans le monde.
• AMS. Il est très important pour les familles, les nations et les sociétés de pouvoir encourager les divergences d’opinions. On vous permettait et on vous incitait à bâtir votre opinion personnelle et c’est quelque chose qui devrait s’inscrire dans un environnement familial idéal. Mais je ne sais pas si c’est quelque chose qu’on encourage beaucoup. Et vos grands-parents ?
• AH. Mon grand-père maternel avait sept frères et sœurs. Il a été pendant 28 ans Directeur de l’école Harrisburg Academy en Pennsylvanie. Il a participé au développement de la faculté et il a fait venir des étudiants de l’étranger. L’école recevait toujours beaucoup de visiteurs et ma grand-mère devait à la fois s’occuper de la famille et accueillir les visiteurs. Elle était fille unique et je me souviens d’une femme gentille et affectueuse. Mon grand-père est décédé avant ma naissance.
Mon grand-père paternel était fils unique, né à Manchester dans le Connecticut, et le premier de sa famille à aller à l’université. C’était un ingénieur d’Harvard et il travaillait pour la compagnie de chemins de fer de Pennsylvanie. Ma grand-mère était aussi fille unique, issue d’une famille de Pennsylvanie très en vue dans le domaine de l’immobilier. Après leur mariage, mon grand-père a rejoint l’entreprise de vente au détail de son père à Manchester, dans le Connecticut. C’était le commerce le plus important et le plus ancien de la ville. Il était aussi Directeur de la Chambre de Commerce. Ma grand-mère est morte quand j’étais encore jeune. Je me souviens que c’était une femme chaleureuse et humaine. Mon grand-père était très perspicace et il a su faire face aux temps difficiles, mais il était chaleureux avec ses petits-enfants. Il appréciait la réussite politique de mon père. Il insistait toujours pour qu’on prenne des vacances ensemble.
• AMS. Avez-vous gardé des contacts avec vos oncles et tantes ?
• AH. Les deux sœurs de mon père sont décédées. Ma mère a encore son frère aîné et un plus jeune frère. Le plus âgé, Philippe, était le camarade de chambre de mon père à Harvard et c’est comme ça que mon père a connu ma mère. Philippe a obtenu son doctorat en économie et il est devenu officier au service des renseignements de l’armée pendant la deuxième guerre mondiale. Il a écrit ensuite pour le Washington Post et il a monté son cabinet de conseil personnel. C’était un grand lecteur. Il a aujourd’hui 97 ans, il lit encore trois journaux par jour et joue au squash. J’ai passé des heures à discuter avec lui quand j’habitais le District de Colombie. Il a une grande ouverture d’esprit et il s’intéresse beaucoup à l’opinion des autres et à ce qu’ils font. Mais il est très discret sur sa vie.
Philippe m’a parlé récemment de ses longs échanges avec son grand-père qui avait combattu pendant la guerre civile et avait été fait prisonnier à Andersonville. Quand il a rejoint la ferme familiale dans l’Ohio, sa famille ne l’a pas reconnu tellement il avait souffert. Il y a bien peu de gens encore en vie aujourd’hui qui ont eu le privilège de parler avec des anciens combattants de la guerre civile.
Le plus jeune frère de ma mère était dans le Pacifique pendant la deuxième guerre mondiale et il a réussi ensuite son doctorat à Yale. Il était éducateur, puis il est devenu proviseur d’une université de Pennsylvanie. Il a ensuite formé de nombreux éducateurs y compris ma sœur aînée, et il l’a encouragée à passer son doctorat et à enseigner en université.
• AMS. Les familles qui privilégient le soutien mutuel acceptent souvent et même favorisent une plus grande divergence d’opinions à l’intérieur du groupe. Les gens affrontent beaucoup mieux les temps difficiles quand ils sont soutenus par leur famille. Ils préservent en général des contacts avec les autres membres, ce qui assure une certaine sécurité, comme vous l’avez évoqué. Ils peuvent partir vivre leurs expériences en sachant qu’ils sont solidaires les uns des autres. Je pense que cela consolide le cercle familial.
C’est le même principe pour les groupes religieux et même les entreprises. Les gens ont tendance à soutenir ceux qui partagent leurs valeurs profondes. Il faut bien sûr veiller à garder un certain recul et à préserver son individualité.
AH. Oui, mais il peut y avoir aussi une trop grande sécurité. La sécurité est une chose, mais la famille doit aussi exiger qu’on réponde de ses actes et qu’on ait des objectifs sérieux. J’ai réfléchi à ça à l’occasion d’une soirée que j’ai passée avec le président Georges Bush quand il était candidat au poste de gouverneur du Texas. Nous nous sommes retrouvés sur de nombreux sujets. En tant qu’avocat, mon père avait représenté Prescott Bush, le grand-père du président. Et j’avais travaillé avec le président Bush quand j’étais au Conseil de Sécurité Nationale et qu’il était Directeur de l’Agence Centrale des renseignements. Je discutais avec Georges Bush des connaissances que nous avions en commun, et son arrière plan familial lui apportait un environnement sécurisant. Mais il était aussi très au clair sur sa propre identité. Il n’éprouvait aucunement le besoin d’être en accord avec les points de vue politiques de son père et de son grand-père. Il semblait dire que c’était de grands hommes mais qu’il était un individu à part entière qui menait ses propres combats comme il l’entendait. Il ne s’intéressait guère aux préoccupations de leur époque. J’ai compris que la seule tradition qu’il semble vouloir maintenir, c’est de se porter candidat et de remporter les élections. Son environnement familial était-il trop sécurisant ?
• AMS. Il est toujours difficile d’évaluer dans quelle mesure on réagit en fonction de son passé. Il est difficile d’évaluer à quel point il y a un projet caché qui a un aspect risqué et peut-être malsain et de mesurer aussi le degré de vulnérabilité inhérent à des situations où on essaie de crédibiliser quelque chose de nouveau. L’idéal est d’analyser attentivement les solutions et les coûts et bénéfices de la direction qu’on veut prendre. Pour les politiciens, l’arbitrage historique sera peut-être plus significatif que les élections actuelles.
• AH. J’ai trois filles qui ont un fort tempérament. Mes sœurs sont psychologues et disent que ce sont trois leaders en formation. Pour elles, le goût du risque, un esprit innovateur et un tempérament impétueux ne sont pas un signe de rébellion mais plutôt un moyen d’apprécier ses aptitudes à prendre des décisions et à en évaluer les résultats. C’est l’apprentissage par tâtonnements.
• AMS. Le dialogue entre parents et enfants semble très important. Les gens capables de cultiver de bonnes relations et d’examiner des points de vue différents semblent mieux se connaître et se respecter. Quel type de dialogue avez-vous avec votre épouse au sujet de vos filles ?
• AH. Ma femme est celle qui réfléchit. Elle est médecin. Les enfants l’appellent le « vrai » docteur tandis que moi, je suis le spécialiste des petits bobos. On a besoin de faire équipe pour élever des enfants. Je suis attentif à ce que dit ma femme et je rejoins souvent ses idées. Elle a toujours été plus proche des filles mais j’essaie de trouver des domaines pour me rapprocher d’elles. Nous essayons de nous accorder et de faire du bon travail ensemble. Je suis ébahi de voir les différences qu’il peut y avoir entre trois membres d’une même famille. J’essaie de m’impliquer le plus possible et de me préoccuper de leur vie respective.
• AMS. Comment avez-vous rencontré votre épouse ?
• AH. Ma femme et moi, nous nous sommes rencontrés en 1984 alors qu’elle commençait ses études de médecine et que j’étais candidat au Congrès américain dans le Connecticut. Son frère est un très grand ami, et elle voulait participer à ma campagne. J’ai perdu face à Reagan mais j’ai gagné quelque chose de bien plus important.
• AMS. Vous avez vécu un peu la même histoire que celle de vos parents, non ?
• AH. Oui, les frères peuvent aider mais celui-ci n’a fait aucun effort pour me faire connaître sa sœur. C’est en fait mon directeur de campagne électorale qui nous a réunis. Ma femme Rita a deux frères plus âgés qu’elle.
• AMS. Et vous avez une petite sœur. Vos positions dans la fratrie concordent et vos familles sont amies. Tout un concours de circonstances pour un bon mariage.
Je me demande aussi si d’autres personnes vous ont formé au management.
• AH. Oui, il y a eu Abe Ribicoff et Mike Walsh.
Pour moi, l’art de diriger, c’est de voir le travail à accomplir et d’avoir le courage de s’y investir. Vous pouvez encourir la réprobation générale en faisant ce qui vous semble juste. J’étais chef d’Etat Major auprès de l’ancien Sénateur Abe Ribicoff, un homme fidèle à son sens moral. Il avait le courage de prendre des décisions sévères et de s’y tenir. Je n’ai jamais connu un homme avec un plus grand sens politique et un plus grand courage pour accomplir ce qui lui semblait juste.
Je suis également devenu très proche de Mike Walsh, le protégé de John Gardner. Ils étaient tous deux fondateurs de la Cause Commune. Mike est devenu très vite Directeur Général. Il a révolutionné la Société Publique de Chemins de fer du Pacifique en transformant cette compagnie de transports utilitaire en une compagnie concurrentielle et déréglementée. Puis le conglomérat Tenneco a fait faillite et le Conseil de Direction a engagé Mike pour redresser la situation. Celui-ci m’a convaincu d’aller m’installer au Texas pour travailler avec lui. Il a fait monter des bureaux attenants et nous sommes rapidement devenus des amis très proches. Mike était l’un des leaders les plus fascinants que je connaisse et il était confronté à un gros challenge. La société faisait environ 13 milliards de dollars de bénéfice annuel avec six activités commerciales depuis les porte avions aux sacs plastiques en passant par les gazoducs et les tracteurs. Mike devait chercher la faille et relancer la société.
Mike se fiait à ses instincts tout en posant des objectifs clairs. Il pensait qu’un bon leader se rend vulnérable et qu’il s’entoure pour faire partager sa vulnérabilité et réussir. C’était un meneur d’hommes remarquable. Il était attentif aux gens. Si vous êtes appelés à diriger, disait-il, « annoncez vos objectifs. Hissez le drapeau. Et quand vous avez constitué une équipe, étudiez comment vous allez faire. » Il savait parler aux gens et les encourager. C’était un homme loyal et exigeant. J’avais vu comment on gère les affaires publiques et maintenant je découvrais la gestion d’une entreprise. Il se fixait des objectifs sur le plan affectif et rationnel et il se fiait à ses grandes capacités intellectuelles pour les réaliser.
Une tumeur au cerveau a malheureusement abrégé son existence. Il pensait que son épuisement à la tâche était à l’origine du développement de cette tumeur. Nous avons passé deux ans ensemble ainsi que les six derniers mois de sa vie. Mais sa vie et sa mort m’ont beaucoup appris sur l’existence et les principes de vie.
• AMS. Je crois que les gens qui comptent pour nous continuent à vivre après leur disparition. Certains me disent qu’ils sont assis à nos côtés et continuent à nous parler et à nous encourager.
• AH. Ce doit être exact.
• AMS. Il y a au moins sept facteurs qui semblent jouer un rôle important dans les cancers lourds. Je regarde le nombre de cancers dans la famille, les gènes, le climat affectif, les fardeaux des gens etc. Le sentiment d’avoir épuisé toute son énergie est l’un des critères majeurs de cette maladie.
• AH. J’ai expérimenté au contact de Mike les promesses et la fragilité de notre existence. Et vous avez raison, Mike m’a profondément marqué.
• AMS. Je m’interrogeais également sur le degré de précision avec lequel les leaders peuvent présager des évènements à venir. Comment vous situez-vous dans ce domaine ?
• AH. Parfois je suis capable d’anticiper et parfois non. Je suis beaucoup plus performant dans les domaines que j’ai étudiés et expérimentés. Prenons l’exemple des affaires internationales et des médias. Je perçois souvent le dénouement des choses. Mais il y a bien des domaines que je ne connais pas ou pour lesquels je ne suis pas formé.
J’ai siégé au conseil d’administration avec Elliot Richardson, l’Attorney général adjoint qui avait refusé d’obéir à l’ordre du Président Nixon de renvoyer le procureur spécial Archibald Cox chargé d’enquêter sur l’affaire du Watergate. Richardson comprenait tellement bien le secteur public. Après tout il avait quatre postes au Ministère. Je lui ai demandé un jour : « Quels sont les critères d’un bon président ? » Il a répondu qu’il devait bien connaître l’histoire et aussi comprendre et prévoir les conséquences d’une décision spécifique. Il avait un jugement très perspicace. Personne n’est jamais assez à la hauteur. Prévoir les évènements futurs exige une bonne maîtrise du passé et des circonstances actuelles qui vous affectent.
Avant que les Etats-Unis entrent en guerre contre l’Irak, j’ai écrit un article où j’exprimais ma grande crainte d’en arriver exactement là où nous en sommes arrivés : de perdre nos alliés et de nous enliser dans un pays soumis à une dictature cruelle, pas vraiment préparé à un régime démocratique et confronté à de profondes divisions internes et à la confusion. C’est exactement ce que j’avais pressenti. Il y a des domaines pour lesquels je n’ai aucune idée de ce qui va se passer. Je ne comprends pas et je ne sais pas du tout où nous allons avec le rap, les tatouages et les piercings.
• AMS. Je me pose une autre question sur l’opposition entre le leader stratégique et le leader vrai. En tant que thérapeute, je dois attirer l’attention de mes patients sur leur mode de fonctionnement, dont ils n’ont d’ailleurs pas conscience. Et même en y étant attentifs, ils ont souvent beaucoup de mal à changer. J’ai donc appris à guider les gens vers une approche stratégique. Que faire pour que le courant passe entre cette personne et moi ? Cette approche nécessite que je sache comprendre les autres et qu’ils soient prêts à entendre. Si les gens se bloquent, je leur tiens souvent des propos contradictoires ou incongrus pour les faire réagir. Certains disent que c’est de la manipulation mais j’estime que c’est une démarche de réflexion stratégique. Les leaders d’entreprises et les leaders politiques doivent aussi trouver le moyen de faire passer leur message de manière logique. Je me suis donc posé la question d’une stratégie politique ouverte.
• AH. Les individus authentiques et sans artifice sont très rares. Qui est prêt à vous soutenir quoi qu’il arrive ? Ce sont souvent vos vieux amis. Ils vous connaissent (ils connaissent souvent aussi vos failles) et vous n’avez donc rien à prouver ni à justifier. Mais cette acceptation totale et inconditionnelle de l’autre n’est pas courante. On a besoin de gens comme ça dans la vie, et j’ai le privilège d’en avoir quelques-uns dans mon entourage proche. Mais ils sont très rares.
• AMS. Oui, c’est très difficile car dès que vous recherchez l’approbation des autres, ou du moins qu’ils ne vous rejettent pas, vous prendrez des risques si vous dîtes ou si vous faîtes des choses qui portent à polémique. C’est le prix de la transparence. Mais d’un autre côté, si les autres sont paralysés de peur, vous pouvez adopter une démarche stratégique. Le penseur en sciences et biologie, Gregory Bateson (1904-1980) disait qu’on pouvait comparer l’information à un grain de sable. Il peut se transformer en perle quand il se dépose dans une huître, mais si la quantité de sable est trop grande, l’huître va le rejeter.
• AH. C’est vrai aussi dans le cadre de la famille, où en général vous êtes apprécié. Vous devez évaluer le prix de la transparence et mettre des limites. Les parents connaissent bien ça avec leurs enfants. Nous savons qu’il y aura des situations difficiles mais nous devons néanmoins les soulever et gérer les réactions.
• AMS. J’ai vraiment apprécié cet entretien et j’espère bien qu’on aura d’autres occasions dans l’avenir de reprendre ces échanges.

La boussole de la pleine conscience d’Arthur House

1. La faculté de définir sa vision. Dès son jeune âge, House était obligé de définir ses valeurs et de s’y tenir. Il se considérait comme un individu ouvert et tolérant, attentif aux différences entre les gens et aucun sentiment de supériorité ne l’habitait. L’idée qu’il se faisait de lui-même lui était dictée par les valeurs profondes qu’il mettait au service de sa famille et de sa carrière. Pour réaliser sa vision, House a du apprendre à endurer l’isolement, et ce ne fut pas chose facile pendant ses années de classe préparatoire. Dès qu’il s’est trouvé dans une position de dirigeant, il a régulé sa vie sur ses principes et laissé les autres vivre selon les leurs, sans vouloir les changer ni accepter qu’ils fassent pression sur lui. Sachant qu’il pouvait s’en tenir à ses principes de vie, il a pu développer ses capacités à diriger à l’université. C’est alors qu’il est devenu chef de classe, a pris la responsabilité de l’association des étudiants et participé à l’élaboration d’un projet d’échanges en Afrique.
Les échanges profonds et respectueux qu’il vivait autour de la table familiale l’ont formé sans aucun doute à défendre ses opinions et à respecter celles des autres. Au cours de sa carrière il a attaché beaucoup d’importance aux divergences d’idées.
House soulignait qu’un leader mature doit rester fidèle à son sens moral et avoir le courage de prendre des décisions difficiles et de s’y tenir. Si on veut rester fidèle à sa vision, on est souvent mis à l’épreuve dans ses émotions. L’histoire de House illustre à merveille comment la pression du groupe peut ébranler le potentiel ou la position du dirigeant et comment ce dernier peut se raffermir et développer sa maturité émotionnelle en résistant à cette pression.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres. On peut tirer deux leçons importantes de l’histoire de House. La première, c’est l’importance de rester fidèle à sa vision. La deuxième, c’est le droit que nous avons d’appeler à l’aide même si ce n’est pas facile. House a dit qu’il aurait du faire part à ses parents de ses difficultés à l’école. Mais on comprend aisément les réticences d’un jeune de 14 ans à se confier à ses parents sur un sujet aussi délicat. Ses hésitations lui ont toutefois enseigné une grande leçon: il a vu la tristesse de ses parents quand ils ont su par où il était passé et il était décidé à agir différemment et à parler ouvertement la prochaine fois. On hésite souvent beaucoup avant de se confier aux parents et aux autres figures d’autorité. C’est une preuve de sagesse de prendre conscience que ce n’est pas une marque de faiblesse d’exposer ses difficultés aux autres mais de volonté de traiter ouvertement les problèmes. Beaucoup craignent qu’en partageant leurs épreuves aux autres, ils aient du mal à gérer les réactions de ces derniers et à rester sur leurs positions. L’essentiel serait que les gens apprennent par une gymnastique émotionnelle à gérer l’angoisse au lieu de tout faire pour l’éviter. Cela vaut très souvent la peine de pratiquer la gymnastique émotionnelle et d’apprendre à se confier à ses proches. On tire avantage en apprenant à cultiver un dialogue ouvert avec ceux qui comptent pour nous.
3. La faculté d’entrer en relation. House a grandi dans une famille où l’on dialoguait beaucoup. Son père était un homme bien en vue dans le milieu politique et par conséquent il recevait chez lui toutes sortes de gens fascinants qui abordaient des discussions intéressantes. Il avait également une bonne connaissance de son histoire familiale et de profonds échanges avec sa famille élargie. Il était donc normal qu’il se sente à l’aise avec des gens importants et qu’il sache également mettre les autres à l’aise. On peut affirmer en toute logique que ces familles qui ont un réseau relationnel important et ouvert transmettent un héritage solide. Celui qui vit entouré d’un réseau relationnel complexe aura beaucoup moins de mal à communiquer ouvertement que celui qui découvre combien il est important pour lui d’avoir des relations familiales et amicales et met tout en œuvre pour les développer.
4. La faculté d’être soi-même. L’essentiel de l’histoire de House se concentre sur l’expérience qu’il a vécue quand il s’est démarqué de ses camarades de classe et a continué ensuite à préserver son individualité et ses idées dans des cultures et des environnements professionnels variés.

Robert Duffy

Robert Duffy est l’ancien commissaire de police de Rochester, New York, et actuellement (2006) candidat à la mairie de cette ville.
J’ai connu Robert Duffy par l’intermédiaire de Frank Staropoli, un consultant de Rochester qui a assisté à l’interview avec moi et qui avait aussi des questions intéressantes. Duffy a pu observer dans sa propre famille les forces qui sont en jeu dans une famille nucléaire et il apporte une optique importante à cette série d’entretiens.

• AMS. Deux questions : Qu’est ce qui vous a incité au leadership ? Et quand avez-vous commencé à vous dire que vous pouviez apporter un plus ?
• RD. Je ne pensais pas trop au leadership. J’aimais faire partie d’équipes sportives et j’ai été une fois ou deux coéquipier d’équipe. L’idée qu’on puisse compter sur moi me plaisait. J’aimais occuper une position où je pouvais apporter un plus. Et j’ai tout de suite apprécié mon travail dans la police. Au bout de huit ans, j’ai commencé à réfléchir, parfois avec une certaine frustration, à ce que je pourrais faire si j’étais brigadier ou inspecteur de police. J’ai travaillé dur pour qu’on me confie des responsabilités. Puis je suis devenu papa et je me suis senti plus responsable de moi-même et des autres. Je voulais des responsabilités dans des domaines auxquels je pouvais apporter un plus.
• AMS. Quel lien faîtes-vous avec votre position dans votre fratrie ?
• RD. Je suis le plus jeune de trois garçons.
• AMS. C’est inhabituel. Votre père était peut-être aussi le benjamin et il vous a peut-être enseigné un certain savoir-faire ?
• RD. Oui, il était le plus jeune des enfants. Et ma mère était l’aînée. Mon frère aîné ne prenait guère de risques. Il était très intelligent et réussissait bien à l’école. Mon frère cadet, lui, c’était le rebelle des années 60. Nous étions tous deux moins brillants que notre frère aîné.
Mes parents disaient que j’étais toujours très respectueux et que je ne contestais pas leur autorité, mais je réussissais à faire ce que je voulais. J’ai appris en observant mes frères et j’ai échappé aux interactions entre mon frère et mes parents. Mes parents réagissaient vigoureusement aux atteintes à leur autorité ou/et au manque de respect et j’ai donc appris comment me comporter, j’ai appris à ne pas les provoquer.
• AMS. Que faisait votre père ?
• RD. Il était directeur du personnel dans une société technique. Ma mère était professeur des écoles et ensuite elle a enseigné en maternelle. Quand ils étaient jeunes, mon père avait fait des études pour devenir prêtre et ma mère pour devenir religieuse. La sœur aînée de mon père a joué l’entremetteuse auprès de mes parents. Elle vivait dans l’institution religieuse.
Mes parents étaient des gens gentils. Nous dînions tous les soirs à 6 heures. Mon père rentrait tous les soirs à cinq heures et ma mère à 4 heures30. Nous allions tous les dimanches à l’église et nous étions responsables du ménage. Je voyais chez mes parents des valeurs solides. Ils étaient méthodiques et faisaient le bien. J’aurais peut-être aimé avoir d’autres parents quand j’étais enfant, mais je vois maintenant que j’ai eu beaucoup de chances d’avoir des parents aux valeurs solides.
• AMS. Et quels effets les familles respectives de vos parents ont-elles produits sur eux ?
• RD. Ma mère a perdu sa mère quand elle avait neuf ans et son père quand elle en avait onze. Sa mère est décédée des suites d’un virus grippal. Elle avait deux demi-sœurs qui étaient nées en Irlande. Mais elle était née aux Etats-Unis. Ma mère avait été confiée à différents membres de la famille et elle insistait sur l’importance de vivre unis et d’avoir des valeurs solides. Son père travaillait aux chemins de fer. Il était alcoolique et par conséquent ma mère redoutait l’alcool. Elle avait aussi d’autres appréhensions. Elle ne nous laissait jamais jouer au football. Elle avait vu quelqu’un qui avait été paralysé et elle ne voulait pas qu’il nous arrive la même chose. Ses peurs se comprenaient. Mes parents n’ont pas assisté à mes compétitions de basket avant ma dernière année d’études secondaires. Mon père en est devenu ensuite un passionné. Nous devions nous serrer les coudes. Ma mère en était malade si on oubliait d’envoyer une carte d’anniversaire, par exemple. On envoyait toujours des cartes et on pensait toujours à la famille. C’était très important. Les amis étaient importants, mais c’était la famille qui veillait sur vous.
• AMS. Certaines valeurs de vos parents ont-elles eu des effets sur votre manière de gérer ?
• RD. Ma mère avait une volonté de fer. C’était elle qui dirigeait la famille. Je suis un peu comme ça. Si j’ai une conviction, je m’y tiendrai malgré l’opposition générale. Je n’ai pas toujours apprécié cela chez ma mère, mais elle savait tenir bon. Nous devions faire nos devoirs, il n’y avait pas de télé, nous n’avions aucune excuse si nous avions de mauvaises notes. Mes parents étaient des gens très disciplinés et très conventionnels. Je ne les ai jamais entendus dire du mal de qui que ce soit. Je ne les ai jamais vus se quereller ni se disputer. Je suis sûr qu’ils n’étaient pas toujours d’accord, mais ils réglaient leurs conflits en privé.
Je raconte souvent l’histoire qui m’est arrivée quand j’avais huit ans. Je m’amusais avec un copain à lancer des cailloux. J’en ai envoyé qui est allé casser la fenêtre de sa maison. Je suis rentré chez moi en courant. Quelques heures plus tard, ses parents sont arrivés avec le caillou et j’ai été privé de sortie pendant un mois. Je pensais toujours que ma mère lèverait sa punition au bout de deux ou trois semaines, mais elle a tenu bon.
J’ai appris le respect au travers de cette histoire. Je savais que je ne pouvais pas me permettre n’importe quoi. Elle nous disait toujours de tenir ferme. Quand on croit en quelque chose, il faut s’y tenir.
Quand un membre de mon personnel vient me voir, par exemple, je l’écoute. Mais si ce qu’il dit va à l’encontre de mes convictions, je n’hésite pas à prendre position, même si ça ne lui plait pas. J’encouragerai une meilleure manière de faire, mais sur les questions de principes, je dois tenir bon et défendre ce qui me semble juste. J’écoute attentivement et je tiens à ce que chacun s’exprime, mais c’est à moi que revient la décision finale.

• AMS. C’est en faisant face et en fixant vos objectifs que vous apprendrez à tenir bon face aux réactions. Vous avez appris dans votre famille à agir sans vous rebeller. Si les parents savent s’y prendre avec leur famille, ils s’en sortent bien avec leurs enfants. J’ai l’impression que vos parents s’en sont bien sortis avec leurs familles respectives. Cultivaient-ils de bonnes relations ?
• RD. Ma mère avait une sœur dont nous étions proches. Mon grand père est mort quand j’avais trois ans et ma grand-mère pendant ma première année de lycée. Nous avions de bonnes relations, mais ils ne nous rendaient pas visite. Nous allions les voir de manière plus formelle. Ce n’était pas une relation très proche comme c’est comme ça dans certaines familles. Nous sommes restés un peu comme eux.
• AMS. Avez-vous entendu des histoires sur les membres de votre famille que vous admiriez ?
• RD. Ma mère parlait de sa famille de manière positive mais elle soulignait combien elle avait souffert de ne pas avoir été élevée par sa mère. Mon père et ses frères étaient des anciens combattants de la deuxième guerre mondiale et ils habitaient tous dans les environs de Rochester.
Les changements peuvent se produire de bien des façons. Tout le monde n’avance pas au même rythme dans une famille. Mon frère est né avec un bec de lièvre et j’ai éprouvé le besoin de le protéger et découvert combien les enfants sont durs avec ceux qui sont différents. Ma petite sœur portait des lunettes et elle s’est épanouie quand elle a pu porter des lentilles. C’est difficile d’être différent des autres quand on est enfant.
• AMS. On devient plus compréhensif quand on a dans sa famille des gens avec des problèmes ou des différences. On apprend à les accepter, qu’elles soient positives ou négatives. Cela a peut-être apporté un plus à la manière dont vous avez géré une population aussi hétérogène que celle de Rochester.
• RD. Mes parents étaient toujours gentils avec les joueurs de l’équipe de basket qui étaient différents. Même si certains avaient été en prison, mes parents ne cherchaient pas à les dévaloriser. Je remarque combien mes enfants sont déconcertés par les différences. Accepter les autres tels qu’ils sont est une valeur profonde que j’ai pu expérimenter. On est conditionné dès le plus jeune âge et on a du mal à se câbler autrement. Il faut vraiment le vouloir. Je le vois dans les écoles et ici dans la police.
• AMS. Pensez-vous que votre identification à votre père vous aide à vous câbler autrement ou est-elle plus que ça ?
• RD. Difficile à dire. Mais je sais que chacun est différent. Mon frère cadet s’est remarié trois fois alors que mes parents sont mariés depuis 56 ans.
• AMS. Vos frères ont-ils eu plus de mal que vous à s’identifier à votre père ?
• RD. Peut-être. Je vois dans ma famille (ma femme est aussi la plus jeune) que ma fille aînée est très différente de ma dernière qui s’entend très bien avec nous. Ma plus jeune fille pourrait vivre encore à la maison quand elle aura quarante ans alors que ma fille aînée réclame déjà son indépendance.
• AMS. C’est tout un ensemble d’éléments qui entrent en jeu pour déterminer la personne que l’on devient. On compte semble-t-il onze facteurs d’influence qui poussent les gens à agir de telle ou telle manière. Les familles ne sont pas des machines dont les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce sont des organismes vivants et capables de s’adapter. Certains membres d’un système s’en sortent mieux que d’autres. Certains sentent qu’ils n’arrivent pas à s’adapter, ou qu’on ne les comprend pas, ou je ne sais quoi.
• Frank Staropoli- Je vois que vous vous appuyez sur ces éléments pour tenir bon et éviter que les relations deviennent conflictuelles. C’est ainsi que vous avez agi avec le représentant du syndicat. Vos rapports avec votre frère cadet vous ont peut-être sensibilisé davantage aux gens qui sont différents ?
• RD. Je raconte parfois l’histoire du temps où j’étais jeune lycéen. Je mesurais 1m68 pour 55 kilos. Un jour, un gars un peu différent des autres s’est fait bousculé par l’un des joueurs de foot. Je lui ai dit d’arrêter et de le laisser tranquille. Je ne sais pas trop pourquoi, mais le professeur n’était pas là. Je ne connaissais personne. Le gars m’a dit : « Tu parles à qui? » Il m’a frappé et j’ai riposté sans réfléchir. Alors il m’a dit qu’on se retrouverait à la sortie. Je savais que je serais réduit en bouillie, mais j’y suis allé et le gars n’est pas venu. Je n’ai jamais su pourquoi.
• AMS. Comment voyez-vous l’influence de vos relations familiales sur votre fonction de préfet de police ?
• RD. J’ai eu avec Monsieur le Maire des rapports très respectueux. Je suis très attentif à ce qu’il dit.
• FS. Vous semblez vous y prendre avec lui comme avec votre père. Vous semblez rester sur vos positions sans entrer en désaccord avec lui.
• AMS. Je pense toujours aux triangles et à la manière dont on communique dans les grands systèmes. Votre relation avec Monsieur le Maire n’engage-t-elle que vous deux ou implique-t-elle d’autres personnes ?
• RD. Il est très franc avec moi. Nous n’avons pratiquement jamais eu de rapports tendus. Un jour, nous avons vécu une situation difficile où ni l’un ni l’autre n’avait tort ni raison. En fait chacun avait un point de vue différent. Je sais exactement quelle est sa position et je la respecte.
• AMS. Au cours de mes entretiens avec Bob Di Florio, celui-ci a évoqué les triangles qui se mettaient en place entre le Conseil d’Etablissement, le Maire et la presse. Il devait travailler à entretenir une relation personnelle avec chacun d’eux.
• FS. Je pense qu’une relation triangulaire s’est établie avec Bob et le préfet de police pour le respect des forces de l’ordre.
• RD. Il y a quelques années, le préfet de police a été victime d’une attaque cardiaque. Je lui ai rendu visite à l’hôpital et sa femme m’a dit en plaisantant : « Vous allez le rendre encore plus malade ». Nous avons bien ri. Nous entretenons un respect mutuel. Nous sommes fermes dans nos positions. Je ne dis pas que j’ai raison et qu’il a tort et nous nous entendons très bien. Je ne suis jamais pour régler une dispute en public. Nous essayons de trouver un terrain d’entente. Ce n’est pas parfait, mais ça marche. Si vous avez un rôle de dirigeant, vous enseignez les principes de la moralité à votre génération.
Nous avons reçu des formateurs qui nous ont apporté des enseignements sur le leadership, comme celui des « Seven Habits » (les sept caractéristiques de ceux qui réussissent dans tout ce qu’ils entreprennent). Ce sont des formations de grande valeur. Les familles ne sont pas toujours formatrices. Tous les enseignements qui aident à apprécier et à respecter les valeurs des autres sont importants.
• AMS. Les plus gros défis appartiennent à l’avenir.
• RD. Quels sont mes projets? Le Maire prendra sa retraite dans un an ou deux. Je peux m’en aller. Mais la ville connaît des difficultés et les gens ont du mal à comprendre qu’il y a un prix à payer si on veut s’en sortir. Nous vivons dans une culture où les gens mangent des hamburgers et poursuivent en justice la société qui les fabrique. C’est la même chose avec la cigarette. Comment assumons-nous la responsabilité de l’irresponsabilité des autres ?
Les églises et les familles sont en mesure d’apporter des changements. Nous avons une grande ville et nous allons rencontrer beaucoup de difficultés. Il y a un nombre de personnes limité. Notre pays fera face à de nombreux défis mais les changements devront se réaliser sur le plan individuel. Je veux faire quelque chose pour que ça change. Si je peux aborder certaines situations problématiques et travailler dessus, nous aurons moins d’inquiétude pour l’avenir. Je suis passionné par ce que je fais actuellement et je crois que l’essentiel c’est d’entretenir sa passion pour ce qui nous tient à cœur.
AMS. J’ai l’impression que vous vous demandez comment vous pouvez changer pour que le monde aille mieux.
• RD. J’essaie toujours de repérer les capacités des gens et de les utiliser. Mais je n’encourage pas les gens qui se comportent de manière incorrecte. Nous essayons de repérer les meilleurs acteurs dans le service de police.
• AMS. Chaque système a des règles, que ce soit une fourmilière ou un système familial. Les membres du système se laissent guider par leurs relations avec les autres. C’est la façon d’agir encouragée par le système qui prévaudra. Si vous pouvez vous contenter de menacer les autres pour gravir les échelons, c’est cette méthode qui prévaudra.
Le Docteur Bowen avait l’habitude de dire : « Je serai franc avec vous si vous l’êtes avec moi, mais si vous m’escroquez, je vous escroquerai. » Nous subissons les conséquences de nos actes. Mais souvent les gens n’en ont pas conscience. Les dirigeants doivent responsabiliser les gens. Si vous laissez les gens faire n’importe quoi, vous mènerez votre entreprise à la dérive. Mais si vous responsabilisez les gens, l’entreprise sera bien gérée et prospèrera.
Encore merci pour votre temps et vos réflexions intéressantes.
• RD. Je vous en prie. J’ai beaucoup appris également. Je n’avais pas vraiment réalisé à quel point ma relation avec mon frère cadet avait produit des effets sur moi.

Les points de la boussole de la pleine conscience de Robert Duffy
1. La faculté de définir une vision : Robert Duffy a bâti sa vie autour de son besoin de faire changer les choses et de s’investir dans cette démarche. C’est une motivation qui tire en partie son origine de sa déception devant la situation présente. Mais elle peut aussi provenir du goût du jeu qu’il a développé en s’impliquant dans des équipes sportives. Il a également affermi sa vision quand il a vu les effets qu’ont produit sur sa famille et son entreprise des valeurs profondément enracinées.
Quand il se définit face au groupe, Duffy n’oublie pas de concilier la nécessité de relations ouvertes avec son besoin d’être au clair avec ses objectifs. Il semble dire que son acceptation des défis est un don qu’il a développé tandis que sa détermination à rester fidèle à ses décisions est une valeur qu’il doit à sa famille.
Duffy a clairement affirmé le besoin de responsabiliser les gens et de faire taire l’esprit critique. Avant de prendre une décision, il examine l’histoire de l’individu ou les problématiques. Au niveau de l’entreprise, il se focalise sur le positif et récompense les gens hors pair.
Dans son entreprise, Duffy développe les relations personnelles qui favorisent des échanges plus profonds et des contacts durables. Quand quelqu’un est à l’hôpital, par exemple, il ne se contente pas d’envoyer des fleurs, il lui rend visite. Ces relations personnelles facilitent également les échanges entre patron et employé car les informations passent par des hommes au lieu de figurer sur des règlements et des mots d’ordre.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres : Duffy donne deux illustrations parfaites de la manière dont nous réagissons et dont nous pouvons (si nous avons de la chance ou si nous réfléchissons) tirer profit pour apprendre à mieux fonctionner. Son premier exemple est celui du caillou qu’il lance à travers la fenêtre de son ami pour ensuite se cacher en attendant l’inévitable coup de fil. Le deuxième, c’est son camarade de classe qui se fait battre et qu’il défend en frappant son agresseur. Dans aucun des deux cas, il n’a réfléchi aux conséquences de son geste.
Qui parmi nous n’a jamais été surpris par ses réactions face au danger ? MAIS, la vraie question est de savoir comment cette découverte facilite notre capacité d’adaptation dans l’avenir. Soutenir les handicapés peut prendre bien des formes. Quand on découvre combien on écarte ou maltraite les inférieurs ou les plus faibles, on peut adopter certaines lignes de conduite. Il y a ceux qui veulent faire partie d’un groupe d’auto défense, comme c’est le cas par exemple dans certaines séries télévisées.
En règle générale, c’est notre histoire qui détermine le chemin que nous allons prendre. Ceux qui veulent changer le système en étant plus attentifs aux différences des individus viendront d’un arrière plan bien différent de celui d’un groupe d’auto défense. Mais nous avons besoin de tous les genres, et nous avons besoin de leaders qui sachent apprécier les différences.

3. La faculté d’entrer en relation : On doit s’attendre à des différences de la part de celui qui grandit dans une famille qui a connu des pertes précoces. Mais ces disparitions peuvent être compensées quand un membre de la famille intervient pour prendre les choses en mains. S’il remplace la personne qui a disparu, l’enfant grandira dans une certaine sécurité. Je dirais presque qu’un système uni peut tout changer. Souvent les gens n’ont pas conscience de l’importance des relations qui les entourent. Autrement dit, « On ne prend conscience de ce qu’on a que lorsqu’on l’a perdu.»
L’histoire de la famille affecte visiblement les gens qui grandissent dans un système atypique. Duffy évaluait certainement l’importance pour les gens de rester unis, surtout en périodes difficiles. Je pense que cette histoire l’a incité à développer un leadership qui favorise un contact personnel avec les autres. Même quand les relations sont litigieuses, comme par exemple les négociations avec la direction du syndicat, Duffy maintient le dialogue et reste un soutien en période difficile.
4. La faculté d’être soi-même : Quand nous n’arrivons pas à mettre quelqu’un de notre côté, nous nous retrouvons seuls pour réfléchir à ce qui est vraiment important. Quand Duffy a cassé la fenêtre chez son camarade, il n’a pas pu obtenir de sa mère qu’elle lève la punition. Il était privé de sortie pour un mois, et rien n’y changerait. N’ayant pas réussi à faire fléchir sa mère, il a appris à délivrer des sanctions justes et à ne pas revenir sur ses décisions.
« Les grands leaders agissent de manière pratiquement invisible. Ils transmettent essentiellement leurs directives par écrit, très peu par oral. Ils se tiennent au courant de tout mais n’interviennent guère. Ce sont des catalyseurs et même si les choses n’étaient pas aussi bien faites s’ils n’étaient pas là, ils ne s’attribuent pas le mérite de leur succès. C’est pourquoi tout le mérite leur revient. »-Lao Tsu

Chapitre quatre- Les modèles évolutionnaires, être parents, l’obéissance et la théorie du management

Rien n’est plus fondamental que l’obéissance dans la structure de la vie sociale. Toute vie communautaire est soumise à une autorité et seul celui qui vit en isolement n’est pas obligé de se plier ou de défier l’autorité. Pour beaucoup, l’obéissance est un mode de fonctionnement profondément enraciné, un élan puissant qui outrepasse le sens moral, la solidarité et les principes de la moralité.
Stanley Milgram

Récemment encore, on ne savait pas comment rassembler autour de projets communs des gens aux capacités et aux connaissances diverses. C’est en 1870 que les premières grandes entreprises ont vu le jour. L’armée était la seule grande organisation de l’époque. Le modèle qu’on a reçu de l’armée (le chef et ses soldats) est resté la norme pendant une centaine d’années. Le changement social actuel est peut-être plus important que toute innovation scientifique ou technique.

Peter Drucker

Comment les gens s’intègrent dans un système

En passant de la fourmi à l’armée, nous voyons comment nous devrions collaborer pour faire notre travail. On a écrit beaucoup de livres sur le rôle des leaders et sur le métier de parents mais leurs modes de fonctionnement sont si variés qu’on trouve sur Google des millions de références. Pour le moment, les sites sur les leaders sont plus nombreux que ceux qui traitent de l’art d’être parents. C’est peut-être un signe que nous pensons en savoir davantage sur les leaders que sur le métier de parents. Mais peut-être serait-il beaucoup plus juste de dire que nous commençons seulement à comprendre comment fonctionnent les parents et les leaders dans leurs échanges à l’intérieur d’un système social. Regardons par conséquent les études qui ont été faites sur le cerveau et le processus de prise de décision et faisons un tour d’horizon des forces évolutionnaires.

La survie du plus apte reflète notre tendance à trop mettre l’accent sur l’individuel. Mais nous pouvons découvrir grâce aux ouvrages de Robert Trivers, John Gottman et même E.O. Wilson comment l’individu s’intègre dans un système et comment il réagit aux forces de cohésion et d’individualisation. Pour comprendre comment le groupe fait pression sur l’individu, nous examinerons les recherches des psychologues sociaux Stanley Milgram et Solomon Asch. J’espère pouvoir vous donner un aperçu des complexités et des forces qui ont formé nos cerveaux modernes pendant des millions d’années. Aussi fragiles soient-ils, nos cerveaux sont malgré tout assez intelligents pour nous guider à travers la jungle de notre système social.

La force de cohésion et la différenciation du soi
Je vous ai expliqué comment les histoires que vous entendez peuvent vous aider à ôter vos œillères relationnelles pour voir clairement, ne serait-ce qu’un moment, comment les gens interagissent dans un système social. Un système social est une épée à double tranchant. D’un côté, il nous permet de travailler ensemble. Nous pouvons être plus efficaces quand nous faisons partie d’un système humain et impliqué car nous y trouvons une sécurité, un ressourcement, nous pouvons apporter des changements, nous professionnaliser et diffuser nos produits ou nos idées. Mais il y a toujours un prix à payer. L’inconvénient, c’est qu’un système social peut avoir sur nous des effets improductifs et néfastes en nous forçant à prendre des directions qui ne nous plaisent pas et en nous déstabilisant. Là où le danger est encore plus grand (vous le verrez dans la suite de ce chapitre), c’est quand on n’en a même pas conscience. Heureusement, nous pouvons examiner les problèmes liés à cette « force de cohésion » qui nous pousse à nous adapter et à nous conformer au groupe, et essayer de l’équilibrer avec la force qui nous pousse à nous démarquer et à développer notre identité.

Les relations et l’angoisse
Tout système social rencontre des difficultés qu font obligatoirement monter l’angoisse. Une famille nucléaire a quatre façons d’aborder l’angoisse : (1) la prise de distance, (2) l’organisation des relations sous forme d’une sorte de jeu circulaire (l’un prend la position dominante tandis que l’autre s’adapte à la situation), (3) un symptôme physique ou émotionnelle, et (4) la projection des problèmes sur l’autre, le plus souvent sur les enfants. Il n’y en a pas d’autres, et regardez toutes les histoires qu’on peut raconter sur les familles !
Mais je pense que le leader peut aborder l’angoisse d’une autre façon: en affirmant son identité tout en restant engagé dans le système relationnel. J’ai vu des leaders familiaux prêts à résoudre un problème d’une manière qui me semblait catastrophique. Mais à mon grand étonnement le groupe familial a réagi favorablement à ces soi-disant leaders comme s’ils avaient la réponse et pouvaient les tirer d’affaire.
Dans d’autres cas, j’ai vu des leaders élaborer d’excellents projets en se fondant sur leurs principes. Mais les réactions négatives du groupe ont suffi pour les renvoyer panser leurs blessures et hésiter à émettre à nouveau des idées au risque de travailler en isolement. J’avais sous-estimé le second point de la boussole, l’opposition. Enfin j’ai eu le plaisir d’entendre des responsables familiaux tout simplement fiables. Ils ont des principes matures, de bonnes idées et ils savent les soumettre à leur entourage et avancer sans redouter une vive résistance de leur part.
J’aimerais tant être comme ça. Mais je me situe en général dans la moyenne, je sais élaborer un projet et gérer ensuite la cohésion acerbe du groupe, l’opposition quand j’essaie de faire passer mes idées. Je ne suis pas au top. J’ai toujours les mains qui transpirent et je déteste la critique. Et vous ? Où vous situez-vous ? Peu importe, mais je pense que vous conviendrez de l’importance pour un véritable leader de savoir se différencier dans un système social.
Si vous n’en êtes pas encore convaincu, regardez les nombreux autres domaines où il est important de savoir se démarquer, le monde des affaires par exemple. Au-delà de la famille, dans les systèmes sociaux plus vastes à travers le monde, « la différenciation » revêt d’autres significations. Dans le monde des affaires, il est toujours important de se démarquer et d’être soi-même. Après tout, nous créons à la base des produits qui marchent en faisant en sorte qu’ils se distinguent de tous les autres produits du marché.
Dans son livre The Origin of Wealth, Eric D. Beinhocker illustre l’incidence sur la prospérité du besoin de différenciation et de la qualité de production. La prospérité est le fruit d’un processus en trois étapes: différencier, choisir et développer. Comme disait Darwin, la production est grande, mais la sélection est rude. Si les conditions sont bonnes, la production ne cessera de s’accroître. Puis les conditions changeront au profit des plus ingénieux.
C’est un véritable défi d’observer les grandes forces évolutionnaires et les forces infimes qui œuvrent dans les groupes familiaux et sociaux. Et on constate pourtant des similitudes de fonctionnement. Ce qu’on découvre nous aide à comprendre comment le système social peut exercer sur nous (ou sur nos produits) une influence négative.
Mon but est de vous aider à adopter un regard plus objectif sur l’aspect évolutionnaire des forces en jeu dans les systèmes sociaux afin de comprendre comment elles peuvent vous affecter en tant que membres de ces systèmes.
Les forces évolutionnaires et les conflits inévitables
Au début des années 1970, le chercheur en biologie sociale et évolutionnaire Robert Trivers, l’un des plus célèbres penseurs de la théorie évolutionnaire expliquait pourquoi les êtres humains sont tellement plus intéressants que les autres animaux. Attiré par le souci de l’autre et l’aveuglement sur soi, Trivers a énoncé l’idée fascinante qu’en dépit du partage génétique il y avait des conflits perpétuels sur les domaines dans lesquels les parents devaient s’investir. Quelle est la part de la mère et quelle est celle de l’enfant ? Ce conflit entre les parents et leur progéniture remettait en cause notre regard sur nous-mêmes.
Trivers a identifié les cinq types de relations humaines : les relations entre homme et femme, parent et enfant, frère et sœur, les connaissances et enfin la relation personnelle. Il a ensuite étudié le comportement des animaux dans chacun de ces contextes et il a appliqué à l’homme le résultat de ses observations. Il s’agit d’évaluer la part de ce que l’animal fait pour lui et de ce qu’il fait pour l’autre. Si on donne à l’autre, comment cela va t-il nous aider ou nous nuire ? Il est facile d’évaluer le temps, l’énergie et la nourriture que se partagent les parents, les frères et sœurs et le couple. Ce sont des faits que l’on peut observer chez les animaux et chez les humains. Mais les animaux ne racontent pas d’histoires pour s’attirer notre approbation. Nous voyons les conflits éclater quand les intérêts divergent. Les humains ont bien des ruses pour cacher leurs mobiles réels et c’est l’essence même des histoires.
On se demande d’où nous vient notre préoccupation pour l’autre et pourquoi elle n’existe pas entre individus qui ne sont pas de la même famille. A première vue, elle n’a pas de signification génétique. Mais si on examine le processus dans le temps, ce souci de l’autre s’explique si ces êtres non apparentés savent reconnaître les individus et se souvenir de ce qu’ils ont fait. Si quelqu’un d’étranger à votre famille pense qu’il risque de vous revoir, il sait bien que ce qu’il vous témoigne lui vaudra le moment venu un peu d’attention de votre part.
Trivers a été aussi parmi les premiers à discerner que nous avons un mobile « égoïste » pour nous faire passer pour meilleurs que nous ne sommes. Il en a conclu que le cerveau était conçu pour croire en ses propres mensonges. Les meilleurs menteurs seraient d’ailleurs semble t-il les mieux portants parmi nous s’ils se mentent à eux-mêmes sur leur santé.
Cette découverte intéressante est le fruit des recherches du Docteur en philosophie John M. Gottman qui dirige le « Love Lab » pour les couples (c’est une sorte de clinique où l’on étudie les dynamiques du couple). Il se passionne pour analyser statistiquement comment les gens se montent les uns contre les autres ou au contraire se tempèrent et s’entre aident. Gottman dit que 94% du temps les couples présentant leur mariage sous un angle positif ont de fortes chances de continuer à vivre heureux. Malheureusement il y a aussi des gens dont les motivations sont purement égoïstes et qui croient facilement leurs propres mensonges. Le mensonge est inné chez l’homme. Nous devons garder à l’esprit que les gens sans scrupules qui se mentent à eux-mêmes nous mentiront également si nous les laissons faire.
Les travaux de Trivers inspirent encore beaucoup de chercheurs qui essaient de découvrir les comportements propices au souci de l’autre ou au désintéressement. Mais il faudra encore bien d’autres recherches pour découvrir comment un système familial ou une société, aussi complexes soient-ils, produisent des leaders capables de se démarquer et de gérer les modes de fonctionnement automatiques du groupe pour diriger en périodes tendues.
Les hommes ont la capacité de raconter l’histoire de leurs états émotionnels qui accompagnent une attitude altruiste. La manière dont ils racontent leur histoire peut aussi vous inciter à vous identifier à eux et à partager leurs sentiments. Et même ceux qui font partie de notre famille mais qui n’ont pas la parole, comme les animaux, peuvent manifester culpabilité, honte, reconnaissance, soutien et confiance. On considère ces états émotionnels comme le fondement de notre boussole morale qui incite ceux qui ne sont pas apparentés à se préoccuper de l’autre.
Que nous apprennent les fourmis ?
Nous sommes tous différents et nous voulons tous honorer et utiliser nos capacités humaines pour avancer sur la bonne voie. Nous partageons tous aussi le besoin de communiquer et de travailler ensemble pour apprendre et pour grandir. En fait, nous ressemblons beaucoup aux fourmis sur le plan social : nous pouvons travailler ensemble et nous pouvons aussi dominer les autres pour notre satisfaction immédiate. Pour bien faire, un individu doit pouvoir bien fonctionner dans un groupe et résister à la pression des autres dans un contexte social.
Edward O.Wilson est à la fois homme de science et auteur de The Diversity of Life (1992), The Unity of Knowledge (1998) et The Future of Life (2002). Il fait la remarque suivante: “Les fourmis sont comme les humains, elles doivent leur réussite à leur capacité à communiquer.” On compare souvent les fourmis à une super organisation, gigantesque et bien coordonnée, à cause de leur sociabilité et de leurs modes de communication étroitement liés. Elles recueillent des indices qui leur permettent en tant qu’organisation sociale de faire face à tous les changements.
Dans leur ouvrage Journey to the Ants, les entomologistes Bert Holldobler et E.O. Wilson écrivent ceci : « La fourmilière est le point de référence dans la vie des fourmis. Elle est leur préoccupation première. C’est peut-être pour cela qu’il y a beaucoup moins de guerres entre hommes que de conflits organisés entre colonies de même espèce. Mais l’harmonie est loin de régner à l’intérieur de ces états guerriers. L’égoïsme est courant, surtout pendant les conflits qui touchent les droits à la reproduction. Les ethnologues ont découvert que la fourmilière est préservée par un équilibre Darwinien : survie par soumission à la colonie d’une part et lutte pour dominer d’autre part. »
Les gens sont comme les fourmis, ils ont besoin de travailler ensemble et de préserver leurs valeurs profondes et leurs limites. Nous n’aimons pas qu’on prenne notre place et qu’on nous dicte notre conduite. Mais nous sommes un peu comme les fourmis et il y en aura toujours quelques uns qui essaieront de dominer le groupe en usant de tromperie, en essayant de répandre des informations bien ciblées, en exerçant une surveillance habile ou en agressant l’individu ou le groupe. » (E.O.Wilson)
Chacun vit une tension permanente et nécessaire en se demandant : « Quelle est la part d’énergie que je consacre à moi-même et quelle est celle que j’accorde au groupe, à ma famille, mes collègues, mes amis, mes amours, et autres ? » Tandis qu’on nous incite à prendre une part active au groupe social, nous devons aussi veiller à préserver notre autonomie émotionnelle nécessaire au développement de notre identité, de notre maturité et de notre créativité.
L’étape suivante consiste à apprendre comment communiquer de la manière la plus mature possible et comment responsabiliser les autres pour qu’ils réalisent leurs objectifs et trouvent des solutions à leurs difficultés. Dans le meilleur des mondes possibles, ces deux derniers attributs favoriseront votre adaptation au monde en perpétuelle évolution et préserveront vos valeurs.
Pendant que nous travaillons à devenir les meilleurs leaders possibles, nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer les forces négatives en jeu dans la nature et les systèmes sociaux. Il est plus facile d’étudier d’autres formes de vies que de regarder à soi. Les fourmis nous présentent une culture extraordinaire que nous pouvons observer sans nous impliquer dans ses interactions constantes. Il est toutefois difficile de réaliser cette optique dans nos vies sans une certaine discipline et un certain courage.
Le cerveau intelligent
L’anthropologie, la neurobiologie, la psychologie du développement, la psychiatrie et la thérapie familiale ont cherché à comprendre le fonctionnement des histoires. On s’intéresse également beaucoup à tout ce qui touche au développement de la mémoire, à l’autorégulation, à la sensibilité et à la faculté d’entrer en relation avec les autres ou de les réguler.
Pour concilier ces domaines théoriques, commençons avec le cerveau. Les recherches ont montré que l’individu développe des schémas mentaux sur lesquels il s’appuie pour faire des choix et prendre des décisions. Le cerveau gauche évalue la logique des informations tandis que le cerveau droit donne le contexte social. Dans son livre The Developing Mind, Le Docteur en Médecine Daniel Segal mentionne que notre cerveau fabrique dés notre enfance des schémas mentaux en fonction de nos expériences. Ces schémas sont élaborés par les mécanismes répétitifs des neurones. Ils affectent directement notre perception des choses et nos prises de décision.
Notre rôle est de présager du futur en fonction du passé. La mémoire implicite des évènements ne demande pas qu’on se remémore les évènements mais qu’on identifie ses mécanismes de réaction. Dans une situation de tension, nous adoptons la réaction « fuir ou se battre ». Si une personne sympathique nous aborde, nous sommes plus indulgents et plus ouverts. Dans les deux cas, le passé nous dicte l’avenir et nous prépare pour la rencontre.
Si nous étendons cette notion de mémoire implicite des évènements à tout un récit biographique, nous y découvrirons les richesses des expériences vécues. Les histoires peuvent nous inspirer une idée, ou d’autres façons de penser, ou même nous apporter un éclairage nouveau sur un ancien problème. Même si elles nous déroutent, elles peuvent nous donner suffisamment d’indices pour nous ouvrir de nouvelles perspectives. Une histoire prise dans sa globalité nous permet de réfléchir et de développer les points auxquels nous nous identifions. Nous pouvons aussi nous pencher sur notre histoire de cette manière et réfléchir sur nous-mêmes. Nous sommes amenés ainsi à modifier nos anciens schémas mentaux. Les recherches sur les troubles nerveux post-traumatiques et peut-être avant tout sur le métier de parents ont porté sur la modification des mécanismes de perception erronée et de comportement impulsif. Elles s’appliquent aussi au leadership.
Les types de comportements parentaux et les capacités à diriger
Mary Ainsworth (1913-1999) a développé un programme de recherche sur les relations mère- enfant pour étudier la capacité de l’enfant à explorer l’environnement et à s’autoréguler. L’étalon or de la recherche dans ce domaine, c’est la « Strange Situation ».Elle indique que les premiers modes d’attachement affectif (sécurisant, ambivalent, évitant ou désorganisé) demeurent relativement stables au cours de l’existence d’une personne.
Les enfants des mères à « attachement évitant » (qui ne leur témoignent pas d’affection, les délaissent ou les rejettent) sont fuis par leur entourage à l’âge adulte.
Puis il y a les parents à « attachement ambivalent ». Leurs états émotionnels et mentaux perturbent souvent leur stabilité et leur capacité à être attentifs aux besoins de l’enfant. Ce sont des parents parfois trop distants et parfois trop envahissants. Leurs enfants deviennent anxieux et imprévisibles et le resteront à l’âge adulte.
Les enfants qui présentent un « attachement désorganisé et/ou désorienté » sont confrontés à des messages parentaux du type « viens ici et vas-t-en. » Ils adoptent alors un comportement évitant, ils tournent parfois littéralement en rond et sont incapables d’entrer en contact avec l’un ou l’autre parent. L’enfant ne peut pas trouver le calme et la sécurité dont il a besoin auprès du parent puisque c’est lui qui est à l’origine de ses peurs et de sa confusion. Ce type d’enfant rencontre les plus grandes difficultés à gérer ses émotions et à s’entendre avec les autres quand ils sont adultes.
En suivant les patients qui ont participé aux recherches d’Ainsworth, Alan Soufre et son groupe ont découvert que le type d’attachement parent/enfant pouvait évoluer en fonction des changements dans les relations profondes. Mais un attachement parent/enfant sécurisant laisse souvent présager d’un bon leadership.
Mary Main et son équipe ont développé le AAI (Adult Attachment Interview) pour découvrir les aspects de la vie des parents qui affectent leurs relations avec leurs enfants. En posant aux stagiaires une vingtaine de questions sur leur enfance, Main et son groupe de chercheurs pouvaient prédire à 85% comment ils élèveraient leurs enfants dès l’âge de un an. Ces estimations ont été réalisées avant la naissance de l’enfant. (On pouvait classer les réponses selon trois critères: environnement trop communicatif, pas assez communicatif, facilement désorienté. Les types de comportements parentaux se répartissaient en cinq catégories : « autonomes, démissionnaires, préoccupés, intriqués et désorientés/désorganisés. »)
Les recherches du NIMH (l’Institut Fédéral pour la Santé Mentale) : l’observation de ce que font les gens
Comme je l’ai déjà évoqué, pendant trois ans (de 1956 à 1959) le Docteur Bowen a observé au NIMH deux générations de familles vivant ensemble. Il y a constaté comment l’incapacité d’un membre de la famille à assumer une position de dirigeant était étroitement liée aux échanges tendus et aux dysfonctionnements. Les chercheurs ont remarqué qu’un changement pouvait s’opérer dans la famille dès qu’un de ses membres commençait à assumer la responsabilité de ses actes. Celui qui était prêt à diriger rencontrait obligatoirement une opposition. Mais s’il ne passait pas à l’attaque et s’il tenait bon, la famille finissait par se calmer et par mieux fonctionner.
Le docteur Bowen avait remarqué aussi que les familles nucléaires qui s’étaient coupées des générations antérieures risquaient davantage de développer des symptômes. Ces familles et celles qui avaient vécu des divisions entre générations étaient excessivement sensibles aux nouvelles idées et aux relations. Elles s’opposaient aussi à toute tentative de rapprochement avec leur système élargi et pensaient souvent que le « problème » venait du monde extérieur.
Par contre, les familles dont les systèmes tri générationnels étaient plus unis avaient une optique plus large sur la vie et s’intégraient mieux au monde extérieur. Les parents qui étaient capables de changer s’appuyaient sur des principes de vie bien définis pour gérer les réactions à leurs prises de position. (On a eu néanmoins le cas d’une mère qui a manifesté des symptômes quand il lui a fallu prendre position.) Ceux qui attendaient que le psychiatre ou l’équipe soignante apportent leur solution fonctionnaient en général moins bien.
Les histoires familiales de gens bien différenciés traduisent un grand respect de l’individualité et une meilleure qualité d’échanges avec l’autre. Quand les gens évoluent dans un environnement favorable et qu’ils sont moins obligés de se conformer à un objectif irréaliste, ils relatent souvent des histoires positives sur leurs jeunes années, même s’ils ont parfois des anecdotes stressantes. Les gens moins matures, par contre, rapportent souvent des situations conflictuelles avec des relations très tendues et critiques.
L’un des premiers concepts de la Théorie Systémique Familiale reposait sur la nécessité pour une personne prête à travailler sur son mode de fonctionnement de chercher à connaître son histoire personnelle et celle des autres membres de sa famille. C’est parfois difficile car beaucoup de familles n’ont pas de contacts avec leur famille élargie. Une famille peut même n’être en relation qu’avec ceux qui partagent exactement les mêmes points de vue. Mais ce travail de découverte, difficile ou non, vous aidera à développer une fermeté émotionnelle qui consolidera et renforcera vos capacités à diriger.
On peut faire des découvertes amusantes et même sérieuses quand on va voir sa famille élargie pour lui donner sa version de son histoire, lui poser des questions et écouter ses commentaires. En prenant ou reprenant contact avec plusieurs générations de votre famille, vous ferez des découvertes sur votre jeunesse, vos parents et vos grands parents. Vous découvrirez peut-être même une histoire étonnante sur votre grand père ou votre grand-mère.
Lorsque vous leur rendrez visite pour écouter leur version de l’histoire de votre famille, vous prendrez peut-être avec vous votre thermomètre factuel. Votre objectif sera d’acquérir une optique systémique plus globale des forces en jeu dans votre vie et de leur influence sur votre mode de réaction actuel. Votre mode de fonctionnement s’améliorera quand vous aurez surmonté ces réactions trop vives. La famille est en général un lieu de formation sûr avant de vous lancer dans le monde.
La vérité, la vérité relative et l’émergence des leaders
Nous comprendrons mieux comment nous fonctionnons si nous admettons que nous élaborons notre histoire en partenariat avec nos proches. Ces derniers s’ajoutent à nos cerveaux impulsifs pour influencer nos croyances. Souvent, même nos différences sont des réactions à la « vérité » à laquelle on veut nous faire adhérer. Dans notre histoire personnelle, la majorité des faits dépendent et se conforment même peut-être à l’interprétation qu’en donnent les autres. Si toutes ces influences subtiles nous enseignent une leçon d’humilité sur notre histoire, c’est encore mieux.
On ne connaît guère que sa « vérité » dans toute relation suivie au sein d’un système social. J’ai si souvent entendu les membres d’une même famille relater un évènement chacun à leur manière que j’avais du mal à croire qu’il s’agissait de la même histoire. Mais c’est ce processus complexe qui révèle et affecte notre avenir.
Quand vous demandez aux autres de commenter les évènements de votre vie, vous pouvez ne pas être d’accord ou au contraire écouter de votre mieux, mais personne ne connaîtra parfaitement toute l’histoire. Et il y aura forcément des points de vue différents. Le paradoxe c’est qu’en racontant de nouveau votre histoire aux autres, vous aurez des blancs car certaines forces exercent une influence néfaste sur votre connaissance personnelle et la maîtrise de votre soi. Si vous pouvez accepter l’incertitude et une vérité imparfaite vous saurez remplir ces blancs en identifiant mieux les forces qui agissent sur vous.
La dimension positive de nos pensées
Si vous pensez encore qu’on a besoin de connaître la « vérité » absolue, voici quelques réflexions supplémentaires. C’est formidable d’avoir des souvenirs du passé irréels et positifs et beaucoup d’entre nous avons cette chance. Quand nous observons les aspects positifs de notre vie, le négatif commence à l’emporter sur le positif. (« La vie est belle et nos souvenirs contribuent à la rendre attrayante ! » W.R. Walker, J.J. Skowronski et C.P. Thompson. 2003 Review of General Psychology.) Il est prouvé que les gens qui ont des souvenirs positifs (et un entourage très présent) réussiront mieux dans la vie. Ils sont plus optimistes, plus assurés et mieux armés pour s’adapter à l’avenir incertain.
Nous avons besoin de cette dimension positive car l’incertitude engendre l’angoisse et la perte de confiance en ses relations. Quand l’angoisse monte, il suffit qu’une personne fonctionne avec calme et sagesse pour faire baisser la tension du groupe. Si nous savons voir les aspects positifs de nos vies, nous les discernerons plus facilement chez les autres et nous pourrons ainsi les aider à s’organiser et à trouver leur équilibre.
Trouver des leaders dans un système social
« Ne cédez pas au panurgisme. Si vous défiez la sagesse populaire, vous verrez de grands changements. » Bill James, Moneyball
Le management est inné chez certains tandis que d’autres ont besoin de se former. C’est un savoir faire qu’on peut appeler le « savoir relationnel ». Pendant la deuxième guerre mondiale, quand la mortalité et la détresse humaine étaient à leur comble, le savoir relationnel était la priorité de l’Armée Britannique pour ses nouvelles recrues. Elle avait besoin de soldats capables de garder leur sang-froid, d’être efficaces et de trouver des solutions. La Tavistock Clinic où travaillaient les plus grands cerveaux de l’époque a proposé une démarche pour trouver des leaders qui privilégient les relations au dynamisme et à l’énergie.
On n’a pas fait appel à un instructeur mais à un observateur pour identifier les individus qui avaient ce potentiel. Un conseiller était chargé d’observer un groupe d’hommes qui se réunissait. Pas de programme, pas d’instructions, pas d’uniforme, juste un consultant avec un bloc-notes. Le travail du conseiller consistait à « n’exiger en aucun cas que le groupe adopte sa manière d’agir. » Il se contentait de noter comment se manifestait le leadership et qui le groupe écoutait. Quand un leader solide se révélait, le groupe s’apaisait rapidement et il trouvait ses solutions. Les groupes se portent mieux quand émergent des leaders qui ont un sens relationnel. Ce paradigme allait faire avancer les choses en psychiatrie.
Nous avons besoin de leaders capables de nous raconter comment ils ont développé leur savoir relationnel : en formulant des principes, en examinant la situation dans son ensemble, en gardant leur calme tout en étant présents et en gérant les interactions les plus minimes. Un leader efficace est capable de détecter et d’interrompre des modes de fonctionnement négatifs avant qu’ils prennent trop d’ampleur. Ce n’est pas facile pour les visionnaires. Encourager les bons échanges est un savoir-faire peu connu qui peut aussi bien façonner que briser un leader.
Faire pression sur les autres ou au contraire les encourager
Une des grandes originalités chez les fourmis, c’est qu’il n’y a pratiquement pas d’opposition aux règles établies et que les petits semblent très peu réactifs. Quelles différences avec nous, les humains ! (Freud faisait grand cas de notre tendance à renverser le père et ceux qui le remplacent.) Mais les fourmis partagent tellement de caractéristiques communes que tous les chefs se valent. En fait, ils ne gouvernent pas vraiment. Ils élèvent juste quelques travailleuses de plus. Comme les employés qui ont leur réunion de travail du matin pour se répartir le travail de la journée, les fourmis se réunissent et se donnent des coups d’antennes pour savoir entre autre qui va sortir les déchets, qui est de garde, qui doit sillonner les chemins poussiéreux pour trouver de la nourriture et qui doit rester à la maison pour les autres tâches. Puis il y a tout le travail des tranchées et des passages souterrains qu’il faut creuser. Le rôle de la fourmi peut parfois dépendre de son physique. Dans certaines colonies c’est la forme de sa tête qui révèle son savoir-faire ; mais si le corps n’est pas différencié (encore ce mot !), c’est la colonie qui décide du rôle de la fourmi. C’est un bon système. Et il a toujours fonctionné.
Les familles et les organisations fonctionnent peut-être un peu comme ça pour se répartir les rôles. Personne ne vous oblige à être l’intellectuel, le responsable, le stupide ou le comique, mais on vous pousse à entrer dans l’un de ces rôles. Les psychologues ne connaissent pas encore bien les facteurs qui interviennent dans cette répartition des rôles. Nous pouvons identifier les variables : les gènes, le tempérament et la position dans la fratrie (de l’individu, des parents et des grands-parents). L’intelligence émotionnelle est une variable importante. Si vous cherchez un dirigeant, vous voulez savoir s’il a su tenir bon dans ses relations en restant fidèle à ses principes. Puis il y a la force négative et le degré d’angoisse et d’inquiétude du système familial. Nous savons que la position attribuée à un individu dépend de tout un ensemble de facteurs conjugués mais nous ne savons pas évaluer l’importance d’une variable par rapport à l’autre.
Ce n’est manifestement pas comme le père et la mère qui veillent pour évaluer tous les critères avant de décider qui prendra les responsabilités du jour. C’est un ensemble bien plus subtil de processus inconscients et automatiques. Comme je le disais, les gènes exercent un certain impact, mais aussi les tensions et le désir ou le refus de se sensibiliser et de participer au système émotionnel familial. Tous ces facteurs ont un impact sur nos relations et notre rôle. Et n’oublions pas que tout mode de fonctionnement nouveau engendré par un système est souvent le fruit du hasard. Nous ne voulons pas non plus ignorer les besoins de la société ni l’état du système social actuel. Le point essentiel, c’est que le système fait pression sur l’individu qui peut faire pression sur le système ; d’où le besoin grandissant de développer son « savoir relationnel ».
Trois trésors de sagesse à découvrir dans les histoires
Arrêtons-nous une minute pour résumer brièvement ce que nous avons appris jusqu’à présent sur les histoires et sur nous-mêmes.
(1) Les histoires révèlent au cerveau humain des processus enfouis. Les œillères relationnelles (le stress, trop de détails, des données qui n’ont pas de sens, etc.…) peuvent nous empêcher de nous interroger et d’observer ce qui se passe entre les gens.
(2) Des témoignages vrais nous montrent comment un individu bien différencié, solide et sensibilisé aux systèmes peut établir et gérer des réseaux efficaces.
(3) L’expérience nous aide à comprendre les relations et les histoires complètent nos connaissances de ce qui se révèle dans un cadre relationnel. La conjugaison de ces deux éléments nous permet d’observer ce qui se passe et de déterminer avec un minimum d’indices comment gérer le mode de fonctionnement révélé.
Solomon Asch- L’aveuglement, les fourmis et l’amour
« Un mensonge a toujours un certain impact sur ceux qui veulent y croire. » E. W. Rice
Revenons maintenant à ma réflexion :
En 1951, le psychologue social Solomon Asch a réalisé une expérience pour vérifier si nos prises de décisions et/ou nos perceptions pouvaient être affectées par la pression des autres. Il a découvert avec surprise et dépit qu’environ un tiers de la population peut se laisser influencer par le groupe pour donner une réponse erronée. Je me demande par contre s’il ne serait pas profondément rassurant de savoir qu’un tiers seulement des sujets étaient prêts à modifier leurs réponses pour les conformer à celles du groupe. Après tout, nous avons vu combien la pression du groupe peut être puissante. Voici comment s’est passée l’expérience : Un étudiant s’engage à effectuer un test psychologique. D’autres arrivent, il croit que ce sont des étudiants mais ce sont en fait des acteurs. Ils savent exactement ce qu’ils doivent faire. On pose deux cartes devant chaque individu; il y a une seule ligne verticale sur celle de gauche et trois lignes de longueur différente sur celle de droite. (Voir l’illustration ci-dessous).
L’expérimentateur demande ensuite à chaque participant d’identifier à tour de rôle la ligne de la deuxième carte correspondant à la ligne de la première carte. On répète l’expérience plusieurs fois avec différentes cartes.
Plusieurs fois, les autres « participants » ont choisi la mauvaise ligne. L’étudiant savait pertinemment qu’ils s’étaient tous trompés même s’ils avaient tous donné la même réponse. Que feriez-vous dans cette situation ? Allez-vous vous rallier à la majorité ou rester sur vos positions et faire confiance à vos yeux ?
A la surprise d’Asch, 37 participants sur 50 se sont ralliés au moins une fois à la majorité et 14 ont continué pour plus de la moitié des épreuves. Dans quatre épreuves sur douze, l’homme de la rue s’est rallié à la réponse erronée et unanime des autres membres du groupe.
Ces résultats ont profondément troublé Asch: « Dans notre société, la tendance au conformisme est si forte que des jeunes gens normalement intelligents et bien intentionnés sont prêts à appeler blanc ce qui est noir. C’est extrêmement inquiétant et ça soulève des questions sur notre éducation et les valeurs qui guident notre conduite. » (Extrait de The Legacy of Salomon Asch : Essays in Cognition and Social Psychology de Irvin Rock.)
Si nous sommes attachés à la démocratie, cette découverte devrait-elle nous inquiéter ? Probablement. Il est d’autant plus urgent de découvrir comment et pourquoi certains individus émergent de leurs familles avec une grande fermeté émotionnelle et résistent à de telles pressions. Nous devons tenir en grande estime ceux qui se laissent moins facilement influencer par le groupe et qu’on ne peut pas contraindre à renier leurs opinons et leurs valeurs. Mais ils risquent de ne pas être très populaires auprès du groupe.
« …Vous suivez un certain chemin en espérant la réalisation de quelque chose de prometteur. Mais aucun chemin n’est vraiment définitivement tracé. Aucun n’est établi. Nous le découvrirons pas à pas. La notion de perfection ou le chemin idéal qu’on nous a préparé, ce n’est pas celui qui nous convient. Chacun d’entre nous doit trouver sa voie, laquelle transmettra la voie universelle. C’est le mystère. » Shunryo Suzuki.
Pourquoi notre relation avec ceux que nous admirons et que nous aimons est-elle si difficile ? Elle devrait être si simple, pourtant. Si elle ne l’est pas pour vous, alors bienvenue au club. L’homme est un être social, et il doit sans cesse apprendre à maîtriser son cerveau réactif aux émotions et sur programmé. Notre instinct peut nous souffler d’entrer dans une fusion bien sympathique mais il y a quelque chose qui cloche et nous disons non. Oui nous réagissons au plus petit signal et courons nous mettre à l’abri. C’est parfois la bonne chose à faire. (Certains ont le courage de dire que nous réagissons ainsi parce nous avons besoin d’être des créatures promptes à évoluer dans un environnement incertain !)
D’autres affirment que nous sommes dirigés par nos émotions profondes et que nos cerveaux n’ont pas le temps de réagir. Sommes-nous prisonniers de nos anciens schémas et réagissons-nous à l’excès au son d’un klaxon ou à la vue d’un visage qui nous est cher ? Chaque jour nous pouvons choisir comment réagir en devenant plus lucides et en allant moins vite. Les choix ne sont pas simples. Pour ceux qui ne veulent pas se fatiguer, vous pouvez toujours rester sur pilotage automatique. Les autres, vous pouvez déjà vous préparer et rester sensibles au présent pour découvrir l’évolution de l’environnement. Elle se réalisera d’un moment à l’autre, d’une année à l’autre et d’une génération à l’autre.

C’est le moment d’examiner les modes de fonctionnement que nous avons « hérités » de notre passé. Nous sommes tous sensibilisés à nos erreurs passées. C’est pourquoi nous avons tendance à les éviter ou à les compenser. Etant donné toute cette sensibilité, il est miraculeux que toute liberté soit possible, même si un effort de discipline s’impose. Comment conserver son libre arbitre quand la sensibilité affective entre en jeu ?

D’une part, elle nous permet d’imiter. Si vous vous intéressez au leadership, vous pourrez observer et apprendre à travers d’autres leaders que vous admirez. Si vous voulez devenir un grand athlète, vous serez sans doute très attentif aux joueurs hors ligne de votre catégorie. Mais combien parmi nous comprennent que notre décision d’imiter ou bien de rejeter les schémas comportementaux du passé influe grandement sur notre comportement actuel avec nos proches et nos bien-aimés ?

Par exemple, quand nous étions enfants, nous observions le mariage de nos parents, leur attitude l’un envers l’autre. Il est donc difficile de savoir si le temps que nous passons dans les bras d’un être cher est ce à quoi nous aspirons ou si ce temps est déterminé par notre sensibilité au passé et par le comportement de nos parents.

On est sensible à l’approbation et au rejet de l’autre dans tout système relationnel important. Au travail, on se préoccupe beaucoup de sa position, du respect qu’on nous témoigne. A la maison, on recherche l’amour et l’approbation des membres de sa famille et on est très sensible à ce qu’on en reçoit. En tant que leaders, il est important de savoir distinguer notre sensibilité au passé et notre sensibilité actuelle.

Vous souvenez-vous de Stanley Milgram ?
101 questions pour surmonter le besoin de plaire et développer son savoir relationnel

Terminons ce chapitre avec la conclusion que notre vie de tous les jours est régie par deux forces, la force pour la fusion et la force pour l’individuation. En prenant du recul pour observer ce phénomène dans l’histoire de l’évolution, nous devons simplement travailler ensemble comme les fourmis. Des forces génétiques profondes entrent en jeu quand on fait partie d’une espèce particulièrement sociable.

Mais cette prédisposition à s’entendre avec les autres présente malheureusement une face cachée. On peut l’appeler la recherche d’amour et d’approbation pour toutes sortes de mauvaises raisons. Mais si nous comprenons combien cette force est profondément instinctive nous serons beaucoup plus conscients et plus compréhensifs face au dilemme que nous rencontrons tous. La force de cohésion peut se manifester par le fait de passer trop de temps avec quelqu’un ou par le besoin de bien s’accorder avec son conjoint(e), son père, sa mère, son enfant ou le groupe social du moment. Mais dans le cas des figures d’autorité, nous risquons d’être sérieusement aveuglés. Le dilemme du dirigeant, c’est qu’il représente toujours la figure d’autorité, ce qui l’aveugle sur la gestion de son soi.

Si vous doutez encore de l’importance de savoir rester soi-même (en ce qui concerne principalement les figures d’autorité), le psychologue Stanley Milgram vous présente l’autre alternative. Il a réalisé entre 1961 et 1962 une expérience à l’Université de Yale qui montre que 65% de ses sujets étaient prêts à administrer « des charges électriques pouvant atteindre 450 volts à leur victime qui faisait mal à voir. Ils se soumettaient simplement à une autorité scientifique sachant que leur victime n’avait rien fait pour mériter un tel châtiment. »

La « victime » était en fait un comédien qui simulait sa souffrance. Mais aucun des participants ne le savait pendant l’expérience. Voici la conclusion que Milgram apporte sur son expérience :

« On voyait avec une régularité stupéfiante des gens honnêtes se soumettre aux ordres d’une figure d’autorité pour commettre des actes graves et impitoyables. Des gens habituellement sensés et raisonnables se sont laissés entraîner par une façade d’autorité à accomplir des actes cruels. Ils n’ont pas su analyser la situation et se sont conformés aveuglément à l’analyse de l’expérimentateur. Beaucoup de gens font ce qu’on leur demande en toute bonne conscience et sans le moindre sens moral tant qu’ils imaginent obéir à une autorité légitime. » Stanley Milgram

« Voici probablement l’enseignement principal à tirer de notre étude: des gens ordinaires et droits peuvent se soumettre à ce qu’on leur demande et devenir les agents d’un atroce processus de destruction. En outre, même devant l’évidence des effets destructeurs de leurs actes et de leur incompatibilité avec leurs principes moraux, très peu de gens sont capables de refuser d’obéir à l’autorité. Stanley Milgram
Il semble que nous soyons des marionnettes entre les mains de la société. Mais nous sommes des marionnettes avec un discernement et une conscience. Et cette conscience est peut-être le premier pas vers notre affranchissement. » Stanley Milgram

Chapitre Cinq- Les interviews : Ned et Diane Powell, Ladonna Lee et Geraldine MacDonald

Je ne connais qu’un seul et unique moyen infaillible et fiable de favoriser la prospérité des peuples, c’est de faciliter la communication entre les hommes. Alain de Tocqueville
Les chapitres précédents ont mis en évidence la réceptivité de notre cerveau aux histoires qui lui révèlent des processus cachés. Nous savons que les œillères relationnelles, le stress, les informations qui n’ont pas de sens peuvent provoquer des réactions et un recours réflexe excessif aux mécanismes de défense. L’angoisse qui monte dans les relations peut nous aveugler sur les interactions entre individus. Il est donc important d’apprendre à gérer son soi dans différents types de relations en étant attentif à son histoire et à celle des autres. On vous proposera toute une liste de recettes : être agréable, positif, joyeux, avoir des discussions sensées, mais rien de tout cela ne vous aidera à changer votre comportement.
D’autre part, les histoires vécues nous montrent avec quelle subtilité l’individu établit et gère les réseaux relationnels. S’il est stable et bien différencié et par-dessus tout conscient des systèmes, son histoire aura un impact sur le lecteur. Plus les gens présentent clairement leur expérience plus il est facile d’écouter et même d’apprécier leur histoire. Nous pouvons ainsi établir des liens entre l’expérience de l’autre et notre expérience personnelle.
Les histoires nous enrichissent. Les points de vue des autres et notre expérience bien méritée nous aident à mettre le doigt sur ce qui se passe exactement dans les relations sociales. Il nous suffira alors de quelques indices pour savoir comment gérer les modes de fonctionnement relationnels qui se révèleront.
Quelques trésors de sagesse pour l’entreprise
➢ On ne peut pas modifier un système figé sans occasionner de troubles. Toute entreprise, toute organisation, toute famille est capable de faire des erreurs qui peuvent lui être fatales. Sachant que les anciens thèmes de fonctionnement sont d’excellents indices des dynamiques futures, il paraît dangereux et inquiétant de les interrompre. On estime que c’est trop risqué. C’est pourquoi on renonce souvent aux changements qui seraient nécessaires.
➢ Quiconque est prêt à se lever et à perturber les anciens mécanismes dans une entreprise doit être prêt à créer de nouvelles relations fructueuses avec les gens qu’il a déstabilisés, sinon il risque de les perdre.
➢ S’il est important pour un leader de bien connaître les réalités de l’entreprise, il doit surtout être à l’écoute du personnel qui y travaille, développer avec eux une relation authentique et prendre ensuite une décision qui privilégie le changement.
Ned et Diane Powell
L’un de mes objectifs pour ce livre était de trouver un couple qui puisse à la fois nous expliquer comment son histoire familiale a influé sur son leadership et comment il a conjugué vie familiale et carrière professionnelle.
C’est par l’intermédiaire de mon cercle de lecture que j’ai rencontré Diane Powell (Présidente des Editions des Plaines et ancienne vice-présidente de la NBC). Elle se distinguait du groupe, une très grande femme au franc-parler et une dirigeante pleine d’humour qui soulevait des questions personnelles sur le thème du livre en nous aidant à nous connaître sur un autre plan. Sachant qu’elle était sensible aux challenges des femmes qui voulaient s’investir dans la gestion de l’Amérique des entreprises, je lui ai demandé si elle voulait bien prendre part à mon projet.
Diane était prête à s’y investir et à prendre le temps de réfléchir à l’impact de sa relation avec sa famille sur sa décision de diriger. Je savais aussi qu’elle admirait son mari, Ned Powell, le président de l’USO (l’organisation pour les soldats) et je lui ai donc demandé s’il pourrait aussi participer à notre entretien. L’idée leur a plu et nous avons eu des échanges très enrichissants.
Ned Powell, actuellement à la tête de l’USO, a commencé l’entretien en réfléchissant à la manière dont ses relations familiales avaient nourri ses désirs de s’investir dans un groupe plus large. Nous partagions tous l’idée que la famille influe sur le comportement social de l’individu. Et que la société influe aussi sur le mode de fonctionnement des familles. Mais chacun de nous a son interprétation personnelle des détails.
Les attentes familiales
Ned affirme que les attentes sociales et familiales annoncent comment les enfants voient les défis et les perspectives de leadership. Les familles ne peuvent évidemment pas toujours surmonter tous les obstacles dans la société. Il y a des facteurs d’influence comme l’espérance de vie des enfants des quartiers défavorisés. Certains facteurs évidents perturbent les chances de réussite des enfants en dépit des meilleures intentions des familles.
• NP. Vous avez certaines attentes sur la famille en fonction de ce que vous avez vécu dans la vôtre. Elles sont comme l’air que vous respirez. Quelles sont vos aspirations ? Elles sont là, en toile de fond, et elles préparent votre avenir.
Dans notre société, nous sommes surpris du manque d’adéquation entre le mode de fonctionnement de la famille et ce que nous attendons de la société.
Après la mort de mon oncle Lewis, je suis devenu l’aîné de la lignée familiale. C’est là que j’ai commencé à prendre conscience de l’influence de la famille. Le chef de famille était mort. C’est un choc de réaliser qu’on devient tout à coup le plus âgé.
(L’oncle Lewis n’était autre que Lewis Franklin Powell, le juge de la Cour Suprême des Etats-Unis de 1972 à 1987. Il n’avait pas une très bonne réputation et passait pour le spécialiste des compromis et des consensus.) C’était le frère aîné de mon père. Ce dernier avait aussi une sœur jumelle. Mon père et son frère avaient fait tous les deux la seconde guerre mondiale. Mon oncle a fait des études de droit et mon père l’école de commerce à Harvard. Ma famille est issue d’une longue lignée d’enseignants et de gens qui se sont investis dans la société. Nous vivons en Virginie depuis les années 1600. L’idée était que la société vous donnait une fonction et que vous deviez en retour vous engager pour elle.
Les attentes prennent deux directions : encourager et restreindre. Elles induisent bien des formes de pressions parfois très subtiles. Je vous donne un exemple : Je vivais à Boston après le décès de mon père en 1979 et j’ai reçu une lettre de l’oncle Lewis qui voulait s’immiscer dans un rôle parental alors que j’avais la trentaine. Il me demandait ceci « pourquoi as-tu quitté la Virginie ? Aucun membre de la famille n’a quitté le pays, sauf pour les études ou pour servir à l’armée. »
Les valeurs familiales étaient très claires. S’investir dans la société est un privilège et un honneur, ce n’est pas un choix. Vous êtes leader pour faire du meilleur travail et pour apporter un plus.
Mon souci majeur, ce sont les écoles des quartiers défavorisés. Je vois combien on se désintéresse de la vie de ces enfants. Qu’est ce qu’ils espèrent pour leur vie ? On se demande comment leur faire faire telle ou telle chose. C’est une démarche progressive. Ce qui fait du tort à l’école, ce sont les familles. La vie de l’école est subordonnée à la vie des familles et des foyers.
C’est toujours une question d’attente des familles. Si vous parlez avec les enfants de ces quartiers défavorisés, beaucoup vous diront que leurs amis sont morts. Ils n’ont aucun projet. Ils auraient besoin d’un parent ou d’une personne qui les accompagne et les aide à s’en sortir.
C’est en réalité la position sociale de ma famille qui me permet de réaliser mes objectifs. A condition bien sûr que je sois prêt et capable de payer le prix de ma réussite en travaillant dur.
• DP. Ma famille m’a également fait comprendre que j’étais capable d’aller à Harvard. Il me suffisait d’obtenir un prêt et de travailler dur pour réussir mes études.
Je vois aussi les attentes de la société, notamment comment elles agissent sur les femmes. La société ne comblait pas les attentes d’une famille qui avait besoin que la femme travaille. Les femmes des années 1940 comptaient trouver un bon mari et avoir des enfants. Mes grands parents étaient des immigrants. Ils devaient apprendre la langue et faire leur place. J’avais d’autres défis à relever. Je pouvais aller à Harvard, mais dans quel but? La société n’était pas prête à encourager la réussite professionnelle d’une femme, et elle ne l’est toujours pas.
Les attentes des familles ne préparaient pas les femmes à dépasser le niveau professionnel auquel elles avaient tendance à plafonner. Nos grands parents étaient arrivés dans ce pays avec toutes sortes de rêves pour un avenir meilleur, mais à leur époque la femme soutenait son mari dans sa carrière. Des femmes à l’administration, c’est un phénomène assez récent.
Je ne sais pas très bien comment les dynamiques familiales et la position dans la fratrie nous préparent au leadership. Il est plus facile de voir ce qui se passe dans un groupe bien défini de femmes ainsi que les obstacles sociaux qui persistent. Ned, sais-tu si les membres de ton équipe de direction sont les aînés de leur famille ?
• NP. Je n’ai jamais beaucoup réfléchi au lien possible entre le rôle qu’on hérite de sa famille et la position qu’on occupe dans son travail.
Je m’aperçois qu’il y a des connotations logiques entre les positions dans la famille et les dynamiques familiales. Mais je ne sais pas personnellement comment la position dans la fratrie s’applique au cadre professionnel. Il doit bien y avoir des interactions logiques. Notre position dans le groupe influe sur la manière dont nous nous acquittons de notre fonction.
J’imagine que la dimension de la famille compte aussi. Les familles au nombre impair ne doivent pas fonctionner aussi bien car il est plus facile de se regrouper à plusieurs contre un seul. C’est comme l’émission de télé réalité The Apprentice rediffusée maintes et maintes fois. Comme disait Bill Cosby, les parents qui n’ont qu’un enfant ne savent pas ce que c’est que d’être parents.
Les influences plus manifestes à l’intérieur de la famille nucléaire
Nous sommes quatre enfants dans ma famille. J’ai deux sœurs aînées et un frère plus jeune. Je suis très proche de mon frère et de ma sœur aînée. Je ressemble beaucoup à ma soeur la plus proche en âge. Les caractéristiques physiques sont intéressantes. Mes parents avaient les yeux marron et deux de mes soeurs ont les yeux bleus.
Mon frère est beaucoup plus introverti, c’est un passionné d’escalade qui n’a pas peur du danger. L’escalade ne m’intéresse pas, mais ma vie professionnelle est beaucoup plus risquée que la sienne. J’aime discuter avec les gens et il aime lire. Il est plus du côté de ma mère et je suis plus du côté de mon père. J’étais proche de mon père mais je sais que je lui ai occasionné des brûlures d’estomac. Nous avons des caractères semblables.
Ma mère était littéraire. Elle était très intelligente et de bon contact ; elle était présidente de sa classe à l’université féminine de Wellesley. Elle était la plus jeune des cinq enfants de la famille. Mon père n’aimait pas lire à la maison, mais cela ne l’a pas empêché de suivre l’école de commerce d’Harvard. J’aime lire, comme ma mère. Mon père aime lire tout ce qui se rapporte aux avions, et je suis pareil. Nous partagions la même passion pour les avions. Mon père était pilote dans la marine mais j’avais une si mauvaise vision que je n’ai pas pu servir dans les forces marines. Je voulais m’impliquer et je me suis donc engagé dans la Marine à 21 ans, après l’université. Ce fut pour moi une décision importante. Je réfléchis à quelque chose et je le fais. Je n’hésite pas longtemps avant de me décider et d’agir. Ma mère a tendance à remettre ses décisions à plus tard, et je pense que c’est un obstacle pour elle.
Il est intéressant d’examiner les différences dans les familles, les influences et les empiètements sur autrui.
• AMS. Dans les familles, on apprend souvent aussi bien par identification aux comportements positifs qu’en observant l’aspect négatif de certains traits de caractère et en refusant de prendre le même chemin. Il semble que vous vous soyez davantage identifié à votre père tout en admirant votre mère et il y a bien sûr les deux sœurs aînées. Il est très important de ne pas trop hésiter avant de se décider quand on est un leader, c’est une qualité à développer.
• DP. Je crois que ta décision de t’engager était importante pour toi. Tu t’es fait davantage respecter en t’engageant car tu as appris à être en relation avec toutes sortes de gens et à faire ton chemin. Le fait que tu sois devenu ensuite le chef de l’USO te donne une autre optique pour traiter les situations difficiles.
• NP. Oui, et je vois les problèmes de la femme dans la société au travers du vécu de mes sœurs. Ma soeur Kathy est très intelligente. Elle s’en est très bien sortie quand elle travaillait à la banque puis elle s’est mariée et elle a eu des enfants. Mais ce fut un peu la mort de sa carrière. Si vous déviez un peu de la trajectoire, vous redescendez dans la hiérarchie quand vous voulez reprendre votre activité. C’est ce qui s’est passé pour ma sœur quinze ans plus tard.
• DP. C’est tout à fait ça, mais la femme doit toujours rivaliser avec les hommes et s’investir autant pour rester sur un pied d’égalité. Ses tâches familiales ne doivent pas faire obstacle à sa réussite.
• NP. Oui, bien sûr, mais le système juridique ne vous autorise pas à dire à une femme : « Vous devez garder votre poste et rivaliser avec les hommes. » Malheureusement il y a des stéréotypes et si une femme doit consacrer plus de temps à sa famille, elle peut être rayée pour manque de sérieux. D’un autre côté, si une femme fait tout pour se maintenir au niveau des hommes, les enfants risquent d’en payer le prix.
J’essaie de former les gens à examiner les avantages et les inconvénients ainsi que les conséquences à long terme de leurs décisions. L’un des partenaires peut prendre la décision de faire carrière tandis que l’autre reste à la maison. Mais beaucoup de familles n’ont pas le choix et les deux parents doivent travailler. J’espère que c’est un choix d’avoir des enfants et je dis aux gens : « Réfléchissez à vos choix. Si vous avez des enfants, ils doivent rester votre priorité. »
Dans son livre, Judith Wallerstein évoque une deuxième possibilité. Elle estime que les hommes peuvent aussi bien rester à la maison pour s’occuper des enfants. Mais nous savons que ça soulève des problèmes. Car nous ne pouvons pas changer l’aspect biologique. Ce sont les femmes qui donnent naissance aux bébés et c’est un sujet d’angoisse si la mère doit laisser ses enfants pour aller travailler.
• DP. C’est en général la mère qui élève les enfants et le père qui apporte l’argent à la maison. Ce que j’ai retenu de ma famille, c’est que mon père avait une meilleure qualité de vie.
Je suis sûre que bien des éléments peuvent nous influencer dans notre réponse à la question : «Est ce que je privilégie ma carrière professionnelle ou est-ce que je me consacre à mes enfants ? » Il y a d’abord l’aspect biologique puis les espoirs de la famille.
Chez moi, j’avais l’impression que les corvées étaient réservées aux femmes et que la vie des hommes était plus intéressante. Si une femme s’identifie de façon positive avec son père, elle a peut-être déjà presque fait le choix de travailler plutôt que d’avoir des enfants.
Je suis l’aînée d’un frère plus jeune et pendant que ma mère et ses amies rangeaient dans la cuisine, je préférais aller rejoindre mon père qui discutait avec ses amis dans l’antre.
Ma mère est une femme brillante qui travaillait dans la présentation de mode. Elle a abandonné sa carrière pour fonder une famille. Je crois qu’elle voulait aussi que je fasse carrière car elle ne m’a jamais appris ce qu’elle savait sur le maquillage et elle s’intéressait davantage à mes résultats scolaires. Mais elle se préoccupait surtout de me voir mariée.
A travers l’histoire de ma famille, je peux voir d’où viennent certaines de ces influences. Ma grand-mère maternelle, Flora, avait trouvé comment quitter la Pologne et la Russie dès l’âge de treize ans. Elle a décidé de se rendre à Kansas City et d’y vivre avec son oncle. Elle avait entendu que ses parents allaient devoir vendre la ferme familiale pour lui constituer une dote. Elle était la plus jeune enfant et la seule fille. Elle ne voulait pas et elle a écrit à son oncle à Kansas City pour lui proposer de travailler pour lui à condition qu’il lui paye son voyage. Flora n’a jamais revu sa famille mais elle en a fondé une à elle. Elle s’est mariée cinq fois et ma mère a quatre demi-frères et sœurs plus âgés qu’elle. Dans les dernières années de sa vie, Flora a vécu avec nous pendant six mois, puis elle partait ensuite chaque année voir ses autres enfants en Californie.
Je devine pourquoi ma mère attachait tant d’importance au fait de trouver un bon mari et pourquoi elle souhaitait tant que j’en trouve un aussi, et j’ai rencontré Ned.
Mais je m’identifiais davantage à mon père et je trouvais sa vie plus passionnante. La famille de mon père était également en vue dans le milieu des affaires. Mon grand-père paternel faisait partie d’une famille de treize enfants. Il avait fondé avec ses frères une entreprise de cacao à Wilmington avant de partir s’installer à Philadelphie. Ils fabriquaient des confiseries chocolatées variées.
Mais mon grand-père est mort le jour de mes quatre ans. La bougie commémorative du jour de son décès a remplacé celle de mon anniversaire. Il avait divorcé de ma grand-mère des années plus tôt. Il passait pour le gentil et elle la méchante. En fait, aucun des conjoints de ses enfants ne lui plaisaient et elle s’était isolée. Mon père et son frère lui venaient en aide. Après sa mort, nous sommes allés ranger son logement. C’était le désordre complet. Mais il y avait des bijoux de grande valeur cachés un peu partout. Elle me les avait légués. Qui sait pourquoi ? Mais cela m’a encore renforcée dans l’idée de prendre garde à l’autosuffisance.
Tout ceci trouve sa place dans notre mariage. Ned et moi nous rions souvent à l’idée qu’il est la cigale et que je suis sa fourmi. Je veille à ce que nous puissions subsister si l’hiver est froid et lui il dit : « écoutons de la musique et dansons ».
Ma rivalité avec mon frère a joué aussi en faveur de ma réussite. Mon frère ressemblait davantage à ma mère : c’était le prince aux cheveux blonds et aux yeux bleus. Mais mes deux parents ne voyaient que par lui. J’essayais de dire que je réussissais aussi bien que Marc, ou mieux même, et je me rends compte que cet esprit de compétition est un autre facteur de ma réussite.
• AMS. Oui la position dans la fratrie est importante. Vous avez votre intelligence et vous avez aussi les conditions autour de vous qui vous sont plus ou moins favorables ou handicapantes. La position dans la fratrie de vos parents (et même celle de leurs parents) joue sur leur relation avec vous. Votre mère et votre grand-mère maternelle étaient des benjamines et vous êtes une aînée. Vous avez donc peut-être eu plus de mal à vous identifier à elles.
• DP. J’ai fait le choix d’exercer ma profession et de me suffire à moi-même et après l’école de commerce d’Harvard j’ai été engagée comme journaliste dans l’émission en direct du samedi soir sur la NBC.
• NP. Je me souviens quand l’oncle Lewis a fait cette déclaration : « le mouvement de la femme dans ce pays est un luxe de la classe supérieure ». Dans les classes inférieures, les hommes et les femmes ont à peu près les mêmes salaires et travaillent dur. Quand nous étions au Kenya, il n’était pas question que la femme travaille. Son rôle est d’avoir des enfants. Dans beaucoup de cultures, le rôle de la femme est de porter les enfants.
Dans les pays industrialisés, on a commencé à apprécier le rôle de la femme pour sa contribution intellectuelle à la connaissance. Certains disent que la principale cause d’échec économique des pays musulmans est due à leur exclusion de la femme de la vie économique.
Il y a toujours un conflit entre les femmes qui travaillent et celles qui restent à la maison. Les conservateurs d’extrême droite se fondent sur une bonne vieille morale conservatrice pour juger Hillary Clinton. C’est comme si les différences leur semblaient si grandes qu’elles représentent une menace pour le présent et l’avenir.
• DP. Ma mère voulait à tous prix que je me marie.
• NP. Le problème majeur que rencontrent les hommes, c’est leur père, et les femmes, c’est leur mère. Ils s’attendent à ce que vous suiviez leurs traces.
• DP. Si vos enfants ne suivent pas vos traces, c’est un peu comme s’ils dénigraient vos choix.
• NP. J’ai rencontré un joueur de foot dont le fils commençait à le dépasser. Il me disait que pour retrouver sa position de père il devait le passer à tabac. Dans certaines familles, les parents ont donc besoin de vous voir prospérer tandis que votre réussite peut déplaire à d’autres.
Le parent comme le conjoint peuvent dévaloriser vos projets. Les relations parent enfant se prolongent toute la vie sous des formes diverses et avec toutes sortes de gens.
• AMS. Nous sommes toujours sensibles à l’image que nous renvoient les autres et qui peut déterminer notre voie. C’est pourquoi il est si important pour nous d’avoir une sorte de boussole qui nous guide à travers la jungle de notre sensibilité.
• DP. Je continue à déjeuner une ou deux fois par an avec la femme avec qui je travaillais et qui est devenue vice présidente à NBC. Beaucoup de ces femmes brillantes qui décident d’avoir des enfants font ce choix sur le tard. Quand elles montrent des photos, je me sens mal à l’aise car je n’ai pas d’enfant. Mais je réalise aussi combien elles se sont sacrifiées pour élever ces enfants. Je me demande si la décision de travailler ou d’avoir des enfants relève d’un véritable choix personnel et si elle est inscrite en nous.
• AMS. Nous avons manifestement l’instinct de procréer mais notre cerveau est également bien conditionné pour observer le paysage changeant et s’y adapter. Il est manifeste que nous assistons actuellement à une transformation radicale de la société en comparaison avec ce que nous vivons depuis des millions d’années.
L’explosion démographique consécutive au développement de l’agriculture et de la société industrialisée nous a contraints à nous adapter à davantage de contraintes sociales. Ces transformations se produisent avant même que nous ayons le temps d’y réfléchir. Personne n’a décidé que les femmes devaient travailler ni que les familles des pays industrialisées devaient être moins nombreuses. Ce sont des tendances qui révèlent notre capacité d’adaptation aux situations changeantes.
• DP. Beaucoup de mécanismes persistent encore. Il suffit de mettre une poignée de femmes dans un groupe pour voir très vite qu’on ne se pose pas vraiment la question de savoir qui dirige. C’est pratiquement instinctif.
• NP. Mais si vous y mettez un homme énergique, tout va changer immédiatement.
Je ne sais pas très bien comment faire le lien, mais j’entendais dans un restaurant une personne se plaindre à une autre qui lui répondait qu’il suffit de réécrire son enfance pour résoudre le problème. Peut-être faudrait-il réécrire plus que son enfance. Nous sommes régis par bien d’autres facteurs d’influence.
• DP. Si vous observez des chiens, vous verrez comment le plus fort des deux ne cesse d’affermir sa position. Dans un groupe, chacun semble connaître très vite son rôle et sa position. Les hommes semblent imposer clairement leur supériorité hiérarchique qui ne se limite pas à donner des ordres et à diriger. L’autorité de la femme repose sur autre chose. J’ai eu du mal à la gérer mais j’ai eu un frère et les femmes sont plus que mystérieuses.
• NP. Il y a une dynamique différente entre les hommes.
Finalement, le leadership est une question de confiance. Le groupe doit savoir que vos objectifs sont bien clairs et vous devez établir des relations avec vos subordonnés. Ils ont besoin de connaître vos objectifs et votre méthode pour y parvenir, et ils ont besoin que vous fassiez attention à eux.
Regardez Clinton : même si les gens savaient qu’il leur cachait sa vie personnelle et que ce n’était pas bien, ils ne se sentaient pas trahis pour autant. Ils ont constaté les améliorations dans leur vie et ils ont vu qu’ils pouvaient compter sur ses promesses. C’est ainsi que Clinton a quitté ses fonctions avec une cote de 63%.
La beauté n’est pas très importante chez l’homme. Le leadership a une dimension plus intellectuelle. Je ne pense pas que ce soit vrai pour les femmes. Nous sommes encore bien conditionnés par notre héritage biologique.
Les gens qui sont appelés à diriger doivent pouvoir décrypter le code de leur groupe. La question est de savoir comment des hommes et des femmes font pour devenir des meneurs d’hommes.
Nous sommes conditionnés pour nous conformer au groupe. Il est peut-être plus difficile de se démarquer dans le cadre professionnel. Certains parviennent à se hisser et à diriger les autres car ils ont les qualités et le savoir-vivre dont le groupe a besoin.
• DP. Un leader doit pouvoir à la fois « apaiser » le groupe et se démarquer, et je me demande ce dont il a besoin pour développer son individualité. Certains apprennent à plaisanter et aiment détourner les « pics » que leur envoient les autres femmes. D’autres comme moi apprennent à poser des questions et à mieux connaître les autres. Ce sont toutes ces compétences dont le leader a besoin.
• NP. Chez les étudiants de licence, il y a deux groupes de niveau: d’abord les athlètes, et ensuite les plus brillants qui obtiennent une bourse.
Beaucoup d’athlètes arrêtent au lycée, le nombre d’intellectuels qui réussissent est plus important. Mais en troisième cycle universitaire, on est encore plus axé sur l’intelligence. Je ne sais pas très bien quelle est la tendance chez les femmes. Les meneuses suivent la voie qui les mène au mariage. Pour la majorité des femmes, l’issue est de trouver un conjoint.
• DP. Parfois on voit des femmes leaders qui ont pris le rôle des fils dans la famille. Les frères s’en sortent mal et c’est la sœur qui prend le relais.
• AMS. Je me demande si les parents ont plus ou moins directement orienté l’enfant le plus brillant à prendre la tête de sa génération. Je pense que beaucoup de facteurs entrent en jeu pour que la famille confie cette responsabilité à une femme.
• DP. C’est à moi que ma famille l’a confiée ; ma mission, c’est d’aller au travail et d’avoir des responsabilités, ce n’est pas d’élever les enfants. La situation est certainement plus délicate quand l’homme doit s’occuper des enfants pendant que la femme travaille à l’extérieur.
• AMS. Comment gérez-vous vos choix de carrière et comment s’équilibrent vos deux activités professionnelles dans votre famille ?
• NP. Nos choix impliquent toujours des conséquences. Au début, ils peuvent engendrer doutes et incertitudes. Mon frère est resté dans l’entreprise familiale tandis que j’ai poursuivi mes études en troisième cycle. Les compétences de mon frère dans l’immobilier se sont révélées très tôt, mais j’ai pris davantage de risques et maintenant nous nous félicitons mutuellement.
• DP. Je constate que nos carrières nous demandent des concessions. Si une excellente opportunité se présentait, nous décidions de déménager. Quand on a fait une bonne proposition à Ned, ma compagnie venait d’être rachetée. Quand le Président Clinton a sollicité les services de Ned, nous avons du déménager. On aurait pu déménager encore pour ma carrière mais Ned a eu l’excellente opportunité de se faire engager dans l’USO. Je peux voyager avec lui et proposer mes services à l’organisation et tout s’est donc bien arrangé pour nous deux. Nous discutons de tout cela ensemble.
• NP. Nous avons tous deux eu la chance de nous faire accompagner par deux grands conseillers exceptionnels un peu plus âgés que nous. L’un d’eux avait quitté la Pologne pour venir dans ce pays après la guerre et maintenant je veux pouvoir former à mon tour des plus jeunes. C’est aussi un aspect important du leadership. S’investir auprès de quelqu’un qui apprécie vos qualités et vous reconnaît votre leadership.
Je savais aussi que je voulais une épouse intelligente. Diane est l’une des premières femmes que je connaisse à qui je n’ai pas besoin de tout expliquer.
• DP. Le fait que je sois dans le monde des affaires a du bon et du mauvais. J’ai souvent des avis. J’ai un sens rigoureux de la justice. J’étais au service du conseil d’administration comme membre du comité d’investissement quand j’ai découvert que trois des membres du conseil avaient un conflit d’intérêt. J’ai tenu le coup pendant deux ans, puis les faits se sont dévoilés et les personnes ont démissionné. C’était une bonne formation pour rester engagée dans le groupe tout en restant attachée aux faits et à mes valeurs. Ce n’est pas évident. Une femme qui occupe un poste de direction rencontre beaucoup d’opposition, il ne faut donc pas faire d’erreur.
Les mentors
J’ai eu ensuite la chance de travailler pour Grant Tinke « l’homme qui a sauvé la NBC » quand il était président directeur général de la CEO de 1981 à 1986. Il voulait engager les gens les plus créatifs et les faire travailler indépendamment des directeurs de réseaux. Il réglait sa vie sur ses valeurs. Un jour, j’attendais mes bagages à l’aéroport quand il m’a proposé de profiter de sa voiture. Il voulait connaître mon optique sur la société. J’occupais un poste insignifiant et j’étais très surprise que mon point de vue l’intéresse.
J’ai gardé cet état d’esprit avec tous les gens que je rencontre. Nous ne savons jamais ce que notre entourage va nous apprendre, quelle que soit sa position. L’un de mes points forts, c’est de défendre jusqu’au bout les gens qui sont sous mes ordres. Le point négatif, c’est que je ne sais pas bien me vendre auprès des grands directeurs.
• NP. Il est important aussi pour un leader qu’il connaisse bien ses points forts et ses points faibles. Quand les gens me posent une question, ils disent que mes réponses leur apprennent beaucoup. J’ai compris que j’étais capable de former les gens.
Ce qui est amusant dans notre couple, c’est la simultanéité avec laquelle nous analysons les choses et voulons partager ce que nous avons vécu.
Les défis pour la femme.
• DP. Je continue à penser aux problèmes des femmes. Je crois que l’un des principaux défis dans le monde des affaires est le besoin d’approbation sociale de la femme. Une femme peut être le pire ennemi d’une autre femme. Elle cherche souvent davantage à se faire admirer pour son apparence extérieure que pour la qualité de son travail. Et puis j’ai souvent constaté qu’il est presque plus naturel pour une femme d’aider un homme que d’aider une autre femme.
• AMS. Je me dis que si la vocation de la femme est de trouver un mari et d’élever ses enfants il y a donc peu de compétition entre les femmes du voisinage. Les femmes coopèrent facilement pour élever les enfants. Mais cette collaboration est faussée si vous réunissez des femmes qui ne sont pas mariées et qui n’ont pas d’enfants. Dès qu’un homme se présente, c’est la rivalité. Ensuite tout dépend si la femme est capable d’en prendre conscience.
Je dirais qu’on peut apprendre beaucoup pour améliorer le travail entre hommes et femmes. Je constate qu’actuellement les femmes sont plus nombreuses que les hommes à fréquenter les universités. Cela entraînera inévitablement des changements. On se demande comment on va pouvoir gérer les tendances de la société actuelle mais beaucoup de questions de ce type restent aujourd’hui sans réponse. Je veux vous remercier tous les deux pour votre temps, vos points de vue et vos expériences si précieuses.

Les points de la boussole de Ned Powell.
1. La faculté de définir sa vision. Ned était conscient de l’importance des valeurs de sa famille dans sa vie. C’est sur elles qu’il a fondé sa décision de rendre à la société ce qu’elle lui avait donné. On pourrait dire en fait que son sens de l’investissement a représenté un facteur décisif de succès dans son travail.
Les différents emplois qu’il a occupés lui ont fait prendre conscience de l’importance de fonder ses décisions sur ses valeurs profondes. Il a découvert également combien il est important pour concrétiser sa vision d’analyser un grand nombre de critères avant de prendre ses décisions.
Le troisième point, qui a été mis en évidence par sa femme, serait son grand sens relationnel. C’était pour lui un plus quand il s’est engagé dans les forces armées. Il a pu tester ses compétences et connaître une population plus large. Il est primordial pour un leader d’être attentif aux gens et de bien les comprendre.
Les leaders précisent souvent qu’ils prennent en compte beaucoup d’informations et qu’ils essaient d’utiliser leur temps aussi efficacement que possible. Ils sont presque tous d’accord pour souligner l’importance de la diversité de points de vue pour prendre de bonnes décisions. Mais il faut des compétences toutes particulières pour sécuriser et valoriser les gens et leur permettre d’exprimer leurs idées.
Le quatrième point pour qu’une vision devienne réalité consistait à filtrer les idées et à développer un projet ou une solution détaillée.
Ned exerce depuis des années dans différents domaines où il est amené à prendre des décisions difficiles et à s’y tenir malgré l’opposition de son entourage. Il a toujours fait preuve de beaucoup de talent pour entretenir de bonnes relations avec son entourage et transmettre sa vision afin qu’elle devienne réalité.
Sa sérénité et ses convictions transparaissent dans les occasions informelles et plus professionnelles. Quel que soit le sujet que vous abordiez avec lui, il semble avoir déjà pris en considération bien des points de vue différents. Cette faculté lève souvent les incertitudes dans un groupe et permet d’aller de l’avant.
Sachant discerner les dynamiques de groupe et établir des relations avec chacun, Ned Powell peut avancer sans crainte. Ces compétences, il les a acquises très jeune en observant comment les membres de sa famille communiquaient entre eux.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres. Je trouve édifiante et sympathique l’histoire que nous raconte Ned sur l’influence subtile de son oncle pour renforcer les règles générationnelles. Il ne nous dit pas comment il a géré la pression mais tout laisse à penser que ce n’était pas évident.
C’est un point tellement important pour un dirigeant de pouvoir résister à la pression subtile qui l’incite à abandonner un peu de son soi. Comment gérer ses réactions émotionnelles quand on vous pousse à céder aux autres?
Un leader peut aussi bien subir l’influence excessive de sa famille ou d’un groupe social. S’il réagit mal, tout peut se détériorer. Ned Powell a su garder son sens de l’humour face à son oncle. Nous voyons combien il peut rester fidèle à son optique malgré l’opposition.
3. La faculté d’entrer en relation : Ned est issu d’une famille de trois enfants. Il a découvert en observant ses sœurs que les femmes ont souvent plus de mal à préserver leurs choix professionnels. Les exigences familiales s’opposent souvent à celles du travail. Il en était conscient et il a voulu favoriser la réussite des femmes dans son entreprise en identifiant simplement à quoi elles étaient confrontées. Il est capable de laisser les gens observer les faits, faire leur propre bilan et prendre leurs décisions.
S’étant engagé au service du pays quand il était jeune, il a eu ainsi l’occasion de développer de bonnes relations avec toutes sortes de gens. Il a développé le goût du contact individuel quand il était jeune. Il a su grâce à ses relations familiales avoir de bons échanges avec son entourage et cultiver de bonnes relations professionnelles.
Ned Powell mentionne aussi que le sport lui a appris le travail en équipe. C’est un lieu d’expérimentation pour le travail en équipe et le leadership. Ce savoir faire se révèle maintenant dans son engouement pour le golf. C’est un sport qui lui permet de découvrir les gens dans un esprit de compétition. Aujourd’hui il y aura un gagnant et un perdant mais ce n’est pas immuable. C’est une notion qu’il faut garder à l’esprit dans le domaine des affaires. Le golf est un sport qui encourage à ne pas prendre parti et à observer ce qui se passe. Le golf est aussi un jeu à risques où les aptitudes physiques du joueur comptent autant que ses valeurs et son savoir faire relationnel.
En résumé on peut se former au leadership de bien des manières mais le jeu et la réflexion sont deux domaines importants dans la vie de tous les jours.
4. La faculté d’être soi-même dans les relations : dans ces interviews de courte durée, il n’est pas toujours possible d’avoir une histoire qui illustre chacun des points sur la boussole. Mais faire des choix qui s’opposent au noyau familial peut nous obliger à nous démarquer. C’est bon pour vous.
Les doubles carrières et le mariage.
Pour qu’un leader cultive de bonnes relations avec son entourage, il faut qu’il prenne conscience de ses différences par rapport à ses proches sans en faire ombrage. Rester soi-même permet de découvrir ses valeurs profondes et de les appliquer à sa vie sans affecter les autres. C’est essentiel à la bonne santé du mariage. Les Powell respectent mutuellement leurs compétences et leurs différences.
Les points de la boussole de Diane Powell
1. La faculté de définir une vision : Diane a évoqué son besoin précoce de se faire confiance tout en restant fidèle à ses valeurs profondes. Les attentes de sa famille concordaient avec ses compétences et ses désirs de réussite. Le milieu intellectuel et encourageant dans lequel elle avait grandi avait développé son goût pour les études et sa réussite dans le milieu académique. Cette grande femme au franc parler de l’Amérique des entreprises a su s’appuyer sur ses expériences pour affronter les défis dans une optique plus large. Sa préoccupation en tant que femme a toujours été d’aider les autres femmes à réussir. Elle pensait que la femme devait pouvoir évaluer concrètement les conséquences négatives de sa réussite professionnelle sur sa vie personnelle et familiale. Les aspects positifs étaient plus évidents. Certaines femmes identifieront plus spontanément les dynamiques de groupe tandis que d’autres auront besoin d’un soutien. Elle se disait que si les conseils d’administration comptaient plus de femmes avec une bonne conscience relationnelle, elles seraient peut-être davantage à la hauteur de leurs capacités.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres : Quand Diane était membre du conseil d’administration, l’histoire de sa découverte du conflit d’intérêt entre plusieurs directeurs illustre bien comment un leader peut avoir conscience d’un problème et accepter que les changements prennent du temps. Le leader doit souvent supporter l’opposition et la tension dans le groupe sans que rien ne semble évoluer. Il peut être tentant et même plus facile d’abandonner son poste au lieu de tenir bon et de laisser le lent processus de changement interpersonnel s’opérer dans un groupe. Si un seul individu change à la fois et que c’est un changement qu’il ressent au plus profond de son être, on comprend pourquoi il faut du temps avant de voir les changements s’opérer dans un système intriqué. Une vision globale de la situation et de la patience, tels sont les deux facteurs décisifs de succès des leaders pour qui l’opposition n’est pas un problème.
3. La faculté d’entrer en relation : un leader doit savoir s’entourer de gens qui le soutiennent. Ils n’ont pas nécessairement de lien direct avec son métier ou sa carrière actuelle. Les gens ont besoin d’équilibre dans leurs systèmes relationnels et si l’un devient tendu ils peuvent se réfugier auprès des autres.
L’histoire de ce groupe de femmes vice-présidentes à NBC dont nous parle Diane en est une illustration. En gardant le contact entre elles, elles gardent le fil de leur propre histoire. Les gens aiment connaître l’histoire de leur famille et quand ils restent en contact avec leurs collègues, ils cultivent des liens profonds et authentiques. Elle a défini les liens entre sa propre croissance et les cheminements des autres. Il est toujours bon de savoir remettre en cause ses décisions et de se demander ce qui se serait passé si on avait pris le même chemin qu’Alice et qu’on se soit satisfait de ce choix. On dit souvent : « Je ne veux pas aller à telle réunion car ce serait trop pénible de voir Monsieur ou Madame Untel. » Beaucoup manquent l’occasion d’exercer leurs émotions et d’effectuer un bon exercice d’entraînement.
Les gens qui nous connaissent depuis longtemps nous surestiment souvent. Il y a peut-être un lien entre les relations familiales qui durent et les amitiés de longue date avec les collègues de travail.
4. La faculté d’être soi-même : Diane est l’une des nombreuses femmes leaders à avoir parlé du développement de son individualité dans son entourage. Elle faisait remarquer que sa mère ne l’encourageait pas à se maquiller et qu’elle avait du mal à se sentir à l’aise avec les filles de son âge. Quand on ne cadre pas avec son groupe social, on a tendance à se raccrocher à ses compétences qui sont souvent plus intellectuelles que sportives. Elles sont moins assujetties à la pression du groupe. Mais comme Diane dit aussi : « Il faut cultiver de bonnes relations avec les gens si on veut pouvoir les encadrer. » Sa capacité à poser les bonnes questions et à écouter les autres est fondée sur le degré de séparation de son identité et sur son respect de l’individualité des autres. Elle remarquait en prime que sa faculté de comprendre son mari faisait partie intégrante de sa capacité d’écoute et de sa franchise spontanée avec tous ceux qui la côtoient.

Geraldine MacDonald

Geraldine MacDonald est l’ancienne vice présidente retraitée de la société Global Access Networks à America Online. Pendant 25 ans, elle a été responsable de l’informatique et de la gestion de réseau à l’Université Binghamton.
Dans son livre Serious Play, Michael Schrage définit une caractéristique du leadership qu’il appelle « la logique rétrospective ». Elle permet au dirigeant de relier le passé, le présent et le futur. Ceux qui ont cette compétence bâtissent leur succès sur leur sens relationnel. Ils peuvent vous dire comment ils sont allés du point A au point D et comment aller au point E en passant par X, Y ou Z.
La plupart des gens ne voient pas facilement que les évènements de leurs jeunes années jouent sur la manière dont ils aiment travailler en tant que responsables ou membres d’équipe. Quand vous examinez votre vécu, ce qui s’est passé et pourquoi, ces informations semblent liées à vos modes de fonctionnement actuels. Vous aurez probablement besoin de beaucoup de réflexion pour discerner comment ces schémas prennent forme, mais ça en vaut la peine.

MacDonald exerce des fonctions de responsabilité dans le domaine de la technologie. Elle est capable de réfléchir aux relations de ses jeunes années et aux évènements qui l’ont marquée. Il y a des expériences qui peuvent parfois appuyer les qualités requises dans divers domaines.

Le leadership en technologie requiert une modification de son mode de travail ou de production. Le marché des boisons gazeuses n’aura pas la même durée de vie que celui des téléphones mobiles par exemple.

MacDonald est l’aînée d’un frère et d’une sœur. Elle raconte ce qu’elle a vécu avec son père et l’histoire de leur fuite d’Europe de l’Est à la fin des années 1930. Sa position dans sa fratrie lui valait tout le profil d’un leader né, si toutefois le leadership correspondait aux attentes de la famille pour les femmes.

Les leaders perçoivent souvent de petits changements et voient comment ces derniers peuvent orienter l’avenir. Tant que le groupe n’en a pas conscience, le leader doit pouvoir se démarquer et attendre. MacDonald explique comment les familles et les conseillers peuvent aider les jeunes adultes à identifier la direction que prend le groupe tout en exprimant clairement une autre démarche. Elle voit aussi dans ses expériences passées le besoin de formation au leadership dans les écoles et les entreprises.

J’ai eu deux entretiens avec MacDonald. J’étais seule pour le premier, mais ma collègue de longue date, Kathy Wiseman, m’a rejointe pour le second. Elle s’est occupée avec moi de l’association sans but lucratif des « leaders pour demain ». Elle est consultante en organisation depuis des années et elle travaille essentiellement avec les entreprises familiales. Elle a exercé la fonction de présidente à l’Institut de recherche « Family Firm Institute Research and Education Foundation ». Elle est aussi la fondatrice et présidente de Working Systems, une société de conseil basée à Washington, et elle a créé une société de production radio et vidéo qui publie des histoires vécues sur les lieux de travail américains.

MacDonald a pu mettre à profit ses connaissances en maths et sciences en s’impliquant à un haut niveau dans les changements technologiques du vingtième siècle. C’est extraordinaire quand on sait les nombreux obstacles dans le domaine scientifique auxquels se heurtaient les femmes dans les années 1970. La société voudrait maintenant encourager les femmes dans ces domaines. Je crois que nous avons des choses à apprendre en écoutant son histoire.

• GM. Mon père disait : « L’important, c’est que tu travailles les maths et les sciences.» Il était issu d’une famille juive de huit ou neuf enfants et faisait partie des plus jeunes. Beaucoup n’ont pas survécu à la deuxième guerre mondiale. Il était assez clairvoyant sur les changements qui s’opéraient dans la société pour fuir l’Europe de l’Est avant le début de la persécution des Juifs.

Le père de MacDonald a su que la situation de Europe de l’Est se détériorait quand les Juifs ont été obligés de rendre compte de leurs déplacements quotidiens. Quand il a vu apparaître toutes les restrictions, il a fait le nécessaire pour quitter le pays. Il avait un peu moins de problèmes que les autres pour quitter l’Europe de l’Est pour la France, mais c’était quand même extrêmement difficile. Les difficultés financières liées à la perte de son travail n’étaient rien comparativement aux risques qu’il courait s’il restait sous le régime d’Hitler.

Les membres de la famille de la mère de MacDonald ne réagissaient pas tous de la même manière aux changements sociaux. Sa mère était issue d’une famille de trois filles. Elle avait une sœur aînée et une plus jeune. Cela ne lui posait pas de problèmes de rester avec ses parents malgré les menaces qui pesaient autour d’elle. Sa sœur aînée avait vingt ans à l’époque et avait obtenu un visa pour les Etats-Unis. La plus jeune a fait partie d’une opération de sauvetage des enfants et ados Juifs de moins de 15 ans qu’on a pu arracher au régime nazi. Cette opération est à l’origine d’un documentaire vidéo qui relate cette histoire.

• GM. Quand j’ai demandé à ma mère pourquoi elle ne s’était pas sauvée, elle m’a expliqué que ses parents et elle n’imaginaient pas que leurs voisins et amis puissent les trahir.

La petite sœur était résolue à libérer ses parents et sa sœur. (On avait dit à ces enfants qu’ils devaient sauver leurs familles.) Elle a élaboré un plan de sauvetage pour le reste de sa famille. Elle s’est installée devant la porte de quelqu’un susceptible de l’aider et elle l’a supplié tous les jours jusqu’à ce qu’il finisse par accepter. On aurait pu lui reprocher son insistance mais c’est ce qui lui a permis de sauver sa famille.

• AMS. On a beaucoup de mal à changer d’état d’esprit et à refuser de croire qu’on vit en sécurité dans un monde sans danger. Et il faut du courage pour abandonner son confort. Mais pour examiner les divers modèles mentaux du monde il faut abandonner son ancienne optique. Et je pense que les descendants de ceux qui ont compris dans les années 1930 que le monde ne serait plus jamais comme avant ont hérité de leur faculté de discernement.
• GM. Je ne sais pas très bien comment tout cela m’a influencée, mais j’ai l’âme d’une aînée et j’ai l’habitude de prendre des risques et d’aller de l’avant.
• AMS. L’insécurité et l’agitation mondiale peuvent déstabiliser le fonctionnement d’une famille, c’est clair. Mais si son système relationnel intègre une vision rationnelle du monde extérieur, elle peut discerner les changements qui s’opèrent dans la société et ce qu’il y a lieu de faire. Votre famille illustre combien on remporte des victoires si on anticipe l’avenir.

Je pense que les gens fonctionnent mieux s’ils sont issus d’un système relationnel familial calme et efficace. C’est beaucoup plus salutaire que d’envisager le passé et l’avenir avec crainte. Je ne suis pas en train de dire qu’ils ne connaissent pas la crainte. Mais ils peuvent s’en débarrasser et ne pas en faire des cauchemars.

Comment les relations familiales affectent les relations professionnelles

• GM. Les enfants apprennent très tôt à faire la différence entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Ils ne cessent de dépasser ces limites quand ils grandissent. Celui qui a un peu d’imagination saura dépasser les limites sans que les parents, ou plus tard le patron, aient à prendre des mesures trop sévères.
• AMS. J’apprécie particulièrement l’histoire de la jeunesse de Jane Goodall. Jane avait disparu depuis plusieurs heures. Inconsciente de la panique qu’elle occasionnait, elle regardait tranquillement les poules qui étaient en train de pondre des œufs. Quand sa mère l’a trouvée, elle ne l’a pas punie. Elle a compris que sa fille était une scientifique en herbe et une observatrice dans l’âme. Elle avait juste dépassé un peu les limites sans provoquer la colère de ses parents.
• GM. Dans les meilleures situations, les enfants prennent des risques et les parents forment une sorte d’équipe de direction. Je vois beaucoup de similitudes entre ces « règles » familiales informelles et la gestion des entreprises. Je vous donne quelques exemples :
• Le feedback : Les familles et les entreprises qui fonctionnent bien réagissent immédiatement quand un individu dépasse les limites. Elles encouragent et récompensent également le travail bien fait. Dans la famille, l’enfant reçoit un pourboire s’il fait du bon travail et il perd de l’argent ou des avantages s’il est irrespectueux ou s’il enfreint les règles. Dans les entreprises, les réactions sont beaucoup plus complexes puisqu’elles englobent les commentaires des clients.
• Les attentes : Les parents et les patrons peuvent imposer des exigences totalement irréalistes, ce qui engendre des problèmes dans l’Amérique des entreprises comme dans les familles. Il vaut bien mieux donner aux nouvelles recrues une opportunité de prouver leurs compétences au lieu d’espérer ou de décider qu’ils deviendront le prochain leader.
• Les suppositions : Les besoins de l’entreprise et ceux de la famille peuvent être si grands qu’il est difficile d’évaluer avec précision les compétences d’un individu. Les employés comme les enfants peuvent essayer de devenir quelque chose pour « l’autre ». Quand on veut se construire un personnage, tout le monde finit par être déçu et contrarié.
• AMS. On suppose aussi que les enfants avant l’âge de cinq ans sont principalement influencés par leur relation avec leurs parents. Ils deviennent ensuite de plus en plus sensibles au regard de leurs pairs. Ils calquent souvent leurs valeurs sur celles de leurs pairs et c’est une source de conflits entre parents et lycéens. Puis chacun développe et s’approprie les valeurs qui lui correspondent le mieux. Certains jeunes adultes se conformeront aux valeurs de leurs pairs tandis que d’autres s’appuieront sur des valeurs bien intégrées qui se manifesteront automatiquement dans leur comportement.

Ces individus qui sont capables d’examiner les valeurs de leur famille peuvent ainsi se positionner et trouvent plus facilement leur équilibre pendant leur adolescence.

Ils ont intégré des valeurs profondes qui favorisent leur individualité, leur imagination et une certaine souplesse d’esprit. Mais ils doivent pour cela subir la pression de leurs pairs.
• GM. L’approbation des autres est souvent plus importante pour les filles que pour les garçons. Ces derniers risquent de mettre plus de temps à découvrir les valeurs du groupe. Les filles cherchent souvent à plaire et à se conformer au groupe. Un garçon sportif ou intelligent n’aura pas de mal à se faire accepter. Par contre les messages et les encouragements des parents influent souvent beaucoup. Les familles et les entreprises se rejoignent sur ce point. Les entreprises qui savent donner un juste retour à l’individu appuient et soutiennent ses réalisations individuelles et stimulent la productivité des individus au sein du système.

Au fur et à mesure qu’on gravit les échelons de l’entreprise, on doit faire face à de plus grandes responsabilités et les statuts sont plus sévères. Le directeur général a des objectifs à long terme de la plus haute importance tandis que ceux du débutant sont moins ambitieux. Les dirigeants se préoccupent du long terme tandis que le personnel débutant doit par exemple trouver le bon outil pour faire son travail. On évalue les résultats différemment selon les niveaux.

L’apprentissage et le mentoring

• GM. Autrefois, les entreprises se servaient davantage de leurs modèles relationnels pour enseigner. Il était courant à l’époque d’embaucher un employé et de le former. Aujourd’hui, les entreprises recherchent des employés « qualifiés » qui arrivent avec les bons outils et qui savent ce qu’il faut faire. Pas besoin de formation. Il en a été tout autrement pendant des milliers d’années. Dans l’agriculture, on faisait le même travail génération après génération. Le besoin de spécialisation était moins fréquent.
• AMS. Est-ce à dire que le patron ou l’équipe de direction ont moins d’influence sur l’employé puisque le dévouement à l’entreprise semble être en régression. Il est vrai que l’entreprise investit de moins en moins dans son personnel.
• GM. Cela dépend des entreprises. On pourrait comparer le rôle du parent d’un ado à celui d’un directeur général à la recherche d’un remplaçant. Il faut quelqu’un pour prendre la relève. Il ne va pas garder définitivement son poste et il doit donc préparer sa succession.
• AMS. Réfléchissons au rôle de l’école dans la transition entre la famille et le travail. Si les familles ne remplissent pas leur rôle, l’école aura beaucoup plus de mal. La famille peut attendre de l’école qu’elle la remplace. C’est ensuite l’entreprise qui deviendra le substitut de la famille. Beaucoup d’organisations religieuses et de conseil ont proposé de renouveler son regard sur les valeurs et l’individu. C’est utile si cela incite les gens à réfléchir aux conséquences à long terme de la manière dont ils se comportent les uns envers les autres. Mais s’ils ignorent leurs proches et s’isolent davantage, c’est un cycle de restriction incessante qui engendre une plus grande réactivité dans les relations. L’essentiel est que chaque tranche de la société s’intéresse aux relations. Les organismes peuvent instaurer des lois sur le harcèlement, la discrimination et autre, mais ils passent à côté du véritable problème. On arrivera probablement avec le temps à une identification progressive de l’essence des relations et de leur impact sur le monde des affaires.
Une autre question : s’achemine t-on vers des relations de collaboration dans le milieu professionnel ?
• GM. Depuis la seconde guerre mondiale, la main d’œuvre féminine s’est considérablement développée. Les femmes se fient certainement assez bien à leur instinct. Les hommes privilégient le travail en équipe. On y apprend ce qui n’est pas enseigné à l’école. Les hommes y apprennent à travailler ensemble. C’est plus difficile pour les femmes, surtout si elles n’ont pas fait de sport collectif. Chaque entreprise a des équipes qui sont formées pour résoudre les problèmes intellectuels. On encourage maintenant les étudiants à trouver des solutions aux problèmes. Il existe par exemple un programme (l’odyssée de l’esprit) qui accorde une année à l’étudiant pour résoudre un problème particulier. Les étudiants apprennent ainsi à travailler en équipes et à exploiter les compétences de leurs coéquipiers.
• AMS. Je me suis demandée si les familles cherchent à préparer leurs enfants au travail en équipe. Leur confient-elles des tâches qu’ils accompliront avec succès ? Si les gens négligent l’esprit d’équipe et la responsabilité individuelle, ils auront tendance à suivre le leader. C’est l’instinct grégaire.
Certains diront qu’il est inutile d’apprendre à travailler en équipe et à diriger, sachant que les chefs d’entreprises sont « manifestement » nés au bon moment et même au bon endroit. Mais je vois un grand besoin dans les écoles de définir les compétences nécessaires pour diriger. Après tout, il n’y a pas beaucoup de jeunes qui peuvent être quarts arrières dans une équipe de football américain.
• KW. Quelles qualités voyez-vous chez un leader ?
• GM. Il doit d’abord être intelligent. J’ai beaucoup apprécié l’émission de télé réalité où on voit les gens se creuser la cervelle dans tous les sens pour réussir. Au début, les femmes allaient trop loin et vendaient un baiser pour une limonade. Puis les producteurs ont mélangé les hommes et les femmes et cette méthode a disparu. Une femme a endossé la responsabilité mais Donald Trump, une célébrité du monde des affaires, lui a proposé de s’associer pour se battre par rapport à ce qui s’était passé. Les gens comprennent souvent mal leur chef et refusent de traiter directement avec lui. Quelles compétences faut-il enseigner ? La pleine conscience relationnelle est peut-être un savoir faire plus facile à acquérir quand on est jeune.
• AMS. Peut-on apprendre à un introverti à devenir un leader extraverti ?
• GM. Il est peut-être plus facile d’être un employé, mais si vous voulez diriger, vous devez être prêt à prendre des risques et à vivre les succès et les échecs. Je résumerais en quatre points : bien connaître ses capacités, avoir le sens des relations (savoir par exemple à qui faire confiance), savoir quand prendre des risques et avoir confiance en ses instincts et en ce qui semble juste.
• KW. Pouvez-vous citer un exemple en rapport avec un risque que vous avez pris ?
• GM. J’avais 19 ans et demi en 1968 lorsque j’ai obtenu mon diplôme universitaire et j’ai pris le risque de travailler dans l’informatique. J’aurais pu choisir un métier plus tranquille pour une femme, l’enseignement par exemple. Un autre tournant intéressant dans mon parcours a été mon entretien à AOL. J’enseignais et construisais des systèmes technologiques depuis 25 ans quand un ami m’a parlé d’une proposition d’embauche chez AOL. C’était en 1995. AOL était alors le troisième serveur de données en ligne. Mais j’y ai vu un potentiel. J’ai compris qu’il serait insensé de passer à côté, même si je prenais un gros risque. Et j’ai bien fait. Six mois plus tard, AOL révolutionnait Internet. Nous avons totalement transformé l’activité et je suis ravie d’avoir pris la bonne décision.
• KW. Vous arrive t-il de devoir vous définir face à votre équipe et de vous faire rejeter ?
• GM. Oui, quand j’étais supérieur hiérarchique à AOL, cela m’arrivait tous les jours. Et je devais dire aussi à mon chef : « Vous ne me payez pas pour que je dise oui à tout. Sinon, vous n’auriez pas besoin de moi. »
Si vous avez acquis un savoir faire, il est plus facile de prendre des décisions risquées. C’est tout différent des décisions relatives à la date de son mariage par exemple. Dans les affaires, on a un système de mesures et de contrôle mutuel pour évaluer ses décisions. J’aime faire le parallèle avec le football américain. Le quart- arrière mène le jeu, mais ce sont les performances de l’équipe qu’on évalue. De même, les dirigeants de sociétés fixent les objectifs, mais chaque service doit vérifier qu’il est d’accord et qu’il a les bons instruments pour évaluer les résultats.
• AMS. Pensez-vous que vos discussions ouvertes avec votre père vous ont aidé dans les affaires ?
• GM. Oui, c’est bien de pouvoir parler à ses parents, mais il est important aussi qu’ils vous assurent un environnement stable. Mes parents étaient prêts à me faire confiance sur le choix de mes décisions. On a besoin de quelqu’un qui nous fasse confiance et qui ne nous remette pas sans cesse en question. Les parents doivent décider de croire que leurs enfants font les bons choix et qu’ils pourront en assumer les conséquences. Les parents trop critiques empêchent leurs enfants de grandir par leurs expériences. Ils prennent trop de place et étouffent le point de vue de l’enfant. Les parents et les enfants devraient avoir le même droit à la parole.
• KW. Diriez-vous que les leaders cherchent le moyen de développer et d’encourager la maturité dans l’entreprise ?
• GM. C’est ce qu’on fait quand on observe les gens qui travaillent en équipes. On voit ceux qui s’impliquent et on les encourage en disant : « Vous avez fait du bon travail, voulez-vous maintenant vous lancer dans ce projet ? » On les aide à réussir en leur disant ce qu’on a pensé de leur travail et en leur confiant davantage de responsabilités. Bien sûr, on apprend aussi à partir de ses erreurs.
Une société qui veut faire lever des leaders de ses équipes doit chercher à les identifier et à savoir comment ils fonctionnent dans le groupe. Si vous demandez à des cadres moyens d’identifier les leaders potentiels, ils risquent d’indiquer leurs meilleurs amis. Il vous faut donc mettre en place des groupes de travail pour voir qui y participera. Il appartient aux aînés de chercher des leaders potentiels et de voir comment les accompagner. Ca dépend aussi des entreprises. En période de faible croissance, certaines forment des leaders parmi leur personnel. Mais ils peuvent venir de l’extérieur si deux sociétés fusionnent. Dans ce cas, il faudra veiller à intégrer les deux cultures.
Les jeunes adultes ont besoin d’opportunités pour faire quelque chose de différent. Les écoles et les familles devraient prendre davantage en compte les capacités de chacun. Les écoles devraient faire un effort pour être plus diversifiées.

Après le travail d’équipe et le leadership, MacDonald a examiné la capacité à identifier les tendances et l’influence de la famille.

• AMS. Vous avez vu la passion de votre père pour mettre les choses en pièces.
• GM. Quand j’étais à l’université, mon père adorait les ventes aux enchères. Il y avait une pendule dont il voulait une pièce, mais pour cela il devait acheter toute une boîte de ces pendules. Il y en avait peut-être cinquante. Il les a dispersées dans toute la maison et on avait droit la nuit à un véritable concert. Je n’oublierai jamais cette histoire.
• AMS. Pensez-vous avoir appris à prévoir l’avenir au contact de votre père ?
• GM. Je ne suis pas sûre qu’il y ait un lien direct. Ce ne sont pas toujours les leaders qui discernent les tendances. Ils essaient de s’extraire un peu, ce sont plus des penseurs que des réalisateurs. Mais mon père et ses pendules m’ont aidé à mieux comprendre comment les choses fonctionnent et cela m’a permis de franchir certains obstacles techniques. Je pense que dans le domaine de la technologie c’est un véritable problème d’être une femme. Beaucoup d’hommes n’écouteront pas ce que vous dîtes parce que vous êtes une femme. Si vous leur demandez ce qu’ils diraient si c’était leur fille, ils ouvriront peut-être les yeux. Dans certaines structures de l’Amérique des entreprises, on redoute les affrontements. Les femmes sont davantage dans les émotions. Donald Trump a bien souligné cette différence. Mais l’Amérique des entreprises n’en est pas encore là. Je pense qu’on finira par accepter que les convictions s’expriment différemment étant donné qu’il y a de plus en plus de femmes sur le marché du travail.
Quand vous êtes une femme qui réussit vous estimez mériter une certaine reconnaissance. Mais je pense que si vous montez dans la hiérarchie d’une entreprise, ne craignez pas qu’on vous accrédite. Mais si vous appuyez les propos des autres, on vous écoutera tout à coup. Et vous pourrez faire réaliser le travail.
Il faut savoir aussi que votre poste est convoité et qu’on fera tout pour vous détrôner. C’est comme ça dans les entreprises. Il est important d’aider les gens à savoir à qui faire confiance. Vous devez demander aux gens avec qui vous travaillez ce qu’ils pensent de votre travail. Ce n’est pas la critique personnelle qui est dangereuse, mais les messages négatifs qui circulent.
• AMS. Pensez-vous qu’on gère plus facilement la critique au travail quand on vient d’une famille plus ouverte ?
• GM. Je pense qu’en général la famille passe avant tout et qu’elle ne subit pas le préjudice politique de l’Amérique des entreprises. Nos adolescents sont peut-être plus en contact avec ce qui se passe. Il y a des clans dans l’Amérique des entreprises, comme dans les établissements d’enseignement supérieur.
• AMS. Y a-t-il des compétences que vous souhaiteriez acquérir pour votre leadership?
• GM. Je cherche à faire connaître mes idées. Quand je veux défendre un projet, je prends le temps de discuter de mes recherches et de mes réflexions avec chacun individuellement. Je crois que c’est quelque chose que j’avais à apprendre: comment inciter vos collègues de travail à s’impliquer dans un projet. Si vous y parvenez, vous aurez de meilleurs résultats. Le rôle du dirigeant est aussi de faire faire du bon travail à son équipe.
• AMS. Si je comprends bien, vous dîtes que vous devez développer certaines compétences acquises dans la famille quand vous entrez dans un travail. Il y a des choses qu’on ne peut pas apprendre dans les livres. Elles relèvent de votre faculté d’observation des relations et de votre discernement de ce qui marche dans la situation présente. Encore merci pour le temps que vous m’avez consacré et je vais continuer à y réfléchir. C’était un plaisir.

Les points de boussole de Géraldine MacDonald

1. La capacité à définir une vision : MacDonald souligne l’influence précoce de son père sur son choix de carrière. Celui-ci s’intéressait et aimait beaucoup la technologie. Elle a bâti sur son encouragement et embrassé son rêve personnel. Quand on construit sur les ressources intellectuelles de sa famille, on prend un risque calculé en accord avec sa vision personnelle. MacDonald a vu chez AOL cette opportunité qui calquait avec sa vision de connecter les gens par Internet et elle a pris le risque. Cette décision a eu un impact important en ouvrant un nouveau marché et en changeant le business dans le monde.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres : MacDonald nous a parlé aussi du conseil de son père quand elle était tiraillée entre son besoin de se conformer au groupe et son désir de poursuivre ses rêves. (« L’important, c’est que tu travailles les maths et les sciences»). C’est un conseil qui a fait ses preuves pour MacDonald et qu’elle a repris quand sa mère n’arrivait pas à comprendre son choix de carrière. Plus tard, MacDonald a pu aussi prendre du recul et laisser sa fille faire son choix de carrière. Comme la plupart d’entre nous, MacDonald a connu ces sentiments d’ « exception » qu’on éprouve quand on est une femme d’affaires ou qu’on est incompris par nos proches. La qualité essentielle pour le travail en équipe, c’est de savoir rester sur ses positions sans réagir ni adopter une attitude passive ou vindicative quand notre entourage essaie de s’emparer de notre point de vue ou de le rejeter.
3. La capacité à entrer en relation : MacDonald a pleinement conscience des personnes courageuses qui ont marqué son histoire multi générationnelle et elle leur en est très reconnaissante. Elle connaît bien les conséquences qu’il y a quand on prend soin des membres de sa famille. Mais elle n’a pas clairement abordé dans quelle mesure son implication au sein de son réseau familial l’a aidée à bâtir son réseau professionnel. En général, il est naturel pour les gens qui entretiennent de bonnes relations avec leur famille d’établir un bon réseau de relations amicales et professionnelles.

MacDonald a vu l’intérêt que son père manifestait pour la réussite et elle en a hérité. Il avait sa propre affaire et a pu constater le caractère éphémère des tendances. Il a donc anticipé l’avenir de la technologie et insisté auprès de sa fille sur l’importance des maths et des sciences pour qu’elle fasse carrière dans ce domaine. En observateur accompli des pressions sociales il avait mis sa fille en garde contre l’idée reçue de rejeter les maths et les sciences, les soi-disant matières pour les garçons, si on voulait se calquer sur les filles de son âge.
Il suivait lui-même la voie de la technologie. Son intérêt pour la mécanique l’incitait certainement à affirmer l’importance des maths et des sciences. Nous avons une excellente illustration d’une relation père/fille solide et authentique, d’une cohérence entre les paroles et les actes, et tout cela a permis à MacDonald de prendre la voie la moins prisée et la plus difficile.
Si son père était manifestement très conscient des changements qui s’opéraient dans la société, on présume que sa mère soutenait la position de son mari et qu’elle encourageait sa fille à étudier les maths et les sciences.
En somme, sachant le lien fréquent entre nos relations avec notre première figure d’autorité et celles qu’on entretient avec un chef, la relation père/enfant peut influencer notre sens relationnel.
4. La faculté d’être soi-même : MacDonald avait vu dans son enfance son père démonter les moteurs et elle savait donc comment ils étaient faits. Elle l’a vu plus tard assembler une boîte de pendules. Il aimait faire marcher les choses pour en tirer ensuite un bon prix. Ses souvenirs de jeunesse gravitent autour d’une entreprise familiale et d’un lieu où il fait bon vivre.
Son père était convaincu de l’avenir de la technologie. Avec l’arrivée de la télévision dans les foyers américains, il savait que les Etats-Unis étaient à l’aube d’une révolution technologique.
Les parents qui ont un bon dialogue avec leurs enfants ne leur imposent pas leurs idées mais s’intéressent vraiment à ce qu’ils font.
Les enfants qui apprennent en s’identifiant au message des parents apprennent à la fois par imitation et en écoutant leur histoire. Même si ses parents l’ont incitée à rester dans le domaine scientifique, ils ne l’ont pas obligée à prendre une direction contraire à son profil. L’essentiel, c’est que son père connaissait ses capacités et savait l’aider à les exploiter au maximum.
La relation de MacDonald avec son père a probablement favorisé ses rapports avec les figures d’autorité masculines. Elle voyait aussi l’importance pour les hommes et les femmes de travailler ensemble sur un pied d’égalité. Elle constatait combien les hommes qui avaient des filles avaient tendance à encourager les femmes à réussir.
Quand on connaît le fonctionnement inné des systèmes, on peut rester soi-même et ne pas réagir de manière excessive. En sachant rester neutre, on permet aux autres d’effectuer de petits changements quand c’est possible au lieu d’essayer d’idéaliser un système.

Ladonna Lee

Ladonna Lee est consultante en communications stratégiques. Elle a travaillé auprès de beaucoup de grands leaders politiques et des chambres des commissions à Washington. Elle est actuellement au service de la société d’avocats Foley et Lardner qui se trouve dans cette même ville. (J’ai fait sa connaissance par l’intermédiaire de mon ami David Schwartz.)
Ladonna Lee est la seconde d’une famille de huit enfants où elle a grandi dans un ranch du Colorado. La position dans la fratrie est importante pour comprendre les modes de fonctionnement d’un système familial donné. Elle a des avantages et des inconvénients. On trouve beaucoup d’aînés parmi les leaders parce qu’on leur confie très vite des responsabilités. Mais s’ils n’assument pas ce rôle, il revient au prochain qui l’accepte.

Dans la plupart des familles, au début c’est l’aîné qui occupe la majorité du temps de sa mère tandis que le second passe plus de temps avec son père. Dans les familles qui privilégient la carrière professionnelle et les études, le second bénéficiera souvent de sa proximité avec son père qui travaille souvent à l’extérieur. Et, comme on pouvait s’y attendre, Ladonna et son père étaient très proches et elle est devenue une figure d’autorité dans sa famille.

Dans notre entretien, Ladonna (je l’appelle par son prénom car je la connais personnellement), a pu évoquer les forces auxquelles sa famille était confrontée en évoquant juste quelques réflexions et quelques souvenirs bien choisis. C’était suffisant pour identifier les temps et les éléments qui ont influencé sa famille d’origine.
« Mes parents ont connu la crise de 1929 », disait-elle. « Mon père a du partir garder les moutons quand il était en quatrième » car il n’y avait plus d’argent pour acheter à manger. Ce qu’il gagnait avec ses frères plus âgés servait à nourrir la famille.
Le père de Ladonna a joué un rôle manifeste dans son choix de carrière. Voici comment elle rapporte les façons de penser et d’agir de son père, ainsi que leurs points de divergences.
« Mon père estimait qu’on est responsable de sa situation. Il était convaincu que les parents ont une influence sur leurs enfants. Il estimait que leurs valeurs et leur conception de la vie étaient déjà établies à l’âge de six ans. »

Ladonna est convaincue qu’on reste encore façonnable et influençable après avoir quitté le nid familial. Et nous savons que la politique influe sur l’individu.
« Mon père s’intéressait d’abord à la politique locale. Il n’y avait pas de lycée dans notre région. Ma sœur aînée devait vivre dans une autre famille pour entrer au lycée. L’école comptait beaucoup pour mon père. Il a décidé de se présenter aux élections pour faire en sorte qu’ouvre un lycée et que les autres enfants n’aillent pas en pension. »
En parlant de ses compétences personnelles, Ladonna disait que les enfants devaient faire leur travail sans qu’on le leur demande. Son père prétendait que « Ladonna pouvait faire son travail et être prête pour l’église en 20 minutes. » Avec huit enfants, l’unicité de chacun était appréciée, mais la reconnaissance individuelle était rare.
« A la fin de mes années de lycée, mon père s’est présenté à la législature de l’Etat. Pendant ma première année d’université, il m’a demandé si je voulais travailler au siège du congrès américain pendant les séances. C’était génial. Et j’ai appris à vivre avec mon père. »
Ladonna a ajouté que pendant cette expérience elle a « pu voir de près comment fonctionne le système politique. J’étais fascinée de voir tous les modes d’expression possibles. Il y a tellement d’opinions différentes. Le test pour savoir si elles sont réalisables : les résultats aux élections.»

Concernant sa vie professionnelle, Ladonna disait que son parcours a été jalonné de nombreuses opportunités de choix avant d’opter pour la carrière politique. « Un choix marquant, dit-elle, c’est quand la société Vail m’a proposé un poste de secrétaire d’entreprise pour accompagner entre autre les investisseurs faire un dîner bien arrosé. J’avais 25 ans et le style de vie rude et libertin de cette société m’attirait. Mais je savais que ce n’était pas ma place si je voulais fonder une famille. Ce n’était pas mon style de vie. Je savais qu’ils voyaient en moi une femme blonde et intéressante, mais ce n’est pas là-dessus que je voulais construire.»
Puis elle a ajouté : « On rencontre bien des situations comme celle-ci où il faut faire un choix en fonction de ses valeurs profondes. Je voulais avant tout changer d’environnement. J’avais vécu dans le Colorado et je voulais découvrir autre chose.

Mon choix de carrière avait un aspect pratique. Je travaillais pour le gouverneur du Colorado quand il a été battu aux élections. J’ai eu ensuite une proposition de travail dans le District de Colombie pour le Comité National Républicain. C’était après l’affaire du Watergate. Peu de gens reconnaissaient à l’époque qu’ils étaient Républicains. Je savais qu’il y aurait là beaucoup de problèmes à résoudre. »

Les points de la boussole de Ladonna.

1. La faculté de définir une vision : Elle identifie ce qui l’a influencée et elle examine le pour et le contre des différentes opportunités avant d’exprimer ses objectifs personnels et de faire un choix.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres : Les oppositions prennent souvent la forme d’une issue facile. L’argent facile, la vie facile. Combien d’entre nous avons été tentés de prendre un travail qui offre bien des bénéfices mais qui pourrait faire avorter nos objectifs à long terme ? Ladonna avait des valeurs bien établies : laisser les gens s’exprimer en politique et choisir un projet facilement quantifiable. (Cela ne veut pas dire que ce sont ses seules valeurs. Ce sont celles qui ressortent de son histoire.)
3. La faculté d’entrer en relation : Comme beaucoup de femmes qui ont réussi, Ladonna avait une profonde relation avec son père. La vie est beaucoup plus facile quand on peut très tôt se référer à un modèle qu’on admire. Les femmes qui ont eu la chance d’avoir de bonnes relations avec leur père construisent plus facilement des relations de confiance avec les hommes, qu’elles considèrent comme leurs alliés et avec qui elles s’attendent à faire du bon travail. On suppose également que le père de Ladonna l’a encouragée à tisser un réseau professionnel de relations comme il a fait lui-même. Encore une fois, la vie est plus simple pour ceux qui ont eu des expériences positives et qui peuvent s’identifier avec les figures d’autorité parentale. Ils peuvent construire dessus au lieu de chercher à qui faire confiance et comment établir un réseau de relations.
4. La faculté d’être soi-même : Dans son histoire, Ladonna explique comment elle a su se gérer quand elle était enfant : « personne n’avait besoin de me demander de faire mon travail ». Son père en était bien conscient, comme elle nous l’a raconté. Elle soulève une question intéressante par rapport au degré de séparation de l’identité du leader et sa capacité à fonctionner de manière autonome au lieu de chercher à plaire aux autres. Où trouver la motivation sage et raisonnable à rester soi-même? Il est bon de trouver ses valeurs à long terme une fois qu’on les a identifiées. Nous pouvons être déroutés si nos valeurs rencontrent l’opposition ou le conflit. (Vous risquez par exemple de vous trouver dans une situation difficile si vous cherchez à la fois à satisfaire les autres et faire le travail qui vous plait.) C’est un dilemme que beaucoup peuvent même ne pas identifier. Il peut être délicat de satisfaire les autres car vous risquez de perdre de vue votre direction personnelle ou vos objectifs.
Les gens qui s’intéressent plus à leur travail qu’à satisfaire les autres passent pour des solitaires, des gens à idées ou des introvertis. Ce sont en général des gens qui se singularisent et ne s’intègrent pas. Et comme ils ne se laissent pas facilement influencer, le groupe peut s’opposer à eux.

Mais celui qui sait résister à l’attrait de la popularité tout en restant engagé dans ses relations peut être un individu libre. Il ne cède pas et il s’intègre. Cela vous correspond-il ?

Vous pouvez répondre à cette question en vous demandant si vous aimez passer du temps seul. Vous pouvez aussi introduire quelques changements mineurs dans votre relation avec quelqu’un avec qui vous vous entendez bien et voir comment vous vous en sortez.

L’histoire de Ladonna semble indiquer qu’elle fait passer son travail avant son besoin d’approbation de l’autre. C’est quelque chose de très important. Vous avez pu le constater si vous avez eu l’occasion de travailler avec quelqu’un qui recherche en permanence votre approbation ou qui se paralyse ou devient furieux s’il ne l’obtient pas.

Le feedback du père de Ladonna n’avait pas tant pour but de lui témoigner son approbation que de l’inciter à avoir du poids et à faire ce qui est juste en toutes circonstances.

Une histoire courte comme celle de Ladonna peut donner une vision intéressante du contexte global. C’est à l’individu ensuite de construire sur le regard ou l’appréciation de l’autre ou d’apprécier comme Ladonna le feedback de son père et de mettre ses talents au service d’une noble cause.

L’importance du feedback
J’ai présenté à Ladonna le compte rendu de notre entretien et je lui ai demandé si elle avait d’autres histoires qui témoignent de l’importance pour un leader de préserver sa maturité émotionnelle tout en restant en contact avec les autres et en développant son niveau de fonctionnement. Voici ce qu’elle a ajouté :
« Quand j’avais une quinzaine d’années, nous sommes rentrés de l’école un soir alors que nos parents n’étaient pas encore revenus de la ville. Peu après nous avoir déposés à la maison, le chauffeur de car est revenu comme un fou dans un hurlement de moteur. Il criait que notre voiture était gravement accidentée et que nos parents étaient morts ». Quand Ladonna lui a demandé qui était mort exactement, il semblait ne pas très bien savoir. « Il était complètement paralysé. J’ai dit à ma sœur d’appeler l’ambulance, sachant qu’on était à environ trente minutes de la ville la plus proche. Je m’apprêtais à partir en voiture pour voir ce que je pouvais faire quand notre ouvrier qui conduisait l’une des voitures accidentées est venu nous dire que les secours arrivaient et que nos parents n’étaient pas encore rentrés de la ville. J’étais soulagée de ne pas avoir personnellement à être confrontée au carnage et à devoir découvrir moi-même si mes parents avaient été tués. C’était la première fois que je voyais un adulte incapable d’être à la hauteur d’une situation critique et j’étais sûre de pouvoir intervenir et gérer une situation très dure. Heureusement, je n’ai eu qu’à calmer mes frères et sœurs et le chauffeur de bus et à soigner notre ouvrier blessé. »

Le Docteur Bowen écrit : « les gens qui agissent selon leur réflexion peuvent garder une certaine autonomie quand l’angoisse monte, ils sont plus souples, plus adaptables et moins sensibles au climat émotionnel qui les entoure. (Extrait de Family Therapy in Clinical Practice).

Quelques réflexions pour conclure- Le tourbillon des émotions
Personne ne veut se laisser entraîner dans un tourbillon d’émotions. Personne ne veut se laisser envahir par des pensées obsessionnelles. Pour développer notre autonomie émotionnelle, nous devons différencier et préserver un équilibre entre les deux forces présentes dans tout système émotionnel : celle qui pousse à la cohésion (à se rallier aux autres) et celle qui pousse à l’individualisation (à garder son intégrité).

Pour bien différencier ces deux forces, nous sommes obligés de maintenir certains contacts même s’ils sont difficiles. Notre seul atout, c’est l’entraînement. Quand vous éprouvez la tentation de céder à la fusion, arrêtez-vous, prenez votre courage à deux mains et dîtes non. L’autre méthode, c’est de veiller à ne pas perdre votre identité en intellectualisant à l’excès les relations. Si vous vous lamentez trop auprès de vos amis, vous risquez de croire à vos plus horribles cauchemars. Quel intérêt y a t-il à se laisser accabler par les troubles affectifs ?

Nous avons vu que moins on a besoin d’intimité affective plus on développe son individualisation. Et plus on développe son indépendance ou son autonomie, moins on se laisse influencer par des motifs infondés. N’est ce pas le propre du dirigeant authentique ?

Quelque soient les forces qui vous poussent à changer, il est important que vous vous laissiez guider au maximum par votre réflexion. C’est indispensable pour vous éviter de retourner à vos anciens modes de fonctionnement au prochain obstacle.

Chapitre six. Diriger dans la jungle relationnelle : Apprendre à identifier les modes de fonctionnement

On ne peut pas rester paisible quand on se retrouve dans un bocal de vinaigre.
Philip Zimbardo (L’expérience de Stanford)

Il est de la responsabilité de tout leader qui veut changer de se former et d’adopter un autre regard. Les peureux, les lâches et les impatients seront déçus.
W. Edwards Deming

Les échanges et les forces
Je vous ai encouragés dans les premiers chapitres de ce livre à vous laisser guider par votre histoire familiale pour réfléchir aux modes d’échanges et de réflexion que vous avez appris dans votre famille. Je vous ai également parlé de la boussole de la pleine conscience en vous demandant de réfléchir à la manière dont vous pouvez changer vos modes de fonctionnement inutiles. Comme Philip Zimbardo l’a mis en évidence dans sa recherche, c’est notre situation sociale qui régule notre comportement. Je propose donc que nous prenions le temps d’examiner la rigidité du système, ou du bocal de vinaigre que j’évoquais tout à l’heure. Nous devons être très attentifs aux signes qui influencent notre comportement, qu’ils proviennent de notre famille ou de notre groupe social. Notre situation sociale peut changer en fonction du « regard » que nous lui portons. Nous avons dit précédemment que nous « percevons » notre histoire en nous la racontant. Si nous sommes sincères, nous pouvons examiner avec sagesse ce qui influence aujourd’hui encore notre comportement prévisible.

Vous êtes la seule personne à pouvoir évaluer votre degré de sensibilité à la maison et au travail. Il n’y a que vous qui puissiez mesurer où vous en êtes en réfléchissant à votre histoire. C’est elle qui peut vous aider à voir comment vous vous entendez avec votre famille et vos collègues. Ceux qui veulent rendre compte de ce qu’ils ont vécu dans leur famille comprendront mieux comment les évènements et les relations ont induit en eux des réactions intenses qui rejaillissent sur leur vision actuelle du monde. Mais savons-nous vraiment comment nous affectons les autres ?

Si vous pouvez répondre oui, ce livre n’aura pas été vain.

Ces premiers chapitres vont ont amenés à découvrir la force de cohésion et son contraire, la force d’individualisation, qui incite chacun de nous à devenir un être autonome. Nous avons beaucoup de mal à maintenir l’équilibre entre ces deux forces qui façonnent notre perception de la réalité et guident par conséquent nos actes. Elles sont neutres et identifiables mais il faut du temps pour connaître leurs diverses expressions. Notre esprit conscient n’est que le sommet de l’iceberg.

Nous prenons part à toutes sortes d’activités de groupe sans avoir conscience de nos relations sociales. Comment chacun joue-t-il un rôle dans une adhésion de groupe ? Nous nous pencherons un peu sur la recherche psychologique des situations sociales pour voir l’influence qui s’exerce sur nous à notre insu. Je suis souvent stupéfaite quand je vois combien les gens ont du mal à comprendre l’influence des forces invisibles. Mais sachant que moins de la moitié des Américains croient que la théorie de l’évolution est presque devenue un fait accompli, il faudra encore bien d’autres études scientifiques pour faire de la participation à la vie du groupe quelque chose de palpable et de scientifiquement acceptable.

Nous pouvons aborder ce thème en considérant ces facteurs d’influence du groupe qui nous aident à identifier les modes de fonctionnement qui interagissent. Mais cela prend du temps. Pensez au temps qu’il faut pour devenir expert en tel ou tel domaine. C’est la même chose pour développer son identité. La présence permanente de ces forces nous oblige à nous appuyer sur notre boussole pour nous diriger dans nos systèmes relationnels et développer notre connaissance et notre courage intérieur.

Reprenons les concepts de base
(1) La théorie de Bowen nous permet de faire le lien entre le fonctionnement de l’individu et ses relations avec les autres membres du groupe ou du système en instaurant un équilibre entre l’individu et la force pour adhérer au groupe, la force de cohésion.
(2) Les êtres humains ont des modes de fonctionnement innés semblables à ceux qu’on trouve chez d’autres mammifères.
(3) Certains mécanismes du cerveau incitent les gens à se conformer au groupe social.
(4) Pendant les périodes d’angoisse, beaucoup fonctionnent moins bien. Ils recherchent plus de proximité et négligent leur identité.
(5) La sensibilisation des individus à leurs anciens modes de fonctionnement les aide à se définir en fonction de leurs connaissances et de leurs principes de vie.

Créer un « espace de réflexion »
Il est indispensable de bien comprendre comment fonctionnent les systèmes et comment augmenter son individualisation pour développer et accroître ses capacités à diriger. J’ai par nature un esprit de chercheur et c’est pourquoi je travaille depuis plus de trente ans sur le fonctionnement des familles et des entreprises en tant que systèmes émotionnels et que j’en apprends encore aujourd’hui. Mais vous n’êtes pas obligés d’en faire autant, sauf si cela vous tente. Une « bonne » connaissance du mode de fonctionnement des systèmes peut nous aider à nouer des relations plus lucides avec des personnes importantes de notre famille proche ou élargie ou d’une entreprise. Avec cet objectif en tête vous consoliderez votre étoffe de dirigeant. On ne peut jamais dire dans quelles mesures la construction et la consolidation de nos relations avec nos proches et nos collègues de travail influeront sur l’efficacité, la lucidité et la sérénité des systèmes familiaux et professionnels élargis.

En tant que coach familial systémique, je constate combien on aborde la complexité des systèmes relationnels de manière surprenante. J’ai été souvent étonnée de voir les gens que j’étais supposée accompagner rejeter mes façons de penser et effectuer leur propre démarche stratégique. Ils trouvaient à maintes reprises des moyens inattendus pour naviguer dans leur jungle émotionnelle. Comment est ce possible et quelle est la part de responsabilité du coach?

Les gens élaborent des « espaces de réflexion » avec leur coach. Nous avons souvent besoin de nous laisser inspirer par des idées nouvelles pour rompre avec nos anciens modes de pensée. Toutes ne sont pas absolument utiles. Certaines peuvent être amusantes et même un peu farfelues. Elles ne font en fait que stimuler la réflexion et les sentiments.

Nous ne savons pas très bien comment le système cognitif opère pour influer sur les sentiments et les mécanismes relationnels. Nous savons par contre qu’une autre approche de nos sentiments est souvent plus bénéfique que de les exprimer simplement comme des faits réels. On ne sait pas toujours très bien pourquoi, mais de bonnes relations d’accompagnement favorisent la capacité de réflexion de l’autre et un mode de fonctionnement plus rationnel. Je crois toutefois qu’élargir ses connaissances (intellectuellement et instinctivement) en passant en revue les forces impersonnelles en jeu dans un système contribue grandement à aider les autres à développer leur capacité de réflexion et à adopter un raisonnement plus rationnel.

Dans notre société qui nous bombarde d’informations et qui revendique des solutions, il est impératif de connaître ses limites et les facteurs d’influence en jeu dans ses relations aux autres. Nous l’avons souvent souligné, notre principal défi est de comprendre comment nous affectons les autres. Malheureusement, quand les choses vont mal, nous sommes souvent incapables de nous freiner (ou de nous arrêter) pour essayer d’identifier le problème. Alors nous restons sur notre lancée. Mais quand tout semble aller de travers, il faut savoir s’arrêter et analyser ce qui se passe. Il est difficile de dire « non » surtout si nous sommes dans les émotions. Mais c’est souvent le premier pas vers un nouveau mode de pensée et d’action.

Nous avons du mal à nous détacher de nos anciens modes de réactions. Quand nous avons un effet négatif sur quelqu’un et que nous pensons avoir raison, il est temps de nous arrêter pour analyser ce qui se passe vraiment.

On fait parfois le parallèle entre le sport et les effets qu’on produit sur quelqu’un. Si votre coéquipier ou vous-même lâchez le ballon, chaque membre de l’équipe réagira à sa manière. Ces réactions diverses auront des conséquences diverses et peuvent faire gagner l’équipe ou la faire perdre. C’est ce qui se passe aussi dans les relations. Nous sommes affectés en permanence par les changements chez les autres.

Notre entourage produit un effet sur nous, même si nous ne participons pas au Super Bowl (la finale du championnat de football américain). Nous avons malheureusement du mal à voir l’intimité émotionnelle qui nous lie et à comprendre comment nous réagissons sans cesse dans nos relations. Mais nous pouvons travailler à en prendre conscience et à développer nos capacités à diriger. (Je vous recommande sur le sujet le livre de Michael Lewis Money Ball : The Art of Winning an Unfair Game).
Autrefois peut-être, quand le monde était moins peuplé, on avait moins besoin de comprendre toutes les ficelles du fonctionnement humain. Mais c’est maintenant plus important que jamais.

Les conséquences des réactions automatiques étaient peut-être moins critiques au temps des tribus. Mais aujourd’hui nous devons être le plus lucides possible. Si nous avons davantage conscience de l’effet que nous produisons les uns sur les autres nous assumerons mieux nos réactions. Nous n’avancerons pas en restant figés dans nos schémas habituels. En développant notre conscience, nous serons mieux équipés pour diriger ou nous placer sous l’autorité de quelqu’un.

Sapolsky et le feed-back physiologique dans la jungle émotionnelle
Dans les années 80 je rassemblais les connaissances de base qui allaient m’aider à comprendre les systèmes sociaux et je ne voyais pas très bien les effets de l’anxiété dans le système élargi sur les compétences du leader. Robert Sapolsky était le seul à effectuer des recherches sur le stress des chefs babouins sauvages. En lisant son article dans Scientific American, j’ai découvert que tous les chefs ne géraient pas aussi bien la diversité dans les groupes. (La dynamique d’approche-évitement des babouins qui déterminait leur rang soulignait davantage l’évitement conscient du perdant que l’offensive manifeste du gagnant.) J’étais très surprise. Le stress et l’anxiété circulaient dans la bande et le chef était affecté par les réactions du groupe, exactement comme chez les humains.

Les chefs peuvent bien sûr affecter leurs subordonnés. C’est une constatation fréquente quand le chef menace le groupe ou l’un de ses membres.
Sapolsky étudie depuis 1978 les liens entre la santé, le comportement et le rang dans une population de babouins sauvages de l’écosystème du Serengeti en Afrique de l’Est. Il remarque que les chefs de bande ont souvent un système immunitaire plus résistant tant qu’ils occupent cette position. Sapolsky constate que ce qui se passe chez les primates s’applique à notre quotidien. (Par exemple, dans les luttes de pouvoir pendant les réunions du Conseil de faculté).Les stratégies pour la survie universitaire empruntent le savoir faire diplomatique des babouins : « J’ai appris à faire alliance et à me soumettre parfois en mettant les fesses en l’air» dit Sapolsky. Il souligne aussi avec insistance que les babouins les moins stressés et les mieux en forme ont des relations sociales solides.

Les chefs de bandes faisaient tout pour garder leur position hiérarchique afin de préserver leur système immunitaire même si certains rencontraient des affrontements épouvantables et d’autres des comportements agressifs.

Sapolsky a découvert récemment que les mâles au taux de cortisol le plus bas passent la majorité de leur temps à faire leur toilette ou à se la faire faire par des femelles qui ne sont pas en chaleur (et donc sans attrait sexuel) et à jouer avec leurs petits. En outre, les singes incapables de prévoir le danger ont un taux de cortisol deux fois plus élevé que ceux qui savent distinguer un danger d’une fausse alerte. De même, les babouins qui attendent de se battre sont plus stressés que ceux qui maîtrisent la situation et attaquent les premiers. Autrement dit, faîtes vous des amis et relativisez.

Chez les babouins, l’ordre hiérarchique se fonde sur qui va tabasser l’autre. Les plus faibles sont harcelés, ils sont les derniers à trouver à manger et ils ont peu de chances de trouver un partenaire, ce qui ne fait qu’accentuer leur taux de stress. Les recherches de Sapolsky dans son laboratoire de l’université de Stanford ont démontré qu’un taux de stress particulièrement élevé affaiblit les défenses immunitaires et peut nuire ou détruire d’autres cellules du corps. Son équipe a été parmi les premières à démontrer que des taux élevés de cortisol peuvent détruire des cellules de l’hyppocampe, la partie du cerveau responsable de la formation des souvenirs récents.

Dans son ouvrage remarquable, Why Zebras Don’t Get Ulcers (Pourquoi les zèbres n’ont pas d’ulcères), Sapolsky explique ce qui se passe quand on s’inquiète ou qu’on se stresse. Nos corps réagissent comme ceux des animaux. La seule différence, c’est que nous ne réglons pas les conflits de la même manière. Nous n’attaquons pas spontanément à la gorge un ennemi potentiel qui empiète sur nos plates-bandes et nous ne prenons pas une attitude offensive face à ce qui constitue une menace à nos yeux. Il semble par contre que nous soyons beaucoup plus sujets à l’inquiétude et que nous ayons des moyens bien spécifiques d’intérioriser notre stress. Si nous ne savons pas comment le gérer, il finira par nous rendre malades.

Nous avons bien des cordes à notre arc pour réduire ou anéantir nos réactions de stress. Mais il nous faut d’abord en prendre conscience, au moins tant que nous ne sommes pas équipés de cette montre qui émet un bip face à une situation de stress. Ensuite nous pourrions peut-être juste poser une électrode sur notre tête pour permettre à notre cerveau de rediriger et de réguler la décharge de cortisol et ne pas en subir les dommages.

Les dirigeants peuvent se préoccuper davantage de leur santé que d’acquérir des parts de l’entreprise. Le président d’Enron, Ken Lay en est une bonne illustration. Il a été victime d’une crise cardiaque au moment de son incarcération après avoir été condamné pour fraude et conspiration dans la faillite d’Enron. Tous les chefs d’entreprise ne recherchent pas une relation constructive avec leurs subordonnés. Si un dirigeant sait qu’il n’est pas apprécié par ses subordonnés, il instaure une autre dynamique. Sapolsky nous a simplement démontré que le feedback entre le leader et le groupe est un échange réciproque.

J’espère qu’en prenant conscience de l’origine de votre aveuglement psychologique et de ses effets sur vos systèmes relationnels, vous découvrirez comment construire votre savoir-faire pour diriger. C’est à vous de décider jusqu’où vous voulez aller pour rassembler les indices et reconstituer le puzzle.

Pour le leader que vous êtes, le but est de vous éclairer et de vous donner les atouts qui vous permettront d’affronter avec lucidité les situations les plus complexes. Il vous faudra pour cela chercher comment assumer votre part de responsabilité car les dirigeants sont parfaitement au clair sur la contribution de chacun aux situations difficiles que nous rencontrons.

Savoir faire preuve d’humour quand l’anxiété monte
« Si je ne suis pas capable de rire d’une situation difficile, je ne serai pas capable non plus de la gérer. »Murray Bowen

Nous admettons peut-être qu’il est sage d’essayer d’examiner notre contribution à un problème mais nous aimerions faire un peu d’humour en recherchant des réponses appropriées aux trois questions suivantes :

(1) Comment est-ce que j’identifie l’anxiété dans les relations ?
(2) Si je me sens anxieux, suis-je néanmoins capable de me détendre dans le présent
(3) Est-ce que je sais mettre au point de nouvelles stratégies pour détendre l’atmosphère au lieu de réagir et de m’énerver ?

Nous pouvons trouver les bonnes réponses mais avoir une approche mauvaise si nous devenons trop solennels. Le sens de l’humour n’est qu’une indication de votre été d’esprit : êtes-vous suffisamment « zen » ? Sinon, vous visez peut-être trop haut et pourriez communiquer votre stress aux autres. Et s’il affecte vos résultats, votre équipe et votre famille le sentiront et auront une réaction mauvaise ou machinale.
C’est le cas de l’homme qui conclut d’après le regard de son patron qu’il n’aura pas d’augmentation. Il rentre chez lui et se vexe par rapport à sa femme. Il peut lui lancer un regard dur parce qu’elle est occupée avec les enfants au lieu de s’occuper de… (Ce que vous voulez !) Il va se détendre dans une autre pièce. Sa femme est de plus en plus angoissée par le petit qui pleure tandis que le chien de la famille se met brusquement à mordre le petit dernier.

Dans les familles plus souples et presque trop parfaites, l’homme demande à son chef : « Qu’est ce qui ne va pas ? » ou bien « Vous voulez me dire quelque chose ? » Ce feed back assez négatif est suivi d’un commentaire positif sur la position du chef sur tel ou tel sujet. Il rentre chez lui, sait que sa femme doit s’occuper de l’enfant qui pleure et emmène ses enfants et le chien faire une bonne ballade en forêt. Sa famille a autant besoin de ce moment de détente que lui. Voici le résumé des principes sur lesquels s’appuyer :
(1) Essayez d’aborder les situations problématiques avec délicatesse
(2) Soyez positifs
(3) Passez le plus de temps possible avec ceux qui occupent une place importante dans votre vie
(4) Ne fuyez jamais les difficultés en partant au pas de course. (Courez pour votre plaisir, ou votre rythme cardiaque, ou pour réduire votre stress, ou quand vous avez besoin d’un temps de réflexion).

On nous recommande vivement de prendre le temps nécessaire pour apprendre à garder son sang-froid et à rester soi-même quand on découvre et expérimente des façons de penser différentes.
Elles remettront obligatoirement en question vos anciennes convictions et vos anciennes valeurs, tout comme celles de votre équipe. C’est toujours une nouvelle source d’angoisse et de déstabilisation. Le plus difficile, c’est de supporter notre angoisse et celle des autres quand nous examinons et abandonnons peut-être même certaines de nos bonnes vieilles convictions qui nous semblaient si fondées.

Elles sont souvent des automatismes qui nous sécurisent ou qui nous sont du moins familiers. Une nouvelle approche peut nous déstabiliser ou nous rendre dubitatifs mais elle peut aussi se fonder sur des principes de vie et nous donner la possibilité de développer notre niveau de fonctionnement personnel, et par la suite celui du groupe.

Nos tendances relationnelles font-elles un peu partie de notre héritage ?
Si vous voulons traverser avec succès la jungle émotionnelle, nous devons connaître les automatismes de nos cerveaux et de nos systèmes sociaux. C’est parfois un véritable défi de comprendre à quel point les protocoles sont enracinés dans nos systèmes sociaux et nos cerveaux, mais cela vaut mieux que de s’enliser dans une impasse relationnelle.

On me demande souvent : « Pourquoi est-il donc si important de comprendre son passé ? C’est de l’histoire ancienne et ça ne veut plus rien dire. »

Je pourrais simplement répondre qu’il est très difficile de vivre dans l’instant présent sans tenir compte du passé ni de l’avenir, mais les gens n’aiment pas entendre ça. Ils veulent des preuves de la nécessité de comprendre comment le passé nous régule. Je leur fais donc remarquer que l’histoire personnelle de l’individu est une démonstration concluante de la dimension réflexe du système social.

Vous avez lu dans les chapitres des entretiens combien l’individu apprend encore de son histoire relationnelle et de l’effet qu’elle produit sur sa vie. Certains comme Gary Resnick se demandent s’il y a une relation de cause à effet entre ses dynamiques familiales et son fonctionnement personnel au travail. Son esprit scientifique le conduit à se demander s’il ne compense pas un peu ses expériences précoces en allant trop dans les détails au travail. C’est une bonne remarque, mais qui mérite quelques ajustements. Chacun peut ouvrir les yeux sur ses stéréotypes de fonctionnement s’il veut bien y consacrer du temps et des efforts.

L’histoire de ces personnages réels m’a beaucoup appris, tout comme les études que les chercheurs ont effectuées dans divers domaines.

L’ethnologue Frans de Waal ainsi que Robert M. Sapolsky ont concentré leurs recherches sur le comportement des primates. Comme Darwin auparavant, ils ont conscience de la portée de leurs recherches sur l’espèce humaine. Darwin avait évoqué cent ans plus tôt nos nombreux points communs avec nos petits cousins les primates.

Dans son ouvrage Good Natured : The Origins of Right and Wrong in Humans and Other Animals, Frans de Waal explique comment les notions de justice, de réciprocité et d’altruisme se sont développées chez les humains par la sélection naturelle. Sa première étude nous fournit en outre des modèles précis de tactiques chez nos cousins. Ce sont des exemples que nous avons probablement déjà rencontrés dans nos familles et nos associations.

Pensez aux stratagèmes puissants et inévitables dont vous avez été témoin ou que vous avez expérimentés dans votre vie, ou bien à la mission diplomatique qu’on vous a imposée auprès d’ennemis réels ou potentiels, ou encore à cette super prime de fin d’année réservée à un nombre infime de supérieurs hiérarchiques. Savez-vous que les chimpanzés vivent aussi ce genre de situation ? C’est au chef que revient le plus gros régime de bananes ainsi que les privilèges auprès des femelles. De tels avantages peuvent engendrer des comportements douteux. L’espèce humaine a des désirs et des besoins qui diffèrent peu de ceux de ses cousins les chimpanzés. Notre structure sociale semble en outre avoir tiré certaines règles de conduite de celle des chimpanzés.

Comment faire alors la distinction entre une attitude réfléchie et un mode de fonctionnement davantage régulé par nos instincts et proche de celui des chimpanzés ? Ces derniers sont malins mais ils ont du mal à dépasser leur interprétation émotionnelle du système. Ils savent pourtant s’intéresser aux autres et, comme l’explique Frans de Waal, nous pouvons apprendre aussi de nos cousins à résoudre les conflits, à travailler ensemble et à bannir l’injustice.

De Waal a étudié l’évolution de la moralité et nous en présente le fonctionnement dans un groupe social avec des exemples simples. Les chimpanzés apprécient et partagent plus facilement leur nourriture avec ceux qui font quelque chose pour eux (leur toilette par exemple). Nous pouvons tirer des leçons de la manière dont ils travaillent ensemble et prendre conscience en toute humilité de la similitude entre nos structures cérébrales et les leurs. Par contre, nous pouvons amener notre cerveau à dépasser les automatismes pour développer des principes de vie. C’est peut-être au dessus des capacités du chimpanzé mais c’est à la portée de ceux qui savent se discipliner, sont déterminés, lucides et capables de faire des projets à long terme. Ce n’est pas facile car les automatismes se mettent en route à la moindre menace.

J’aimerais bien que notre boussole ait un bip qui nous dise « Vous vous fondez sur d’excellents principes qui vous aident à bien vous adapter à l’épreuve actuelle. » Ou encore : « Attention, vous réagissez selon des besoins et des désirs spontanés qui risquent de nuire à vos projets à long terme. » Mais cette technologie n’existe pas pour l’instant. Le mieux que nous pussions faire, c’est de renforcer notre cortex cérébral pour qu’il gère nos réactions émotionnelles.

Si nous comprenons la nature des pressions sociales automatiques qui nuisent à nos intérêts à long terme, nous identifierons peut-être plus vite les réflexes qui agissent sans cesse dans toute relation.

Le système intellectuel n’est pas aussi rapide ni aussi puissant que le système émotif. Mais il peut réguler la réponse émotive automatique en identifiant et en réagissant aux modes de fonctionnement identifiés.

Notre cerveau a besoin d’avoir un bon centre de stockage pour identifier les schémas. Pensez aux champions d’échecs ou aux grands entraîneurs d’équipe de football. Pensez au nombre d’heures de travail d’un musicien de talent avant de constater ses infimes progrès. Les experts en la matière savent bien identifier les schémas, au moins en ce qui concerne le domaine qui les intéresse. Les dirigeants peuvent eux aussi rassembler des expériences et identifier les schémas dans les relations.

Les gourous du management et les mécanismes du cerveau qui nous guident
Les gens comme Peter Drucker, le célèbre gourou du management, ont examiné comment le processus automatique de sur-gratification des leaders pouvait entraîner un sérieux dysfonctionnement dans les entreprises. Selon lui le facteur multiplicatif de dix entre le salaire le plus bas d’une entreprise et le plus élevé aboutirait une mise en valeur plus rationnelle des gens et une évaluation plus logique des résultats. Souvent les sociétés ne savent pas apprécier la qualité du travail d’un directeur. Mais l’échelle des salaires biaise le système en sur payant les gens. Les conseils de direction ne semblent pas très bien savoir comment définir un leader légitime.

Drucker estimait que les dirigeants n’avaient pas encore admis qu’ils symbolisent le pouvoir et qu’un pouvoir se doit de répondre de ses actes et d’être légitime. En observant le mode de fonctionnement relationnel dans l’entreprise, Drucker s’est aperçu que le cadre moyen considérait son chef comme un père qui sait tout. Cet état d’esprit peut s’être profondément ancré dans un système familial ou organisationnel.

Drucker a constaté aussi que les cadres consacrent la plus grande partie de leur temps à manager leurs équipes mais qu’ils ne savent pas recruter leur personnel. Ils prennent de mauvaises décisions d’embauche. Seul un tiers des recrutements est une réussite, le deuxième tiers s’avère médiocre et le troisième catastrophique. C’est probablement vrai aussi pour les comités de recherche en quête d’un nouveau dirigeant pour leur société. Ceci révèle combien il est difficile pour un bon dirigeant de repérer les « indices ». Pourquoi est-ce si difficile de faire le bon choix ?

Robert B. Cialdini, l’auteur de The Science of Influence (L’influence), parle des raccourcis dont se sert notre cerveau pour prendre une décision. Ces raccourcis nous permettent d’économiser nos forces et notre cerveau veut être un système économe en énergie. Mais ces raccourcis sont souvent aussi une porte ouverte à la manipulation qui s’exerce sur le système ou le bocal de vinaigre. Comme le faisait remarquer Philip Zimbardo, quand on est soumis à des facteurs d’influence négatifs on peut perdre en un rien de temps tout son calme et sa sérénité. Heureusement il y a certains principes qui engendrent des réactions automatiques face à des situations de la vie réelle. Quand vous les aurez identifiés, vous serez prêts à affronter aussi bien vos amis que vos ennemis. Voici la liste de ces principes de la théorie de Cialdini:

La réciprocité : on rend aux autres ce qu’ils nous ont donné
L’engagement : un stratagème pour nous amener à dire oui et à ne pas changer d’avis
La consistance : la force du premier engagement
La preuve sociale : on reproduit le comportement du plus grand nombre
L’appréciation et l’amitié : une personne que l’on apprécie aura un impact sur nous en terme de persuasion
L’autorité : on se fie au regard du parent ou de celui qui a un statut attestant de sa qualification dans le domaine
La rareté : on croit que le produit est limité et donc qu’on va perdre une « opportunité »

Ces réactions sont comme des solutions de secours. Elles nous poussent à effectuer tel achat, à fréquenter tel groupe, à partager les points de vue politiques de nos amis ou à accepter les décisions des autorités du jour.

Ces réactions qui se déclenchent dans les relations sont également bien en place dans les familles et transforment la famille nucléaire en un groupe social puissant. Il y a bien sûr des différences entre le groupe social et la cellule familiale. Nous sommes constamment réactifs aux membres de notre famille et beaucoup plus sensibles à leur état, ce qui peut se traduire soit par un trop grand attachement affectif soit par une prise de distance. Ces deux attitudes peuvent être une source de dysfonctionnement et de chagrin.

Nous évoluons dés le plus jeune âge dans un contexte relationnel intense qui affecte notre capacité à réguler notre comportement par la réflexion à mesure que nous grandissons. Vous avez probablement tous en tête des souvenirs de situations où vous avez eu de l’influence sur les membres de votre famille. Votre mère qui représentait la figure d’autorité vous a-t-elle dit de finir votre assiette parce que tant d’enfants meurent de faim ? Votre père vous a peut-être promis une augmentation de votre argent de poche si vous portiez les poubelles dehors. Et il vous est certainement arrivé de dire à vos parents que tous vos amis allaient à la super soirée et qu’ils ne pouvaient donc pas vous empêcher d’y aller.

Cette courte explication devrait démontrer que la sensibilité à la pression sociale s’infiltre dans la tendance du cerveau à prendre des raccourcis. Que ce soit dans la famille ou au bureau, nous nous conformons tous naturellement aux autres. Nous sommes tous influencés par la force qui nous pousse à la cohésion. Cette force ralentit et affaiblit malheureusement notre capacité à bien réfléchir et à fonctionner de manière autonome plutôt qu’en qualité de membre du groupe.

Si l’aveuglement relationnel vous inquiète encore (ce qui n’a rien d’étonnant), les recherches du psychologue social Lee D. Ross vous intéresseront certainement. Ross est très au clair sur les effets de l’aveuglement relationnel sur le système social ou l’individu. Il analyse comment nous nous méprenons sur les autres. Il explique comment nous nous projetons sur les autres et les condamnons, comment nous nous méprenons sur eux et comment tout cela accentue les oppositions entre individus et entre groupes. Il démontre que notre sensibilité à la pression sociale et notre besoin d’approbation augmentent avec l’angoisse.

Quand on ne « s’intègre » pas au groupe, on s’isole. Mais ne nous stressons pas en pensant aux mille et une difficultés que nous pouvons rencontrer dans nos relations. Tout ce que nous avons à faire, c’est d’acquérir les connaissances de base, d’être un peu attentifs, et d’évaluer les facteurs de risque de nos projets, de nos actes et de nos rêves.

Examinons maintenant les résultats des études qui ont été effectuées sur le comportement de l’entreprise. Nous verrons peut-être ce que peut faire un leader pour que le bocal de vinaigre redevienne un endroit plus productif et plus paisible.

Les effets de la crainte et la résolution des problèmes « graves »
Les questions sont souvent mes meilleures alliées. On me demande souvent : « Comment êtes-vous passée de thérapeute familiale à consultante en entreprise ? » Voici les grandes lignes de mon histoire.

Quand le Docteur Bowen est décédé en 1990, je me suis beaucoup intéressée aux leaders. Ma famille était l’endroit tout désigné pour cela. Plusieurs générations avaient baigné dans le monde des affaires et mon oncle gérait à l’époque une grande entreprise familiale. Sa femme (ma tante) voulait que je parle avec son mari de l’avenir de l’entreprise et c’est ce que j’ai fait. Tout est devenu ensuite beaucoup plus compliqué, comme dans toutes les histoires, mais la demande de ma tante a marqué le début de ma détermination à comprendre comment fonctionne une entreprise familiale et comment les leaders se révèlent dans les familles.

Au début où j’étais consultante, j’associais les concepts de la théorie de Bowen aux travaux de W. Edwards Deming et Chris Argyris. Tous deux estiment que l’attitude défensive et la peur sont des freins à une stratégie d’entreprise par ailleurs rationnelle. Je savais par conséquent que la première chose à faire en entrant dans une entreprise serait de chercher à détecter tout sentiment de peur. Ce serait l’élément déterminant de ma stratégie relationnelle future. Il me fallait bien observer les relations entre les gens et voir comment je pourrais me préserver de l’influence plus ou moins vive des membres de l’entreprise et garder mon autonomie. La peur est un « tell » (indice) de base dans les familles et les entreprises. (Au poker, un « tell » est une indication que vous révèle le langage du corps de la personne, il vous informe sur le choix de la mise pour la future main.) La peur et l’anxiété sont les révélateurs d’un système troublé qui appelle à l’aide. L’arrivée du consultant peut les accentuer. Sachant que la peur pousse les gens à chercher un responsable, je devais bien garder en tête qu’il n’y a jamais un seul coupable ni une seule cause au problème. On va essayer de vous faire croire que c’est la faute des autres, mais un consultant (ou un leader) sensé sait très bien que tout le système est concerné.

Que se passe-t-il quand on commence à venir en aide à l’entreprise dont un des membres en a fait la demande ? Les réactions sont variées. Certains pensent qu’ils doivent « parler» des autres ou qu’on va « parler » d’eux. Certains s’inquiètent. Beaucoup sont paniqués par l’idée de changement (c’est une épreuve et elle peut faire monter l’angoisse), tandis que d’autres sont soulagés parce qu’ils pensent que le consultant se chargera des autres à leur place. Toutes ces réactions engendrent bien sûr des interactions. La peur de l’un peut inciter l’autre à la critique. Et le soulagement de l’un peut générer l’angoisse chez les autres.
Selon Deming, apaiser les craintes était le premier facteur de productivité. Il pensait qu’on devrait pouvoir concevoir un système qui bannisse la crainte du lieu de travail. Chacun s’épanouirait personnellement car les gens seraient fiers de leur savoir-faire et donc plus efficaces dans leur travail. Chacun assumerait son rôle et ses responsabilités mais si l’un d’eux échoue, on ne va pas le condamner. On considèrera que le problème vient du système qui n’a pas su trouver la voie adaptée à son profil. Pour Deming, c’est la position de l’individu dans le système (ou la structure du système) qui détermine le bon fonctionnement de celui-ci et de chacun de ses membres.

Toutes les structures ne sont bien sûr pas identiques. Les systèmes sociaux peuvent être plus ou moins mûrs. Certains groupes sont moins réactifs au changement et plus lucides tandis que d’autres semblent si conditionnés et si réactifs que personne n’a le temps d’examiner les conséquences de ses choix. Pour qu’une structure fonctionne bien, elle ne peut pas être trop rigide. Peut-on attendre des entreprises qu’elles donnent à l’individu une certaine liberté pour réfléchir et travailler en groupe? Sinon, on réagira et on s’opposera au message du leader et à tout projet de changement et le système redeviendra comme avant.

A moins d’être très matures, les gens ont peur du changement. Le système est souvent perturbé quand on opère un changement qui nous oblige à agir différemment. On a peur de trop se conformer au système ou au chef et de perdre ses repères. Ce sont des gens qui se plaignent souvent mais qui n’abordent pas ouvertement les problèmes. D’autres refusent d’obéir et de changer leur façon d’agir en protestant.

Les systèmes matures sont moins réactifs. Les gens peuvent réagir mais sont capables d’exprimer leurs craintes et leurs soucis. La diversité est une caractéristique des systèmes émotionnels et tous risquent de subir les effets de l’environnement changeant. Certains peuvent se laisser emporter par le stress et retrouver leurs esprits quand l’angoisse diminue. D’autres ne sont guère capables de rebondir car ils n’ont pas de principes sur lesquels s’appuyer pour mieux fonctionner.

Les premiers chercheurs ont découvert que toutes les entreprises sont des systèmes chargés d’émotions. Frederick Winslow Taylor est né en 1865, il était le père du management scientifique. Il a constaté que l’ouvrier à qui on confiait des tâches insignifiantes était moins efficace. Taylor n’avait aucun moyen d’évaluer le niveau de stress des gens.

Les principes fondamentaux de Taylor : le principe du bon sens, une meilleure qualité, des coûts plus bas, des salaires plus élevés, une augmentation de la production, la collaboration entre patron et employé, des tâches et des objectifs clairement définis, un retour et un contrôle du travail effectué, une formation, une considération et un soutien réciproques, moins de stress, une sélection attentive et l’évolution du personnel. Il a été le premier à effectuer une étude systémique des interactions entre les conditions de travail, les outils, les méthodes et les capacités humaines pour faire cadrer l’emploi avec le profil de la personne et pour s’appuyer davantage sur les données et les faits au lieu d’écouter les préjugés, les jugements et l’intérêt personnel.

Deming a élargi le concept de Taylor en identifiant la crainte comme la cause majeure des problèmes au travail. Son approche systémique a connu le succès quand les gens ont fonctionné comme les membres d’une équipe et que le système ne s’est resserré que pour éviter les abus. Il fondait ses découvertes sur des statistiques neutres qui se focalisaient moins sur le top management. C’était pour lui plus une question de chance que de véritable compétence. Il estimait aussi que ces responsables recherchaient trop les traitements de faveur et c’était une source de tension pour le système. Son esprit scientifique lui a permis de démontrer par des outils statistiques le lien entre la régression de la peur et l’accroissement de la production. Il est à l’origine de l’apogée de l’industrie japonaise après la guerre.

Deming nous a laissé trois leçons très importantes : (1) Apaiser la crainte, (2) ne pas pénaliser l’individu si ses résultats sont mauvais mais reconsidérer son profil et (3) faire des essais en confiant à l’individu des missions variées.

Nous avons eu un autre maître de la sagesse après Deming. Chris Argyris voulait bâtir un système de feedback pour permettre aux gens de gérer intelligemment l’intensité émotionnelle entre collègues de travail.

Les entreprises qu’Argyris a rencontrées travaillaient déjà avec ce système mais l’objectif majeur était d’inciter les gens à étouffer les conflits et les émotions. Argyris savait que pour ceux qui pouvaient dépasser la « paix à tous prix », refouler les conflits et les émotions n’apporterait jamais de solutions rationnelles aux problèmes organisationnels. Cent ans plus tôt, Freud lui-même avait donné une mauvaise image de l’idée du refoulement, mais par sa dimension affective le refoulement vit encore. Argyris a donc élaboré un autre prototype de feed-back où les leaders intègrent les grandes difficultés à la réalité de la vie de l’entreprise. Il savait que ces difficultés devaient ressortir. Les leaders connaissent le coût à long terme des conflits refoulés et ils encouragent les gens à discuter des difficultés actuelles car c’est selon eux le seul moyen de trouver des solutions qui soient dictées par la réflexion et non par les émotions.

Je sais par expérience que peu de dirigeants sont prêts à adopter la méthode d’Argyris pour désenclaver le système parce qu’elle va à l’encontre de leur mode de fonctionnement défensif. Il dit ceci :

La plupart des êtres humains adoptent dès leur jeune âge une attitude défensive pour gérer les problèmes difficiles et « pernicieux » et améliorer la situation présente. Chris Argyris

Argyris avait également démontré comment nous élaborons souvent spontanément des règlements communautaires qui interdisent ou répriment toute remise en question. Mais il sait aussi que certains ne sont pas tombés dans le piège de l’aveuglement.

Les individus désireux de développer la pleine conscience sont soucieux d’apprendre par leurs erreurs, refusent de simplifier, regardent comment les choses fonctionnent et s’engagent à aller jusqu’au bout. Chris Argyris

Les subordonnés, la réactivité et la rationalisation

Les leaders légitimes aident à trouver des solutions davantage par leur attitude que par leurs actes. Les ordres des autres sont particulièrement dangereux tandis que les idées des autres peuvent parfois susciter d’autres réflexions. Une grande part du succès du dirigeant dépend de la manière dont il amène les gens à la réflexion au lieu de les réprimer, les contrôler ou réagir durement. Même les leaders charismatiques rencontrent des défis en amenant les autres à la réflexion au lieu de les obliger à suivre aveuglément. C’est autre chose quand les leaders veulent créer des dynamiques d’apprentissage dans leurs relations. Ils ont peut-être appris avec le temps à bien discerner l’environnement global. En outre, les gens ont une capacité incroyable à observer leurs réactions aux signaux du système relationnel.

Ces leaders élaborent des systèmes ouverts et calmes. Ils savent qu’un fonctionnement mature favorise un esprit coopératif. En promouvant les systèmes matures, on réduit la réactivité et le fonctionnement automatique. Si les membres du système s’efforcent en majorité d’être plus rationnels et respectueux les uns des autres, l’entreprise ne sera probablement pas dominée par la réactivité des supérieurs hiérarchiques et une approche rationnelle prévaudra.

Argyris proposait trois solutions pour réduire la crainte et développer la pensée rationnelle. Je les ai présentées sous forme de questions qui peuvent vous servir de tests d’évaluation de vos capacités dans ce domaine :
(1) Est-ce que j’encourage les gens à dire ce qu’ils savent mais n’osent pas dire ?
(2) Est-ce que je minimise ce qui pourrait dénaturer ou étouffer les faits?
(3) Est-ce que ma manière de défendre mes principes, mes valeurs et mes convictions encourage les autres à en faire autant ?

La crainte et la réponse au stress : fuir, se battre ou sceller des amitiés
Se peut-il que les gens qui travaillent dans des entreprises où règne la peur soient issus de familles insécures? Ce serait un bon thème de recherche. Nous savons bien que les gens peuvent se plier aux règles de l’entreprise comme dans l’expérience de la prison de Stanford et qu’ils peuvent arriver au travail avec leurs craintes et leurs soucis.

Si les chercheurs avaient contrôlé le taux de cortisol des gardiens de la prison de Stanford, ils auraient probablement découvert que ces « bourreaux » avaient un taux identique à celui des prisonniers car les uns comme les autres devaient remplir un rôle contre nature. Les « bourreaux» ont grandi dans cet esprit. Je ne pense pas sûre qu’ils réagissent au stress car la persécution leur est naturelle. D’autres peuvent devenir des monstres comme Philip Zombardo le démontre dans son livre The Lucifer Effect : Understanding How good PeopleTurn Evil.

Heureusement votre situation familiale n’a pas fait de vous de bourreaux. Mais on rencontre d’autres problèmes quand la famille estime que l’on a un grand potentiel.

Si les parents se font une fausse idée des capacités de leur enfant ou si celui-ci ne veut absolument pas devenir une star, chacun aura du mal à répondre aux attentes irréalistes. Mais si la motivation à réussir est profonde, c’est une toute autre histoire. En fait ce qui peut aussi caractériser un véritable leader, c’est sa réussite professionnelle même si on ne lui adresse guère de retour positif.

Les leaders hors ligne affrontent des temps et des sujets difficiles. On peut dire que la plupart des grands leaders ont du prendre du temps pour eux, surtout pour préparer de nouvelles stratégies ou quand ils ont rencontré de l’opposition. Le quatrième point de la boussole révèle l’importance d’avoir du temps pour soi. Hormis le stress occasionné par le leadership, un dirigeant a bien des raisons pour prendre du temps pour soi. Mais pour bien faire, il devrait utiliser ce temps à part pour mettre de l’ordre dans ses projets et dans ses sentiments afin de faire clairement partager ses problèmes.

Imaginez qu’un jour la direction des ressources humaines demande aux postulants de raconter leur histoire afin d’identifier le meilleur profil pour la société. C’est un domaine auquel les ressources humaines et les consultants refusent de toucher. Après tout, notre histoire familiale est privée. C’est donc à nous de prendre conscience de l’action réciproque de notre vie personnelle sur l’entreprise où nous travaillons. C’est notre responsabilité d’identifier le type de groupe que nous rejoignons, la manière dont ces relations affecteront notre état émotionnel et comment nous gèrerons le stress si besoin en nous liant d’amitié au lieu de fuir ou d’agir brutalement.

Contrairement à la réaction combat fuite qui incite à lutter contre un danger ou à le fuir selon les circonstances, la notion de soin et d’amitié consiste à prendre soin des enfants et à rechercher la compagnie d’autres femmes pendant les périodes de stress pour accroître l’espérance de vie. Etant donné qu’un groupe est mieux armé pour combattre le stress qu’une personne seule, cette réaction est un mécanisme de protection pour les femmes et leurs enfants. L’amitié entre femmes est fondamentale à la protection des enfants car la grossesse et l’allaitement les exposent davantage au danger que les menaces extérieures. Les liens que la femme tisse lui assurent non seulement une plus grande protection et une aide pour élever ses enfants mais aussi le logement et la nourriture. Bien que les dangers évoqués soient extérieurs à l’environnement familial, l’amitié entre femmes les protège des hommes même dans le cadre domestique.

Parfois, nous ne pouvons pas être aussi prudents ou sélectifs par rapport à notre travail. Il nous faut travailler et nous n’avons pas toujours le choix du lieu. Nous pouvons « voir » dans ce cas comment nos dynamiques familiales participent à notre contrariété au travail. Nous pourrons ainsi prendre du recul et réduire notre stress.

Voici des questions qui peuvent vous aider à prendre la situation dans une dimension plus large.
Dans quels domaines sommes-nous trop réactifs ?
Nous a-t-on trop appris à agir dans l’instant ?
L’urgence est-elle illusoire ?
Il est souvent utile d’avoir un regard plus neutre sur sa situation avant d’agir. Il est évident qu’on peut avoir du mal à fonctionner autrement dans les entreprises. Mais il ne faut pas oublier de passer outre les réactions de crainte et de se calmer en construisant des relations solides.

Le célèbre Fredrick Taylor a rencontré une telle opposition dans son travail qu’il a démissionné de son poste de consultant. Les gens ne voulaient absolument pas voir le rapport qu’on pouvait établir entre une chose et une autre (le processus), mais seulement leur lien de cause à effet. Il a donc démissionné.

Oui, les gens solides et intelligents se heurtent à la peur dans les entreprises, et plus ils essaient d’embarquer les autres à bord du « train de la solution », plus ces derniers reculent et plus les dirigeants s’épuisent.

Si même des leaders comme Fredrick Taylor ont du quitter l’entreprise parce qu’ils avaient une solution mieux adaptée que le groupe refusait de mettre en œuvre, c’est quelque chose qui peut arriver à tout le monde. Si cela vous arrive, vous aurez le choix de rester et livrer bataille ou d’attendre dans les coulisses un moment plus propice pur soumettre vos idées. Mais les deux attitudes sont des occasions de stress. Il faut donc espérer que vos décisions se fondent sur vos principes plutôt que sur votre bien-être.

Un bon leader doit bien comprendre comment se positionner pour apporter un plus. Dans ce processus qui associe la gestion du soi dans la relation à l’autre, les leaders ont largement leur part de stress. Si c’est vous qui dirigez, très peu de gens comprendront ce que vous faîtes ou ce que vous voulez réaliser. Les leaders ne sont pas souvent appréciés à leur juste valeur et ils sont souvent sous la contrainte.

Il y a tant de manières de gérer le stress et les conflits
Beaucoup réfléchissent à la manière dont le stress affecte la façon d’agir dans l’entreprise. Mark Gerzon, par exemple, fait tout son possible pour trouver comment modérer la peur et les conflits sérieux dans les entreprises. Dans son livre Leading through Conflict, il dit que toute famille ou toute organisation traverse des conflits. Le leader est devant trois alternatives : être le manager qui s’assimile de manière exagérée et se polarise sur sa fonction, le démagogue qui ne fait pas attention au groupe mais qui veut garder le monopole, et le médiateur qui est parfaitement lucide. Celui-ci est suffisamment mature pour détecter les manipulations et avoir conscience que sa mission principale est de savoir prendre en charge les situations difficiles.

Les deux premières catégories de leaders, le manager et le démagogue (qui sont en chacun de nous) s’appuient sur la peur des différences pour renforcer leur autorité. Diviser pour régner, c’est une stratégie qui fait partie de notre faiblesse biologique et c’est un autre raccourci mental. Les leaders malhonnêtes emploient souvent des raccourcis mentaux à des fins manipulatrices, sachez le ! Dés que vous entrez dans un système de commérages et d’accusations, on vous poussera à prendre partie, à moins que vous puissiez faire des commentaires objectifs pour tenir en échec les médisants et vous protéger.

Gerzon témoigne de l’incroyable puissance qui se manifeste lorsqu’un leader veille à respecter les autres individus dans un climat d’hostilité. Il fait remarquer également que les conflits peuvent nous rendre malades, alors munissez-vous de votre super kit pratique pour faire baisser votre stress quand vous rejoignez un système conflictuel. Si vous êtes consultant, vous pouvez vous dire avec humour « Reste calme, garde ton sang-froid, sois sensé, détends-toi un peu et sois lucide… ça va s’arranger. »

Nous voyons petit à petit dans la presse populaire les nouvelles théories sur le management qui se penchent sur le problème du stress. Dans un article du magazine Business Week, les auteurs évoquent un autre combat contre les mécanismes de pensée et de réaction. Ils parlent du message de Swami Parthasarathy qui est en train de moderniser une ancienne école de philosophie Hindou. Parthasarathy est maintenant âgé de quatre vingts ans mais il continue à répandre dans le monde entier les clés d’un meilleur leadership. Ces clés sont la détermination individuelle à embrasser les valeurs du passé bien établies et qui ont fait leurs preuves. Selon Parthasarathy, tout est une question de « …concentration, cohérence et collaboration…Vous réussirez dans les affaires si vous développez votre intellect qui contrôle votre esprit et votre corps. »

C’est une citation tirée d’un exposé de Parthasarathy à Wharton School sur la maîtrise de nos pensées. Il propose une réponse facile mais qui impose une discipline difficile à atteindre et qui anime des objectifs non exprimés. Chaque génération trouvera probablement de plus en plus de techniques pour réaliser ces objectifs. Et pendant une conférence au siège de Lehman Brothers Inc à Manhattan, un jeune investisseur voulait savoir comment s’y prendre avec ses collègues qui l’importunaient. Chassez-les de vos pensées, lui conseilla Parthasarathy. « Vous êtes l’artisan de votre malheur, dit-il, mais vous êtes aussi l’artisan de votre bonheur. »

Recâbler les dynamiques relationnelles
Le savoir faire relationnel en tête et la boussole de l’attention en mains, vous ne serez peut-être pas obligés d’éviter les collègues qui vous importunent car vous aurez d’autres alternatives. En observant votre histoire relationnelle, vous découvrirez les effets de vos anciens schémas sur votre sensibilité. Pour recâbler ces schémas dans votre esprit, vous avez besoin de vous « entraîner » dans des relations où vous pourrez définir votre identité. Et vous verrez votre mode de fonctionnement s’améliorer avec le temps. On ne progresse pas en évitant les collègues, mais si nous gérons les effets que les messages ont produit sur nous en nous calmant et en réfléchissant encore pour apprendre à mieux fonctionner, les choses changeront. Les gens ont du mal à se rappeler de tous les modes de communication à leur disposition: la respiration, le langage du corps et enfin la parole.

Nous avons beaucoup de réponses inconscientes auxquelles nous ne réfléchissons pas. C’est un fait. Mais ce n’est pas toujours une bonne chose. Si par contre nous construisons notre boussole, nous pourrons mieux discerner le moment où nous commençons à nous prêter à des pensées et des réactions inconscientes. Cette sensibilisation devrait nous permettre avant d’agir de réfléchir attentivement à la voie que nous prenons et aux effets que nous exerçons sur les autres. C’est le moins qu’on puisse attendre d’un leader.
Tous les grands leaders ont partagé la même particularité: leur détermination à confronter sans équivoque la grande anxiété de leurs subordonnés. C’est l’essence même du leadership. John Kenneth Galbraith

Le meilleur mode de fonctionnement possible dans un système émotionnel
Les hommes et les animaux ont tous deux besoin du groupe social avec ses points positifs et ses points négatifs. Et ils affrontent tous deux des épreuves pour gérer le stress et les tensions des relations sociales. Mais les hommes sont les seules créatures qui ne se content pas d’essayer de survivre. Nous avons une tendance naturelle à trouver un sens à ce que nous faisons et ce que nous appelons liberté.

Les recherches ont prouvé que les individus issus de familles qui entretiennent de bonnes relations sur au moins trois générations et qui sont ouvertes au monde ont un mode de fonctionnement plus autonome.

Quand les familles surprotègent leurs membres, ont des attentes irréalistes par rapport à leurs compétences et leurs intérêts et se caractérisent par de grandes distances entre eux, les individus qui en sont issus semblent hériter du plus grand pourcentage de problèmes relationnels. La prise de distance dont il s’agit ici ne se mesure pas en kilomètres, mais relève du domaine des émotions.

Dans les familles plus matures, on a davantage d’égards pour les autres. On se prête moins à la critique, la condamnation ou l’agression. On recherche moins l’approbation de l’autre et les manoeuvres défensives pour trouver un arrangement. On tombe moins dans les mécanismes de prise de distance, querelle, maladie ou fuite. Mais même les membres des familles les plus matures n’atteignent un idéal qui reste hypothétique et recherchent toujours un peu l’approbation et l’attention de l’autre. La dépendance aux autres engendre le ressentiment et chacun finit par empiéter sur l’autre en cherchant à le manipuler et à réduire au minimum son mal être personnel. Mais tout ceci est bien sûr inconscient.

Prenez un couple en situation conflictuelle. Leur bonheur peut tellement dépendre de l’autre qu’ils ne tolèrent pratiquement aucune différence. Ils réagissent aussitôt par le conflit conjugal ou la prise de distance. Ils rejettent souvent chez l’autre le comportement qu’ils ont provoqué.

C’est la même chose dans le cadre professionnel. La dépendance s’installe quand on a besoin de faire faire un travail. Dès que la pression et le stress montent, le patron et ses subordonnés commencent à se lancer des reproches et à se rejeter la responsabilité. C’est la porte ouverte à toutes sortes de messages confus et de cancans. (Comment soupçonnerions-nous le stress sans les cancans ?)

Les tempêtes font partie de la vie, et nous aurons toujours cette première réaction de peur aux premiers signes de la tempête, que ce soit à la maison ou au travail. Quand elle fait vraiment rage, elle soulève tellement de conflits et de malentendus que personne n’est capable de voir sa part de contribution au problème. C’est pourquoi on a tant de mal à prendre la décision de se mettre à l’écart et de réfléchir à sa part de responsabilité dans le conflit. C’est là que le leader devrait intervenir.

Celui qui est prêt à porter un regard objectif sur sa façon d’agir sans rejeter la faute sur l’autre pourra surmonter ces crises conflictuelles presque parfaites. Il faut que quelqu’un, en l’occurrence le leader, sache apaiser son stress. Chose étonnante, s’il y parvient, le niveau de stress de son entourage risque fort de baisser aussi. Sinon, les autres seront incapables de voir ce qui se passe et rien ne changera vraiment.

Quand on sort de la tempête, le ciel s’éclaircit, les eaux se calment et le respect s’installe dans les relations. Celui qui peut considérer pendant la tempête la situation dans son ensemble et rester soi-même, c’est le leader. Il voit comment la famille ou la situation sociale génère la pression et comment elle contraint les autres à se résigner à une décision ou à réagir de façon négative. Les leaders courageux peuvent prendre position, corriger le tir et laisser le bateau repartir en toute sécurité.

Engager sa famille et construire une fermeté émotionnelle
La plupart des gens n’apprennent pas suffisamment dans leurs familles à aborder le stress, à traiter avec les autorités et à devenir des observateurs objectifs et autonomes. Souvent les gens n’ont pas découvert grand-chose dans leur enfance, ils ont donc du mal à croire qu’ils doivent se réengager dans leurs familles pour améliorer ces compétences. C’est vrai même si ceux qui connaissent bien la thérapie familiale savent depuis plus de quarante ans que le réengagement est un chemin qui a fait ses preuves à travers la jungle relationnelle.

En apprenant à mieux se connaître et à mieux connaître sa famille, on acquiert une plus grande fermeté émotionnelle. Cette fermeté vous encouragera à prendre davantage position au travail. Ce n’est pas un jeu d’enfants mais ça nous permet de mieux voir nos réactions puériles. Tout le monde peut le faire. Allez chez vous et prenez position sur quelque chose qui compte beaucoup pour vous et que les autres ne comprennent pas et notez ce qui se passe. C’est dans votre famille que vous pouvez vous « entraîner » à être moins réactif et moins critique vis-à-vis des autres et de vous-mêmes. Et qui sait, peut-être allez-vous vous amuser en découvrant quelque histoire secrète de cet « oncle bon à rien ».

Quand on quitte la maison, on doit trouver le moyen de gérer les tensions de la vie en dehors du soutien et de l’amour du cocon familial. Il est certain que tout le monde n’a pas connu l’amour dans sa famille et que l’approbation a pu être conditionnelle. C’est néanmoins un travail capital de gérer nos réactions aux autres et surtout à ceux qui nous rappellent nos fichus frères et sœurs, nos parents ou cet oncle bon à rien qui nous énervait tant. Nous pouvons avoir autant de mal à découvrir et à comprendre l’histoire des sociétés où nous travaillons que les relations tri générationnelles dans nos familles. Il est possible de commencer à développer sa conscience et ses capacités relationnelles n’importe où, mais beaucoup auront besoin d’un projet précis. Nous aurons besoin d’aide pour comprendre les effets des relations sur nous et pour prendre conscience du passé. La première ouverture a été pour moi la rédaction de mon journal qui permettait à mon cerveau de lire mon histoire. Les effets des relations sur moi ne se limitaient plus au ressenti mais prenaient une dimension plus objective.

Ecrire son journal et recâbler son cerveau
La vie est souvent déroutante. Et nos cerveaux sont incapables d’évoquer le passé en toute objectivité, comme si nous avions placé une caméra de cinéma pour reconstituer les faits. Comment faire donc pour mieux comprendre les effets que nos relations et nos souvenirs ont produits sur nous ?

On peut se demander : (1) Qu’est-ce qui me perturbe actuellement? (2) Comment apprendre à analyser ce qui se passe sans trop d’appréhension? (3) Comment mieux discerner l’influence que j’exerce sur les autres ? (4) Quand ma réflexion rationnelle et objective cède-t-elle à mon besoin d’amour et d’approbation de l’autre ?

L’histoire de notre jeunesse peut ressembler ensuite davantage à un rêve qu’à un voyage bien organisé et bien réel. Le système émotionnel de notre cerveau a choisi les évènements importants qu’il devait prendre en compte ou éliminer. Les plus anodins ne sont pas assez chargés d’émotions pour informer le cerveau de les souligner et de les garder en mémoire. Si on retient un moment, c’est déjà qu’il est spécial ou tout au moins assez particulier pour mériter d’être approfondi. Le cerveau humain est une machine qui apprend. Les émotions et les sentiments sont une indication du cerveau que nous devons noter.

Si vous essayez de rédiger votre journal, vous pouvez examiner votre histoire comme vous le feriez pour n’importe quel dirigeant. Vous avez déjà lu l’histoire de plusieurs leaders et vous avez vu comment ils ont fait face aux évènements de leur vie. Qu’ils vous aient plu ou pas, la question est de savoir si leur histoire vous a touché. Si oui, vous êtes certainement en train d’apprendre quelque chose d’important et que votre cerveau veut vous révéler.

Je pense que vous voyez maintenant tous les obstacles que doit surmonter votre cerveau pour trouver et adopter d’autres façons de penser. Si ce ne sont pas nos cerveaux mensongers qui nous trompent, ce seront peut être nos réactions instinctives invétérées à ceux qui ont besoin de nous. Ces réactions réflexes à ceux qui comptent pour nous peuvent passer outre nos objectifs personnels. Nous pouvons nous féliciter que nos cerveaux reçoivent les histoires (y compris la nôtre) comme un moyen de discerner les processus relationnels cachés.

Mais il ne suffit pas simplement de raconter son histoire pour devenir un individu qui fonctionne de lui-même de manière autonome car on peut passer sa vie à tourner en rond en ruminant le passé. Ceux qui réfléchissent cessent de reproduire les mêmes erreurs.

Une grande partie de notre mode de fonctionnement que nous partageons avec les autres mammifères s’est façonnée au cours des millions d’années de sélection naturelle. Les animaux peuvent aussi réfléchir, peut-être au labyrinthe qu’ils viennent de parcourir, parce qu’ils apprennent aussi par expérience. Mais ils ne réfléchissent peut-être que pour trouver à manger au plus vite alors que l’homme prétend à un niveau de réflexion plus élevé.

Au début de cette année, le Docteur Wilson rapportait que les rats qui avaient parcouru le labyrinthe repassaient ensuite leur itinéraire dans leur tête pour bien s’en souvenir mais en sens inverse. Ces rapides retours en arrière ne représentaient qu’une part infime du temps réel du trajet. Ces recherches ont prouvé l’activité du néocortex, confirmant que les rats font des rêves imagés comme les hommes, ce dont doutaient certains chercheurs.

Ce qui change tout, c’est que nous pouvons prendre un carnet de bord pour décrire nos relations et notre existence. Il nous aide à bien comprendre notre vie et à réorganiser nos souvenirs. Oui, nos souvenirs sont imparfaits. Premièrement, nous avons une mémoire à court terme limitée. La mémoire à long terme traite surtout les informations « importantes ». On s’intéresse davantage à ce qui a un sens. Nous gardons d’un souvenir ce qui a un sens pour nous actuellement. Nous devons faire un effort pour mémoriser des faits. Par contre nous nous souvenons très bien de notre état affectif au moment où l’incident s’est produit. C’est ce qui nous a marqué et c’est pourquoi nous nous en souvenons.

Nous nous imaginons souvent que nous sommes impartiaux. On a souvent besoin de quelqu’un pour remettre en question nos suppositions. Je me suis souvent demandée pourquoi les souvenirs variaient autant au sein des familles que je recevais en entretien thérapeutique. J’ai compris au bout de quelque temps que chacun voit les choses à sa manière. J’ai failli écrire « de sa prison », car on n’en est pas très loin parfois. Le stress augmente notre négativisme et nous enferme dans une optique étroite et réduite par nos œillères relationnelles.

En rédigeant notre journal, nous découvrons comment nous nous sommes forgé une existence personnelle plus ou moins réelle. En commençant à écrire et à lire nos réflexions, nous pouvons commencer à comprendre à quoi nous sommes devenus dépendants. Un exemple : Pensez à tous les « tu devrais » que vous avez entendus dans votre enfance. Combien de fois avez-vous estimé devoir y répondre ? Quels effets ces contraintes ont-elles produits sur votre vie ?

Certains de nos impératifs profonds dépendent souvent des obligations du « tu devrais » de nos souvenirs. Par exemple, votre besoin vital de nourriture pourrait bien s’accompagner d’un « tu devrais » qui résonne un peu comme lorsque votre mère vous disait de manger vos légumes. Ce peut être aussi « il ne faut pas » : « Arrête de manger, tu es déjà trop gros ». La manière dont vous réagissez au besoin vital de nourriture détermine votre manière de réagir aux ordres des autres et votre impact sur votre entourage.

En rédigeant notre journal, nous pouvons percevoir différemment notre manière de réagir aux autres et au monde. Et mes années d’expérience m’ont montré qu’en écoutant les autres raconter leur histoire, nous pouvons faire remonter à notre mémoire des souvenirs d’évènements similaires que nous avions enfouis. C’est une occasion à saisir. Nous pouvons intégrer ces anciens souvenirs dans nos concepts actuels et donner ainsi un sens plus profond à notre existence passée, présente et future. La méditation et les différentes formes de visualisation prouvent aussi que nous pouvons recréer des émotions utiles et même activer les neurones moteurs de notre cerveau en associant nos souvenirs et nos objectifs pour mener à bien nos projets.
Votre cheminement vers le leadership est déterminé en partie par les autres et par la manière dont vous avez réagi. Vous pouvez choisir d’évoquer ces expériences et de vous demander si vous devez continuer à laisser ces anciens automatismes émotionnels vous influencer dans votre position de dirigeant. Ce sont des manières d’être instinctives : la façon dont vous entrez dans une pièce, où vous vous placez, à qui vous parlez et quand, les questions que vous posez et les réponses que vous donnez. J’oserais dire qu’un automatisme émotionnel courant consiste à exclure les gens qui nous remettent en question. En fait, si quelque chose ne va pas avec quelqu’un, on coupe la relation. (C’est vrai dans les familles mais aussi dans le cadre professionnel).

L’ouvrage de James Pennebaker, Open Up : The Healing Power of Expressing Emotions, démontre que la rédaction de notre journal est une sorte de feed-back qui nous ouvre de nouvelles perspectives. Pennebaker est actuellement à l’Université du Texas à Austin où il examine les liens entre les expériences traumatisantes, l’expression écrite personnelle, nos propres mots de tous les jours et la santé mentale et physique. Ses découvertes prouvent qu’on peut améliorer sa santé physique et sa réussite professionnelle par l’écriture et/ou des exercices de langage Les recherches se concentrent sur la nature du langage et de l’émotion dans le monde actuel. On a pu mettre en relief le fait que les gens emploient les mots qui reflètent précisément leur personnalité et leur univers social précis.

Si vous voulez vous plonger dans la lecture des journaux intimes, vous avez du choix. Les plus anciens nous viennent des cultures d’Asie de l’Est et remontent au neuvième siècle. Ils rassemblent l’ouvrage des Japonaises du palais et le journal de Li AO (772-836). Il y raconte ses voyages à travers la Chine du Sud. Ses réflexions dans son essai « On returning to One’s True Nature » (Le retour à la nature essentielle) font de lui le pionnier du néo-confucianisme. Freud disait que passer cinq minutes par jour à mettre sa vie par écrit est le meilleur moyen pour apprendre à se connaître. Mais c’est Carl Jung qui a insisté sur l’importance de tenir son journal. On peut citer aussi le psychothérapeute Américain Ira Progoff (The Intensive Journal Method) et Anaïs Nin écrivain et auteur de « The Early Diaries of Anais Nin » (Le journal d’enfance d’Anaïs Nin).

Nous pouvons apprendre à mieux nous connaître et à devenir des êtres plus forts et plus autonomes en évoquant notre histoire, en écoutant celle des autres, en faisant des séances de neurofeedback ou en rédigeant notre journal. Nous serons également plus compréhensifs envers les autres et moins critiques à leur égard. En retour, nous vivrons mieux la situation présente et serons plus à l’aise pour écouter. Nous observerons également une certaine homogénéité quand le passé et le futur se confondent : écouter et se souvenir, se souvenir et écouter, et surtout vivre dans le présent.

La motivation et l’influence des autres
Vous avez probablement entendu ou lu des histoires de personnes qu’on a aidés et encouragés à un certain moment de leur vie et qui veulent maintenant rendre la pareille. La manière dont on nous a traités a des répercussions considérables sur nous. Il est important maintenant que nous en prenions conscience et que nous déterminions ce qui est raisonnable pour la suite. Notre passé influencera inévitablement notre avenir tant que nous n’aurons pas fait de sérieux efforts pour construire sur nos capacités relationnelles et pour reconnaître nos faiblesses. Comment faire la distinction entre une habitude affective et une réaction sensée à une situation présente ?

La mémoire et la motivation sont essentielles à l’élaboration de cet avenir plus favorable. La mémoire vous éclaire sur votre passé (ce dont vous vous souvenez) et votre futur (comment vous le concevez en fonction de vos souvenirs du passé). Et vos souvenirs déterminent la perception que vous avez de votre environnement immédiat.

Réfléchissons à l’histoire du chien qui s’est coincé la queue dans une porte à double battant en visitant un voisin sympathique. Son maître a constaté ensuite qu’il ne voulait plus s’approcher de cette maudite porte. Il refusait même de longer le même côté de la rue. L’incident commençait à lui dicter sa façon d’agir. Cette histoire amusante (ou triste) montre comment le chien est devenu prisonnier de sa réaction excessive. Il a été très affecté par cet incident. Mais comment son maître a-t-il réagi ? A t-il fouetté le chien pour l’obliger à franchir cette porte ou a-t-il été compréhensif ? A-t-il pris des mesures appropriées, peut-être avec une carotte ou un bâton plus souple ?

Transposons maintenant cette histoire dans le cadre professionnel. Connaissez-vous des gens qui ont vécu de mauvaises expériences au travail et qui ne sont pas très heureux d’y retourner ? Et vous imaginez bien que ceux qui battent leur chien ne sont pas les meilleurs maîtres.

Nous avons abordé comment y voir clair dans nos souvenirs. Il existe d’autres méthodes comme le neurofeedback qui exigent l’aide d’un praticien. On peut tout revivre par le souvenir. Mais pour que nos souvenirs nous aident à surmonter ou à bénéficier des erreurs passées, nous devons trouver des moyens pour les « observer ». Nous pouvons par exemple rédiger notre journal ou faire des séances de neurofeedback. Le neurofeedback nous permet de nous libérer de nos « mauvaises » expériences en restant passifs. Les documentations sur le stress post traumatique et le neurofeedback indiquent par exemple que les gens accèdent plus facilement à leurs souvenirs douloureux « oubliés » quand ils sont en état de relaxation et que les ondes alpha prédominent. Certains praticiens du neurofeedback comme Val Brown dont j’utilise le matériel sont persuadés qu’en rééquilibrant le cerveau droit et le cerveau gauche, l’individu retrouvera un équilibre.

L’aveuglement psychologique et la capacité de voir au milieu de la jungle
Cela ne fait aucun doute que nous nous enseignons mutuellement sans le savoir. Que se passe-t-il quand nous nous rencontrons ? Pour prendre conscience du processus d’apprentissage, nous devons être objectifs, capables de suspendre notre jugement et de ne pas oublier ce que nous observons. Nous élaborerons alors une dynamique d’apprentissage où nous écouterons, observerons et apprendrons en étant moins sur la défensive. Nous avons besoin de nous remémorer quelques limites pour devenir un bon observateur. Il est trop facile de prendre pour parole d’évangile notre réaction à ce que nous voyons et ressentons. Quand le stress m’envahit, je me demande :
(1) Est-ce que je considère les autres comme des êtres fondamentalement distincts de moi ?
(2) Mes réactions me sont-elles dictées par mes émotions ou par ma réflexion ?
(3) Puis-je aborder tous les sujets avec ceux qui comptent le plus pour moi ?

Certains voient dans ces questions un moyen d’auto observation. Votre capacité à vous détacher du tourbillon émotionnel de la vie vous permet d’échapper à l’aveuglement psychologique pour avoir un jugement pertinent. Sinon, vos réactions spontanées risquent de fausser votre vision des autres. C’est un mécanisme profondément enraciné dans notre humanité. Mais si vous l’identifiez, vous développerez l’objectivité nécessaire pour cesser de cataloguer systématiquement les autres de pauvres types ou de héros.

Ce qu’on peut faire pour écouter au milieu de situations difficiles
Quand vous dialoguez avec quelqu’un, soyez attentif à vos remarques car elles sont révélatrices de votre appréciation de la pensée de l’autre.

• Observez les effets que la réflexion de l’autre produit sur vous.
• Regardez comment votre complicité même passagère avec l’autre risque d’influencer votre/son fonctionnement ultérieur.
• Créez une dynamique d’apprentissage en guettant le « je ». (Voici ce que je ferai, ou voici ce que je ne ferai pas. »)

Imaginez que vous recevez en entretien quelqu’un qui a des difficultés dans son travail. En tant que thérapeute, j’essaie en ce cas de ne pas m’impliquer verbalement. Je compte le nombre de « je » et de « tu ». Il est si facile de dicter aux autres quoi faire pour régler le problème et réduire la contrariété. Mais il est préférable de rester à l’écoute, disponible et mature. Quand on se détache des gens en quête d’approbation, on provoque une certaine tension. Cette tension stimule de part et d’autre la réflexion et la prise de responsabilité personnelle. Ce n’est pas très confortable mais c’est la bonne direction pour garder son intégrité dans une relation proche. J’ai constaté à maintes reprises que si je peux être moi-même tout en restant engagé dans ma relation à l’autre, celui-ci est mieux équipé pour assumer ses responsabilités et trouver une issue positive pour lui-même.

Vous pouvez voir à travers l’histoire du passé de la personne combien les acteurs et les évènements influencent encore ses décisions actuelles. C’est la même chose au niveau de l’entreprise. Vous entendrez souvent que le présent n’est qu’une ombre des décisions passées. J’ai entendu si souvent ce genre de remarques qu’elles sont pour moi des échappatoires à ses responsabilités. Ca se passe comme ça dans notre entreprise … nous faisons comme ça dans cette société….Il n’y a pas de place pour les différences ici… Faîtes avec pour que tout se passe bien…C’est ce qu’il vous faut ; vous devez, vous devrez, vous devriez faire comme ça.

C’est si vite fait. On « fusionne » si vite avec les autres. Que la conversation tourne autour du budget, de celui qui sera élu, ou de ceux qu’on invite à dîner, il faut faire beaucoup d’efforts pour éviter la complicité. La complicité est au service de la fusion. Rappelez-vous ce qui se passe quand deux cellules ne font qu’une. C’est la même chose chez les humains. Vous savez, quand deux cœurs battent à l’unisson, comment l’un d’eux devient-il un peu plus autonome ?

C’est le thème du film humoristique de Woody Allen, Zelig, qui est sorti en 1983. Le personnage principal a tellement peur de ne pas pouvoir s’intégrer à son entourage qu’il fusionne littéralement. Il n’y a pas de place pour l’autonomie. Il est à côté d’un Chinois et il devient Chinois. Il discute avec des médecins t le voilà médecin. Il est à côté d’un homme qui a de l’embonpoint et, vous avez compris, il devient obèse !

La fusion verbale mène au désarroi
Ce n’est pas difficile d’être du même avis que l’autre et de ne pas le contredire, surtout s’il s’agit d’un patron particulièrement exigeant. Mais si vous voulez encourager vos subordonnés à rester autonomes, vous devez proposer des ouvertures. Vous pouvez dire simplement : « On se voit dans votre bureau ou dans le mien ? » au lieu de « Rendez-vous dans la salle de conférence dans 10 minutes. »

Vous aurez des réactions diverses. Si les gens n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent, vous entendrez des réflexions et des jugements habiles, et peut-être quelques vérités un peu brutales mais qui ont du bon.

Les gens responsables ne se prêtent pas à la critique. Ils ne rejettent pas la faute sur l’autre mais disent plutôt « Je prendrai telle direction et non telle autre», ou « On apprécie vos compétences et j’aimerais vous proposer telle ou telle opportunité», ou « Je fais ce travail, autant le faire bien pour qu’il soit rentable », ou « Je dois gérer ces relations difficiles et il me suffira sans doute de tenir bon », ou encore « Je dois trouver le courage de dire « je ne peux pas faire ça. »

Les gens qui peuvent faire ces formulations à la première personne ont acquis confiance en soi et autonomie dans leurs relations avec leurs proches.

D’un autre côté on peut aussi apprendre à fonctionner de soi-même si on a eu des relations difficiles et même négatives avec ses proches. On tire ses propres conclusions « J’agirai comme ci parce que tu as agi comme ça. » On est suffisamment lucide pour ne pas reproduire le passé. On a vu ce qui ne marchait pas et on a trouvé comment rester différencié sans critiquer les autres.

Nous côtoyons souvent ces deux milieux. Certains se compliquent la vie tandis que d’autres se la simplifient. Les deux ont leur place.

Vous constaterez en écoutant leur histoire que certains luttent encore contre leurs tendances naturelles, la rébellion contre les figures d’autorité par exemple. Ou encore le besoin de travailler dur par égard pour les deux femmes sympathiques qui leur rappellent leur mère. Et puis il y a toujours le problème de la séduction au travail. On peut prendre conscience aussi de sa méfiance à l’égard de l’autorité à cause de la manière dont elle s’exerçait dans la famille. On peut encore être piqué à vif par la critique parce qu’on n’a pas reçu le soutien de sa famille et que, quoi qu’on fasse, on était toujours critiqué. La critique est un processus sournois qui peut pousser ceux qui réussissent brillamment à se surpasser encore parce qu’ils courent après cette reconnaissance qu’ils n’ont jamais reçue.

Même si vous pouvez saisir le cœur de l’histoire d’un individu, n’oubliez pas que l’essentiel c’est votre manière de diriger et votre compréhension de l’autre. Mais comment réunir des informations profondes sur les autres ?

Nos précieux cerveaux s’organisent autour d’indices sociaux qui peuvent nous conduire sur la voie constructive et rationnelle de la sagesse ou sur la voie critique, réactive et émotionnelle du jugement de l’autre. Le choix vous appartient.

Aller à l’encontre du groupe : les expériences de Berns, Taylor et Fiske
J’espère que les exemples ci-dessus vous ont alertés sur la pression du groupe. Sinon, examinons les recherches effectuées sur l’influence sociale. Le groupe social peut exercer une telle influence sur notre cerveau qu’il nous faudra moins d’une seconde pour être incapables d’évaluer quelque chose d’aussi simple que la longueur d’une ligne. Si vous relâchez un instant votre vigilance pour vous intégrer et vous faire apprécier des autres, votre nature humaine est à découvert.

Dans un chapitre précédent, nous avons vu comment les recherches de Salomon Asch mentionnaient dans les années 1950 le danger, même chez les gens « normaux », de faire partie d’un groupe social. Gregory Berns, un psychiatre de l’Université d’Emory à Atlanta, a découvert en 2004 avec l’imagerie par résonance magnétique la partie précise du cerveau qui reçoit et traite les effets produits par le groupe. Il a mis en évidence les régions du cerveau qui sont en activité quand on effectue des tâches mentales et qu’on est donc sujet à la pression sociale. Il y a quelque chose d’inquiétant dans sa découverte : presque la moitié du temps, la moyenne des participants acceptaient la mauvaise réponse. Et ce ne sont pas leurs amis, leur famille ou leurs bien-aimés qui l’avaient proposée, mais ceux qu’ils venaient de rencontrer une heure plus tôt.

Voici un extrait de cette étude : Les gens qui n’étaient pas d’accord avec le groupe ont développé une accélération de l’amygdale droit et du noyau caudé, les centres des émotions. Nous avons tendance à surestimer l’importance des informations dont nous disposons.
Beaucoup de recherches sont encore en cours à l’heure actuelle sur le sujet. Dans une expérience de S.E. Taylor et S.T. Fiske, deux personnes discutent assises face à face tandis que les autres forment un cercle autour. On demande ensuite à ces derniers qui est responsable des incidents survenus pendant le dialogue entre les deux personnes. On découvre avec surprise que ceux qui étaient en cercle ont accusé la personne dont ils voyaient le mieux le visage.

Ces expériences révèlent les fragilités des relations sociales : Elles peuvent nous faire douter de nos opinions et même de nos perceptions. Et elles nous poussent à surévaluer certaines personnes pour des raisons peu évidentes.

Peut-on surévaluer les opinions de quelqu’un simplement parce qu’on voit son visage ? Je pense que nous pouvons en faire bon ou mauvais usage. Pensez aux prêtres, aux enseignants, aux prédicateurs, aux thérapeutes, aux médecins, au patron, à l’enfant qui pleure. Tous passent un certain temps en face de nous à nous montrer leur visage tandis que nous les écoutons patiemment.

Résumé : La pression, le stress et l’émergence de la pleine conscience
La théorie de Bowen appelle cette force qui nous pousse à nous rallier au groupe sans raison logique la « force de cohésion ». Chaque groupe social exerce une pression pour maintenir une cohésion. Chaque famille nucléaire a son ensemble de règles en fonction des influences des générations passées qu’elle estime positives ou négatives et une certaine conscience du paysage changeant de son époque. Les familles s’organisent peut-être pour faire respecter les bonnes manières et se battre pour une meilleure éducation, mais les influences plus subtiles qui se cachent derrière la capacité des individus à être plus ouverts et moins réactifs restent méconnues. Les ouvrages de psychothérapie familiale révèlent qu’une pression trop forte peut entraîner l’apparition de symptômes comme l’excès de soumission, la prise de distance, le conflit ou la maladie de certains membres.

On observe de plus en plus souvent les effets produits par une situation de stress au travail sur l’individu et/ou sa famille. La jungle relationnelle est jonchée de tentations pour nous détourner de notre trajectoire. Si nous sommes conscients de notre capacité à définir notre identité et les stratagèmes des gens qui ont besoin de proximité, nous saurons nous affirmer dans un environnement en évolution.

Ce n’est pas la peine de trop vous inquiéter pour l’état du monde actuel. La nature a ses méthodes qui ont fait leurs preuves pendant des millions d’années. Oui, nous changeons souvent d’avis quand on nous pousse à faire quelque chose pour quelqu’un. Mais si nous sommes conscients de ces tentatives plus ou moins subtiles pour nous influencer dans notre entourage, nous risquons moins d’être victimes de notre groupe social.

Vous préserverez peut-être votre identité et votre capacité d’analyse et de remise en question dans les relations sociales. Ceci est très important car (1) nous vivons dans les relations (2) la façon dont nous gérons notre soi dans les relations est l’essence même d’un véritable leadership.

Il ne faut pas oublier non plus que les systèmes relationnels sont souvent en proie à des changements : par conséquent, quand nous essayons d’éviter de nous laisser trop influencer par les membres du système, nous devons aussi être préparés aux changements nécessaires ou inévitables à l’intérieur du système ou dans un environnement plus large.

Quand le chef part en retraite, par exemple, ou si votre père est gravement malade, le système peut sentir que quelque chose ne va pas et commencer à vous envoyer des messages angoissés mais qui n’ont rien à voir avec la situation. Un climat d’appréhension s’installe. Il faut du temps pour écouter et bien décoder les messages qu’on veut faire passer. Mais si vous les entendez et si vous comprenez ce qui se passe, vous serez prêts à agir indépendamment du groupe dans l’intérêt de chacun.

Les recherches ont montré que nos périodes d’apprentissage et d’adaptation coïncident souvent avec des phases importantes de notre vie privée ou professionnelle. Même si ce sont des périodes difficiles, la bonne nouvelle, c’est qu’on développe son savoir émotionnel quand on franchit de nouvelles étapes de croissance. Les émotions sont très utiles pour amorcer la pompe du changement, vous allez le voir en lisant l’histoire des dirigeants qui va suivre.

Chapitre Sept-les Interviews : Bob Di Florio et Steve Waite

L’individu et l’influence de la situation sociale.
Quand on évoque les points forts et les points faibles des gens, on soulève systématiquement la question de leur arrière plan socio économique. Nous savons que chacun est soumis à des contraintes, c’est un fait. Mais la question est de savoir comment on les gère et comment on les surmonte. Oui, c’est un privilège d’être né dans un foyer aisé, mais ce n’est pas pour autant un gage de réussite.

Les histoires suivantes (celles de Bob Di Florio et de Steve Waite) ne cherchent pas à démontrer que tout le monde s’accommode du décès d’un proche et peut devenir un dirigeant. L’interview avec Bob Di Florio qui a perdu son père quand il était enfant nous sensibilise aux changements qui s’opèrent au sein du système familial et dans le comportement des jeunes. Steve Waite, lui, a perdu son père quand il était adulte. La proximité qu’il a eue avec son père dans ses dernières années lui a permis de revoir le sens de sa vie. Cette relation plus ouverte fut un cadeau pour Steve.

La perte d’un des membres du système familial révèle la cohésion affective qui rapproche ou au contraire éloigne ses membres. Elle peut les aider aussi à mieux fonctionner. La perte des parents peut changer le cours d’une vie. Chacun cherchera le meilleur moyen d’aller de l’avant et de compenser la perte. Heureusement, le système émotionnel familial regroupe souvent beaucoup d’autres membres qui peuvent apporter leur soutien affectif. De plus, sachant que les anciens schémas de fonctionnement correspondent souvent à des relations bien précises, la perte peut aussi modifier les comportements des membres de la famille. La perte peut aussi engendrer des peurs et tout un tas de symptômes. Le responsable de famille doit savoir qu’il devra être plus inventif face à l’anxiété qui gagne le système. S’il est capable malgré les circonstances changeantes de préserver son identité dans le groupe, le niveau de fonctionnement de la famille s’élèvera. La perte est donc à la fois un challenge et une porte ouverte au changement.

J’espère que ces histoires apporteront au lecteur quelques pistes supplémentaires pour surmonter le changement et la perte.

J’ai rencontré Bob DiFlorio par l’intermédiaire de sa nièce, Liz Sollazo, une amie à moi qui vit près d’ici dans le Connecticut. Quand je lui ai demandé si elle connaissait un leader qu’elle estime et qui serait susceptible de nous partager son histoire, elle a pensé aussitôt au mari de son oncle et elle s’est fait un plaisir de le lui demander. Il a tout de suite accepté de nous raconter son histoire.

Bob DiFlorio

Bob Diflorio est un ancien directeur d’école de la ville de Syracuse dans l’Etat de New York.
Dès que j’ai vu Bob DiFlorio, j’ai tout de suite apprécié sa convivialité et sa cordialité. Si j’avais été une enfant, je me serais sentie écoutée et en sécurité en sa présence. Sa cordialité lui vient peut-être de ses racines Italiennes, ou de ses expériences de jeunesse dans les rues de Syracuse, ou encore de ses 35 ans d’enseignement dans le système scolaire.
Nous étions assis à la table de la cuisine, comme autrefois, même si c’était notre première rencontre. Son histoire coulait naturellement.

• AMS. J’ai laissé mes questions dans la voiture car vous avez certainement compris en les lisant que j’aimerais savoir comment vous êtes parvenu à la position de dirigeant que vous occupez.
• BD. Je pense qu’il y a de nombreux facteurs en jeu. Je viens d’une famille d’immigrants Italiens. Mon père est mort quand j’avais six ans. Ma mère a du travailler et elle avait besoin d’aide. Mon frère aîné avait alors 16 ans, ensuite venaient une sœur de 14 ans, une de 12 ans, un frère de 10 ans, moi qui en avais 6, et enfin mon petit frère de 18 mois.

Le père de DiFlorio était marchand de fruits et légumes. Il est mort à l’âge de 46 ans. Ma mère en avait 38. La mère de DiFlorio avait 89 ans quand nous avons eu cet entretien, et la famille est toujours sous son influence. Ses deux parents étaient les aînés de grandes familles Italiennes.

• BD. Quand j’avais sept ans, je devais aller après l’école chercher mon petit frère chez la nourrice et m’en occuper à la maison. Je me vois encore en train de grimper la colline enneigée avec mon petit frère dans les bras. On nous avait appris à veiller les uns sur les autres.
La mort de mon père a entraîné de profonds changements dans ma famille. Nous nous sommes tous rapprochés de ma mère. Elle nous laissait beaucoup d’autonomie ; elle était constructive et positive. Nous devions tous travailler pour faire vivre la famille. A l’âge de treize ans, je travaillais dans une salle de bowling trois ou quatre soirs par semaine. Nous ramenions tous de l’argent à la maison pour aider notre mère. Nous n’avions aucun projet d’aller à l’université. Il nous fallait trouver un bon travail, nous marier et entretenir la famille. Notre mère nous encourageait. Elle savait que nous avions besoin de trouver un métier. Tous mes frères en ont un aujourd’hui.
Ma mère était l’aînée de sept enfants. Elle avait le sens des responsabilités. Mon père était l’aîné d’une famille de neuf. Mes enfants ont aujourd’hui 50 cousins germains.
Les gens de notre voisinage et même de notre école étaient issus du même arrière plan culturel. Nous étions des Italiens. Beaucoup d’entre nous partageaient d’ailleurs les mêmes valeurs. Les familles restaient ensemble. Même s’il vous arrivait parfois d’avoir envie de tuer votre frère, si quelqu’un s’approchait de lui c’était à vous de le protéger. C’était à moi de veiller sur mes frères, même s’ils m’avaient irrité. Ce sont des valeurs que nous avons gardées. Encore maintenant, je partage tous les dimanches le petit déjeuner avec mes trois frères et mes deux sœurs. Nous n’avions pas de père mais ma mère nous encourageait à préserver cette unité malgré nos différences et nos querelles. Nous avons du apprendre à nous entendre, et nous en sommes maintenant très heureux.
Ma mère nous a aussi appris à régler nos désaccords. Cela nous a aussi aidés à rester ensemble. Nous devions trouver des solutions à nos problèmes en les abordant franchement.
C’est la stratégie sur laquelle je me suis appuyé plus tard dans mon poste de direction. Je n’avais pas peur. J’étais direct. Je ne me laissais pas intimider par ceux qui étaient différents ou qui défendaient des opinions contraires aux miennes. Je me souviens d’un directeur que je craignais. Il était intimidant. Mais je me suis dit : « Et alors ? Je peux trouver du travail ailleurs. » Ce directeur m’a appelé plus tard dans son bureau pour me dire : « J’ai besoin de vous parce que vous avez un bon contact avec les gens et que vous savez aborder ouvertement les questions difficiles. »
Après le lycée, je suis entré dans l’armée, puis j’ai touché un peu à tout. Un conseiller d’orientation du lycée m’a encouragé à aller à l’université. Il a dit : « Tu peux devenir professeur. » Il m’a conseillé d’aller à l’Université d’Oswego avec une bourse. Ce fut un tournant dans ma vie. J’étais le premier de la famille à aller à l’université. J’ai été coiffeur pendant mes années d’université et je songeais à devenir électricien. Après un temps dans l’Armée de réserve, j’ai enseigné le dessin industriel et la conduite et j’ai ensuite obtenu mon master de conseiller d’orientation. Entre le mois de mai et la dernière semaine d’août 1963, j’ai trouvé un travail dans une école que tout le monde redoutait. C’était une école d’enfants noirs. Elle était dans un quartier si difficile qu’on accordait une prime de 500$ à ceux qui rejoignaient l’équipe. Ils l’appelaient la « prime pour emploi à risque». Je n’avais pas peur et j’étais déterminé à réussir.
Après ma deuxième année en qualité de conseiller d’orientation, j’ai fait partie des trente conseillers du pays sélectionnés pour assister au symposium d’été de l’université de Syracuse. Les conseillers de l’époque n’avaient pas trop tendance à la franchise. Moi, je m’exprimais sans détours. « Tu vas à l’université, un point c’est tout. »
Cela ne me dérangeait pas d’écouter les gens, mais je voyais très vite ce qu’ils devaient faire pour réussir, et je le leur disais. Il est important pour chacun de trouver le chemin de la réussite et j’en avais bien conscience. Il faut dire la vérité aux enfants et jouer cartes sur table. Oui, il y aura des enfants qui feront des bêtises, mais ce que je voyais, c’étai t l’intelligence. Ils peuvent mal agir, mais si vous les orientez sur la bonne voie, ils essaieront de la suivre. Deux ans plus tard, à l’âge de 25 ans, j’ai quitté mon poste de conseiller d’orientation pour devenir administrateur et c’est le poste que j’occupe aujourd’hui encore.
• AMS. Vous semblez doué pour gérer les conflits. Pouvez-vous me dire quand vous vous êtes confronté à votre mère pour la première fois ?
• BD. Si par exemple je rentrais tard, elle me disait : « Qu’est ce que tu as fait ? » Elle ne nous frappait guère, elle nous mettait devant nos responsabilités et nous en avions conscience. Je la respectais. Elle travaillait dur. Elle apportait de l’aide aux immigrants et c’est un travail qui lui plaisait. Les gens venaient de partout et elle leur enseignait l’anglais en seconde langue avant qu’il devienne très répandu.
• AMS. Votre père était un aîné et vous êtes l’un des plus jeunes enfants de la famille et aussi l’un de ceux qui a le mieux réussi. J’imagine que votre frère aîné a du souffrir davantage de la mort de son père. Comment l’a-t-il vécu ?
• BD. Il a eu des difficultés à l’école. Il s’est ressaisi plus tard et il est devenu plombier. Mon autre frère s’est mis aussitôt à travailler et il s’est beaucoup occupé de la famille.
• AMS. Quelle aide avez-vous reçue de la part de votre famille plus éloignée ?
• BD. La famille de ma mère est intervenue. Ma grand-mère maternelle a vécu avec nous pendant environ 30 ans. Mon oncle était très présent. Quand mon père est mort, Joe, l’un de ses frères, a habité à l’étage pour s’occuper de l’un de mes frères.
Je ne sais pas très bien comment j’ai fait pour me tirer d’affaire. Il y a eu tout un ensemble de choses. Les enseignants y ont été aussi pour beaucoup. On a besoin aussi de trouver des gens extérieurs à la famille pour faire bouger les choses. Il est important de se sentir en confiance dans sa famille pour pouvoir se tourner vers l’extérieur. J’ai appris à m’entendre avec toutes sortes de gens. Je crois que mon sens de l’autonomie m’a aidé à apprendre à développer ma réflexion. J’aurais été complètement désarmé dans certaines situations si je n’avais pas su comment mener ma réflexion.
Pendant ma première année de lycée, j’ai eu un professeur qui me disait : « Il faut que ça change. Tu as un cerveau, il faut t’en servir. »
• AMS. Comment avez-vous appris à ne pas redouter les conflits ?
• BD. Je me faisais confiance et je n’avais pas peur de prendre une décision, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Si elle était mauvaise, elle serait rectifiée. Je me disais toujours : « Qu’est ce qui m’inquiète ? Perdre mon travail ? Qu’on me culpabilise ? Que je fasse la critique des médias ? Je me disais : « J’ai commencé avec rien. Si je perds tout, je n’aurai à nouveau plus rien, et après ? Je serai à nouveau au point de départ. »
C’est une optique qui a porté du fruit. Je n’étais pas prêt à céder pour faire ce à quoi je n’adhérais pas. Je savais qu’il faudrait parfois faire des choses pénibles, que je devrais m’incliner devant les législateurs pour que les choses aboutissent. Je savais aussi qu’il fallait mettre son orgueil de côté pour solliciter les gens et les importuner. Trop d’enfants étaient dans le besoin et la police ne voulait et ne veut toujours pas engager des ressources humaines dans les écoles. J’avais une lourde tâche et je devais m’entourer de gens intelligents et compétents.
• AMS. Je suis fascinée par les charismes. Vous dîtes que vous avez su faire preuve de sagesse dans la vie de tous les jours, puis vous dîtes aussi que vous avez appris à votre fils à écouter les gens.
• BD. Quand ils vous partagent leurs préoccupations, vous essayez de comprendre ce qu’ils veulent vous dire. Cela m’a beaucoup servi plus tard. Je pouvais écouter les responsables et comprendre leurs préoccupations profondes. Je pense que je dois cette capacité d’écoute à la fois à mon autonomie et à l’esprit de confiance mutuelle qui régnait dans ma famille. Et nous devions faire l’effort d’écouter. Nous n’avions pas le droit de nous isoler ; il nous fallait écouter. Il n’y avait pas d’échappatoire.
Dans mon travail, je voulais convaincre les gens, les élus locaux par exemple, de mieux utiliser les ressources. Il fallait surtout les inciter à réfléchir à ce qu’ils faisaient pour qu’ils sachent mieux comment s’y prendre. J’avais appris à analyser les choses avant de prendre une décision au lieu de me laisser dicter par mes émotions et mes réactions.
Ma préoccupation principale est toujours la hausse du seuil de pauvreté dans le système scolaire. Environ 75% des élèves du primaire prennent des repas à tarif réduit. Je me suis demandé : « Quelle direction voulons-nous donner à la société ? » Un dirigeant est un individu comme les autres. Nous devons identifier les problèmes importants et adopter ensuite une position que les gens puissent comprendre. Et alors nous pourrons faire avancer les choses. Nous devons nous montrer prudents.
J’ai laissé deux enveloppes à mon successeur. J’avis écrit sur l’une « Courage » et sur l’autre « C’est ma faute ». Quelle que soit votre activité professionnelle vous rencontrerez bien des problèmes. Moi, j’ai commencé en combattant et je termine en combattant. Il ne peut en être autrement.
Les points de la boussole de la circonspection de Bob DiFlorio.
1. La capacité à définir une vision : Souvent une question vient éclairer une vision. Pour DiFlorio, ce fut la question suivante : « Comment vous y prenez-vous pour enseigner? » Les directeurs d’école savent qu’un enfant doit acquérir tout un ensemble de compétences. C’est un fait établi. Il est moins évident par contre de lui offrir un environnement propice à ces apprentissages.
La vision de DiFlorio se fonde également sur son vécu dans sa famille et dans son quotidien. Il connaissait l’importance de savoir préserver son identité, la valeur du travail et de la confrontation directe, et il avait développé un sens profond des responsabilités. Il avait compris à l’âge adulte que les performances des étudiants dépendaient du bon fonctionnement du système. Il savait aussi que chacun devait s’impliquer et que personne ne devait être mis de côté. Pour établir une bonne entente entre les parents, les enfants, les professeurs, les élus et les médias, DiFlorio a du faire face à des situations difficiles. Mais il a su les surmonter grâce à son souci de franchise et sa détermination à confronter les problèmes tout en restant à l’écoute.
Son objectif était d’utiliser avec sagesse les ressources de l’école pour favoriser l’apprentissage des enfants. En parallèle, il voulait veiller à ce que chaque enfant soit considéré comme un individu unique, avec ses capacités et son rythme d’apprentissage propres. Il fallait mettre en place les ressources du système scolaire de manière à stimuler l’excellence des étudiants et des professeurs. Bob Diflorio devait donc faire appel à tous les membres du système social élargi pour faire avancer le système scolaire.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres : Ce que les gens ont le plus de mal à surmonter, c’est la peur, la peur de la perte. DiFlorio nous dit qu’il s’est directement confronté à cette peur, qu’il a fait face à ses responsabilités et qu’il a pu ainsi se forger son courage et son caractère. Il disait : « Je me faisais confiance et je n’avais pas peur de prendre une décision, qu’elle soit bonne ou mauvaise. Si elle était mauvaise, je n’aurais qu’à la rectifier. Je me disais toujours : Qu’est ce qui m’inquiète ? Perdre mon travail ? Qu’on me culpabilise ? Que je fasse la critique des médias ? Je me disais : « J’ai commencé avec rien. Si je perds tout, je n’aurai plus rien, et après ? Je me retrouverai au point de départ. »
3. La capacité à entrer en relation : La mère de DiFlorio veillait à ce qu’il comprenne bien l’importance de tenir bon et de maintenir les contacts. Dés son plus jeune âge, il avait été contraint d’affronter ouvertement les difficultés au lieu de les éviter. Il appréciait le privilège qu’il avait eu de grandir entouré de sa famille élargie, il voyait combien son oncle avait été un plus pour son frère et il mesurait les bienfaits de la présence de sa grand-mère pendant sa jeunesse. A mon avis et selon certaines recherches, les systèmes sociaux complexes favorisent le développement du fonctionnement intuitif de l’individu. Il est possible aussi que DiFlorio ait toujours été un homme de relations. S’il existe un gène de sociabilité, il l’avait probablement. C’est un homme grand et sympathique qui n’a pas peur des autres et qui communique facilement avec les gens en sachant les mettre à l’aise.
4. La capacité à être soi-même : La place de DiFlorio dans sa fratrie le prédestinait malgré lui au leadership, mais il a su relever le défi et assumer son rôle de dirigeant. Il sait prendre du recul pour analyser la nature du problème et il se préoccupe davantage de trouver des solutions pour faire avancer les choses que de se faire des amis et satisfaire les figures d’autorité. Sa capacité à prendre position et à débattre avec ses frères pour ensuite se retrouver et trouver des solutions peut l’avoir amené à l’âge adulte à comprendre combien il est important de défendre ses convictions au sein de son réseau relationnel.

Steve Waite

Steve Waite est à la fois auteur du livre Quantum Investing, co-auteur du livre Boomernomics, professeur adjoint de finances à l’université Quinnipiac, co-fondateur et directeur général de Consilient Capital Partners LLC, une société de services qui ciblait les opportunités dans les marchés émergeants et bien établis de nanotechnologie et sciences de la vie. Il est aussi producteur de trois albums de musique. Shine est son dernier CD.

J’ai connu Steve par l’intermédiaire de son gendre Michael Mauboussin. Je lui ai simplement demandé s’il connaissait quelqu’un qui ait vraiment envie de savoir comment naissent les leaders. Michael a proposé d’en parler à Steve. Vous découvrirez qu’un entretien avec Steve équivaut à un samedi après-midi entier dans une bibliothèque. Nous avons eu des échanges chaleureux et enrichissants, et très amusants aussi car Steve trouvait toujours le moyen de glisser la musique dans la discussion. Steve savoure les opinions diverses comme un chef cuisinier apprécie chaque nouvel ingrédient. Mais quand vient le temps d’agir, il est prêt à faire ce qu’il faut. Il ne se laisse pas dérouter par les obstacles affectifs qu’il rencontre. Son histoire est simple. Mais elle soulève la plus profonde des questions. Que faire quand le chef de bande meurt ? Manifestement, malgré le bon repas et l’après midi enjoué, nous reprendrons les questions de succession et de mort. On n’est pas à l’abri de la tempête quand un système vit une profonde transformation. Mais ne vous inquiétez pas, le voyage promet d’être drôle. Si êtes prêts pour l’embarquement, n’oubliez pas d’emporter avec vous votre Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes.

• AMS. Pouvez-vous me dire à quel âge vous avez commencé à réfléchir au leadership ?
• SW. Je me rappelle quand j’ai commencé à réfléchir au leadership et quand j’ai découvert Peter Drucker. Il a manifestement influencé ma conception du rôle du dirigeant. Nous étions en 1984 et je travaillais pour la American Bank Company. Je sortais juste du troisième cycle universitaire quand j’ai découvert la vision de Drucker sur le management personnel au travail et au quotidien.
Ce qui m’a profondément marqué, c’est sa façon d’identifier les véritables héros. J’essayais toujours de repérer les gens au contact de qui je pouvais m’enrichir.
J’avais aussi le privilège de pouvoir admirer mes parents. Ils étaient les meilleurs. J’ai vu dès l’âge de neuf ans combien il était important d’avoir un état d’esprit positif et un bon coach. Mon père m’a emmené à un match de foot à l’époque où l’équipe de l’Ohio était numéro un. Personne ne pensait qu’elle pourrait perdre. Mais l’équipe du Michigan avait un coach tout différent. C’était un bon leader et toute l’équipe avait confiance en lui. Je n’oublierai jamais le jour où elle a battu l’équipe numéro un de notre pays.
J’ai d’autres souvenirs qui illustrent le rôle déterminant des héros. Quand je suis allé à Londres, par exemple, j’ai beaucoup lu sur Churchill. C’est dans son pays que j’ai compris comment il a confronté l’adversité et s’est révolté alors que tout était réuni pour l’empêcher d’amener son pays à la victoire.
Je pense aussi à Charlie Munger, l’associé en affaires de l’investisseur Warren Buffett chez Berkshire Hathaway, qui a souligné également les différents aspects du leadership dans son livre Damn Right ! Behind the scenes with Bekshire Hathaway billionaire Charlie Munger, de Janet Lowe.
• AMS. Pour en revenir à vous, pensez-vous que votre position dans votre famille ait influencé votre leadership ?
• SW. Elle a peut-être joué sur ma façon d’être. Je me situe entre deux frères.
• AMS. Oui, et je me souviens que votre père occupait la même position dans sa fratrie.
• SW. J’ai peut-être hérité de ses gènes. J’avais une grande admiration pour lui, mais nous étions très différents. Mon père était médecin, c’était sa passion, il s’intéressait aux problèmes de santé et aux problèmes physiques. Je m’intéressais davantage aux problèmes sociaux. J’ai toujours été aussi un passionné de musique. J’étais macro économiste à Wall Street. On pourrait faire le parallèle avec le médecin généraliste. Mon père devait commencer par acquérir des connaissances générales avant d’approfondir un domaine plus précis. C’était la même chose pour moi. J’aime pouvoir approfondir les disciplines et les spécialités et réunir mes connaissances pour aborder les problèmes avec un nouveau regard.
• AMS. Je vois comment vous vous êtes identifié à votre père et je me demande maintenant à quel âge vous avez commencé à vous détacher de votre famille.
• SW. Je savais que vous alliez me poser cette question, c’est pourquoi j’ai demandé à ma mère si elle se souvenait à quel âge j’ai commencé à affirmer mes propres opinions. Elle dit que j’avais six ans quand j’ai refusé de l’accompagner à l’église. Je lui ai dit : « Non, je ne veux pas perdre mon temps. » Elle a ri en faisant observer combien il était important pour moi de décider si jeune ce qui comptait vraiment sans me soucier de l’opinion des autres.
• AMS. La religion est un domaine qui se prête particulièrement à l’affirmation des croyances personnelles. Les traditions familiales se perpétuent souvent. On pourrait peut-être s’attendre à ce que les enfants issus d’un système familial plus ouvert puissent contester les croyances religieuses et les attentes de la famille.
• SW. Je suis quand même davantage un homme de spiritualité qu’un individu prêt à accepter les convictions de telle ou telle église.
Non seulement je me singularisais sur le plan spirituel mais j’étais aussi selon mes parents très critique et très dur envers moi-même. En général, j’aime bien analyser les choses et ne pas tout prendre pour argent comptant.
J’ai toujours fait en sorte d’analyser le bien fondé de mes réflexions et de celles des autres. Ceci m’a aidé à gérer la critique. Si elle émane d’une personne que je respecte beaucoup, je serai particulièrement attentif. Mais j’analyse toujours ce qu’on me dit et la part de vrai qui en émane.
• AMS. Votre mère a vu très tôt combien vous étiez capable de lui tenir tête et de vous faire votre propre opinion. Elle ne vous adressait ni moquerie ni critique quand vous refusiez de la suivre à l’église.
• SW. Ma famille était aussi assez libre par rapport à la religion car mon père n’allait pas souvent à l’église. Il était souvent de garde et sa présence à l’église n’était pas sa priorité.
• AMS. J’aimerais bien que vous me parliez un peu de votre famille plus éloignée.
• SW. Ma mère est l’aînée de deux filles. Sa mère était une Italienne rude. Elle était mariée à un Allemand gentil et chaleureux. Ma grand-mère maternelle n’avait pas su dire à ma mère qu’elle l’aimait et elle en a souffert. Ma mère était semble t-il plus dans les émotions et mon père plus réfléchi.
• AMS. Je sais qu’il est très important de gérer ses émotions et que c’est très difficile pour la plupart d’entre nous. On réagit souvent sans réfléchir. On a beaucoup de mal à prendre conscience de la manière dont on est programmé à réagir. Nos expériences passées nous ont marqués. Nous réagissons aux schémas qui se répètent. Notre vécu peut nous entraîner dans des réactions excessives à des menaces qui relèvent souvent de notre imagination. Les enfants dont la mère était très distante risquent d’appréhender cette indifférence au lieu de chercher à en rire.
• SW. Les bons joueurs de poker et les grands investisseurs savent contrôler leurs réactions affectives. J’ai été aussi formé dans ce sens en observant comment mes parents communiquaient.
• AMS. J’imagine que votre mère qui n’avait eu que des soeurs communiquait plus difficilement avec les hommes. Avait-elle une bonne relation avec votre père ?
• SW. Mon père savait s’y prendre avec ma mère. Ils étaient très proches. Quand mon père est mort en 2000, une partie de ma mère est morte aussi. Je pense qu’ils étaient inséparables. Ils partageaient une relation profondément imbriquée et étouffante. Je crois que la non séparabilité quantique est le concept qu’on sous-estime le plus. Ils se sont connus très jeunes et ils savaient déjà quelque part qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Ils n’ont eu personne d’autre dans leur vie. Ils ont toujours été faits l’un pour l’autre. Ils sont tout de suite tombés amoureux et se sont mariés en 1955. Mon père est parti ensuite à l’armée. A son retour, il est entré à la faculté de médecine.
• AMS. C’est intéressant de voir comment deux personnes peuvent autant se plaire tandis que pour d’autres l’attirance s’efface avec le temps. Qu’est ce qui fait la différence ? Nous savons que 50 pour cent des mariages ne résistent pas au temps. Il se peut qu’un mariage réussi n’assure pas seulement un bien être personnel mais donne aussi des solutions aux difficultés soulevées par les générations passées.
Je ne sais pas très bien comment, mais John Gottman, qui étudie depuis trois décennies le mariage, les couples et les relations parent/enfant, rejoint d’autres confrères pour démontrer qu’on peut facilement prédire la durabilité des mariages en observant la manière dont les couples réagissent l’un à l’autre pendant les conflits et dont ils en sortent.
J’imagine qu’on est sensibilisé très tôt au contact affectif avec les personnes qui comptent beaucoup pour nous. Un partenariat qui dure doit s’accorder à la fois sur le plan affectif et rationnel.
• SW. Vous attribuez donc aux dynamiques familiales le succès dans le leadership et le mariage ? Il est vrai que ce sont des domaines où l’individu doit veiller à la fois à préserver son intégrité et à assumer la responsabilité de la gestion de ses relations et de la résolution des difficultés. Je pense qu’il n’est pas difficile de diriger. Il s’agit surtout d’encourager le travail d’équipe et de créer un climat familial de confiance et de soutien mutuel. Je pense qu’on doit aussi exposer certains points de vue auxquels les gens peuvent se rallier, puis les laisser libres d’agir. La GE (l’équivalent de l’EDF) est une grande compagnie qui se préoccupe beaucoup d’assurer la relève. Un leader digne de ce nom s’entoure de gens compétents et capables de prendre la relève. Il est important aussi d’avoir un bon sens relationnel. Le directeur de la société informatique Dell, Michael Dell, fait également partie de ceux que j’admire. C’est un homme responsable qui sait préserver son individualité. Il répond à tous les mails que je lui adresse.
D’après l’indicateur typologique MBTI de Myers-Briggs, je corresponds au type de personnalité EISJ: extraversion, intuition, sentiment, jugement. Je suis naturellement enclin à venir en aide aux autres. (L’indicateur typologique de Myers-Briggs se fonde sur les types de personnalité de Jung et mon profil correspond à celui de l’individu tourné vers l’extérieur et l’avenir qui décide et agit par rapport aux autres et aime mener les choses à terme.)

• AMS. Si vous deviez établir un cadre de référence du leadership, vous auriez à une extrémité les leaders conscients de leur influence sur les autres et de leur responsabilité à les amener à la réussite. A l’autre extrémité, vous auriez les chefs qui imposent leur volonté aux autres et leur témoignent de moins en moins.

• SW. Certains ont besoin qu’on les dirige. Ils n’aiment pas réfléchir et laissent les autres les diriger.

• AMS. Le Docteur Bowen a défini deux forces en nous : celle qui nous pousse à nous conformer aux autres quel qu’en soit le prix, et celle qui nous pousse à développer notre identité. La première, la force de cohésion, pousse les gens à se conformer à des chefs très dominateurs.
Il y a un mode de fonctionnement intermédiaire quand un leader se préoccupe du bien être du groupe et de son bon fonctionnement sans tomber dans l’égoïsme, l’agressivité ou la domination.
• SW. J’ai vu que vous posiez une question par rapport aux leaders stratégiques et à leur degré de franchise et je me demandais si un leader véritable pouvait mentir.
• AMS. Un leader véritable doit être particulièrement doué pour la communication. Cela se complique quand le groupe se développe et que les idées politiques deviennent plus complexes. Un leader devra peut-être parfois présenter l’information sous un certain angle ou même la taire s’il pense pouvoir ainsi mieux gérer le groupe.
• SW. J’ai participé à la création d’une compagnie fondée sur l’intelligence de masse. Nous avons lancé un forum pour nous permettre de découvrir les clients susceptibles d’analyser puis de vendre leurs informations. Nous savions que les gens seraient plus productifs s’ils étaient mieux informés. Notre objectif était d’amener les gens à mieux fonctionner avec le maximum d’informations.
• AMS. Je suis d’accord. Mais la transparence totale peut être utopique. Pensez à un petit groupe, une famille par exemple. Le chef de famille doit savoir choisir la manière et le moment propice pour aborder certains sujets en fonction de l’âge de l’enfant, de son stade etc.…
On pourrait prendre l’exemple du décès d’un responsable familial suite à un cancer.
Comment aborder les changements pour aider les gens à bien réagir ? Le responsable veut éviter la panique sans nier la réalité. L’idéal serait qu’il reconnaisse que le changement est un processus et qu’il veille à rester ouvert. J’ai observé des chefs de famille qui abordent la mort ouvertement en évoquant çà et là les changements possibles afin de préparer les siens sans les alarmer.
Je suis convaincue que nous expliquerons un jour clairement que la manière dont nous nous distinguons de notre famille d’origine détermine si nous avons ou non l’étoffe d’un chef.
• SW. N’est ce pas plus facile quand on a eu un père qui était un grand leader ? Il y a pourtant tellement à apprendre. Personne ne peut nous donner toute la connaissance dont nous avons besoin. Et même si votre père est un grand leader, vous avez besoin aussi de trouver d’autres héros qui vous instruiront.
• AMS. Pensez maintenant jusqu’où il vous faudrait remonter dans votre famille pour trouver des ancêtres qui n’ont pas réussi aussi bien. Les Indiens Américains disent souvent que ceux qui ont commis des erreurs ont des choses à nous apprendre et qu’on doit les respecter.
Dans votre famille, vous avez pu voir des leaders se lever au milieu de situations difficiles. Est-il possible aussi de bien s’en sortir même sans héros ? C’est une question intéressante. Peut-on réussir malgré des conditions difficiles ou la disparition prématurée d’un proche ?
On peut se découvrir l’étoffe d’un chef en s’identifiant avec un membre de sa famille. Et puis il y a d’autres moyens. Comment tire t-on partie des mauvais exemples de sa famille ou de son voisinage ?
Je crois que Lila est l’un de vos livres préférés. En descendant la Hudson River, Phèdre a rencontré Lila Blewitt, une femme psychologiquement instable qui est à ses yeux « unique en son genre » et chez qui il discerne une « qualité » inattendue. Il a voulu mieux la connaître et savoir comment elle fonctionnait. Puis sa curiosité s’est estompée et il a commencé à vouloir la contrôler. Quand il est tombé dans le schéma « je contrôle l’autre pour l’aider », il l’a perdue. Je pense que ce livre nous donne une très belle image de ce que peuvent nous apprendre ceux dont on ne fait guère cas.
• SW. C’est aussi difficile à garder à l’esprit que de désapprendre ce qu’on a appris. Je pense à la bonne vieille question Zen : « Comment garder une mentalité de débutant ? » En tant qu’investisseur, j’enseigne les étudiants à faire comme ils veulent et j’analyse leur façon de faire. Ce n’est qu’après que je les sensibilise à ce qui arrivera s’ils adoptent une autre approche. Je recherche toujours d’autres informations pour formuler la question différemment. Beaucoup de mes héros se penchent sur la nature et adoptent une approche différente des secteurs financiers et autres. C’est le cas de Bill Miller, le gestionnaire du fameux Legg Mason Value Trust. (Il a dépassé le rendement de l’indice S & P 500 pendant quinze ans). Il est toujours en quête d’éléments nouveaux pour anticiper le contexte futur. Il met son ouverture d’esprit au profit du Santa Fee Institute dont il est président.
• AMS. Je crois aussi qu’on peut garder une mentalité de débutant et remettre en question ses préjugés en respectant l’autorité même si on la conteste. J’en reviens à la faculté que vous aviez de vous faire respecter par votre famille quand vous avez contesté l’autorité de votre mère à l’âge de six ans. La famille ne vous a pas rejeté parce que vous aviez un point de vue différent.
• SW. Je peux dire que mon environnement familial respirait l’amour. Quand mon père est mort, j’ai consacré ma vie à aimer les autres en sa mémoire. Je me considère comme un solitaire et j’apprécie mes amis qui sont de grands penseurs. Mon frère aîné m’a orienté vers la musique et Jimmy Hendricks. Je joue de la guitare depuis que je suis jeune. Mon plus jeune frère est comme un frère jumeau pour moi. Il vit à Detroit et pourtant nous sommes restés inséparables. C’est tout le portrait de ma mère et je suis tout le portrait de mon père. Mon frère aîné vit au Texas où il est paléontologue. Il a divorcé puis s’est remarié et a deux garçons. Brad a trois filles, et moi, j’en ai deux.
• AMS. Vous n’avez donc jamais eu besoin de vous affirmer face à vos frères ? Vous n’avez jamais eu de différends sérieux ?
• SW. Non, nous nous entendons assez bien. Mon frère aîné a fait un discours à l’enterrement de mon père. J’étais vraiment fier de lui. Ma mère habite maintenant près de chez lui.
Je rejoins le concept de Peter Drucker selon lequel le futur est déjà présent. La plupart des gens ne savent pas comment raconter ce qui s’est passé et ce qui va se passer.
Je considère qu’il est préférable de consacrer du temps à la lecture que de se laisser divertir par la télévision. Regardez, j’ai écrit un gros livre que peu de gens ont lu et pourtant ces notions méritent d’être connues.
• AMS. Il est vrai que le succès et le management ne vont pas toujours de pair. Mais un leader doit faire partager sa vision aux gens et savoir gérer ensuite l’opposition à ses idées.
• SW. Après la mort de mon père, j’ai écrit une pièce intitulée « le chef de la bande ». Je me demandais quoi faire après le décès du chef de la famille ou de la bande. Ma mère est tombée dans une profonde dépression. Je me suis réfugié dans le Connecticut pour y écrire mon livre. J’ai ensuite pris conscience que mon père voulait toujours que nous restions ensemble pour gérer au mieux la situation. En y réfléchissant, j’ai pris conscience qu’il n’était pas vraiment mort. Mon père m’avait dit que la compassion n’avait pas sa place à Wall Street et que j’y avais perdu mon temps. J’ai du trouver le moyen de garder ma compassion. L’essentiel était de trouver comment rediriger l’équipe ou la bande pour aller de l’avant.
Je voulais perpétrer les bonnes idées de mon père. Je ne sais pas très bien comment j’ai fait, mais j’ai écrit mon livre dans les trois mois qui ont suivi la mort de mon père. J’étais animé d’une énergie nouvelle.
• AMS. Je crois que nous sommes en train d’examiner les valeurs profondes et leur origine, en racontant par exemple des histoires familiales.
Je me demandais aussi quelles capacités les leaders jugent utile de développer. Quelle place accordent-ils par exemple à l’art de savoir soulever des sujets difficiles et d’en parler ouvertement avec les autres, y compris les membres de la famille ? Est-ce un savoir faire qui mériterait d’être développé ?
• SW. Je dirais que mon père était très accessible et qu’il aimait répondre aux questions. C’était quelqu’un de disponible.
• AMS. Quels sont les facteurs susceptibles de favoriser le dialogue dans une famille ou une entreprise ?
• SW. Ma famille attachait beaucoup d’importance à la curiosité et à l’apprentissage. Mais mes parents avaient surtout un grand sens de l’humour. Je découvre aujourd’hui en remplissant les formulaires universitaires pour mes étudiants que les écoles demandent souvent si le candidat a le sens de l’humour. Beaucoup de grands leaders ont un sens de l’humour très fin : Bill Miller, Warren Buffet et certains politiciens comme Winston Churchill.
Après la mort de mon père, je me suis occupé de ma mère pendant un temps. Elle était redevenue comme une petite fille. Nous pouvions aborder le sujet de la mort sans trop entrer dans les émotions, et c’était plus facile.
Elle a commencé par dire : « Tu ne comprendras jamais ma peine ». Je lui ai répondu quelque chose comme : « J’essaie de comprendre ce que Jésus a souffert et je pense que tu souffres parce que tu n’as plus à tes côtés la présence physique de ton bien aimé. Il serait moins dur pour toi de penser à l’amour que vous avez partagé tous les deux et à le partager avec d’autres. Si tu veux vivre, tu dois répandre l’amour. Si tu veux mourir, alors tu peux rester chez toi sans partager l’amour que ton mari t’a donné. »
Dès qu’elle a vu mon désir de comprendre son chagrin, je crois que ça nous a aidés à nous en sortir.
D’autre part, son travail consiste à prendre soin des personnes dépendantes et elle voulait pouvoir remplir sa mission. J’ai donc essayé de la rediriger vers ses dons.
• AMS. Il est intéressant de voir comment vous avez placé votre mère face à ses choix. Vous ne lui avez rien imposé. Vous lui avez permis aussi d’évaluer les conséquences de ses choix. Car il y a toujours des conséquences. Il est important de proposer des choix aux gens sans leur imposer quoi que ce soit.
• SW. A l’époque de ma mère, c’était à l’homme de prendre soin de la femme, et maintenant c’est à nous ses fils de veiller sur elle. Mais je veux aussi qu’elle acquiert une plus grande indépendance et je l’accompagne dans ce sens. Je suis resté avec elle pendant une semaine.
Elle m’a dit une fois qu’elle s’était réveillée complètement paniquée, je l’ai rassurée en lui disant : « Tu n’as pas besoin d’avoir peur. Je suis là et je peux prendre soin de toi en attendant que tu reprennes tes esprits. »
C’était comme si nos rôles avaient été inversés. Les enfants prennent le rôle des parents en un sens. Quand le chef meurt, on passe par un temps de flottement nécessaire. Après une semaine auprès d’elle, elle s’est sentie beaucoup plus paisible.
Mes parents avaient probablement chacun leur rôle bien définis, et donc à la mort de mon père, ma mère ne savait pas comment gérer tout ce qu’il y avait à faire. J’essaie maintenant avec amour de diversifier ses tâches.
• AMS. Pour moi, aimer c’est chercher à être constructif et disponible tout en essayant de responsabiliser l’autre.
• SW. L’amour constitue le thème essentiel de ma musique. Je ne sais pas comment me vient l’inspiration mais j’essaie de la faire vivre dans ma musique.
La société a du mal à saisir ce qu’on entend par responsabilité personnelle. Nous vivons à une époque où on peut intenter un procès aux fast-foods au moindre problème.
• AMS. Je crois que nous vivons à une époque où l’individu prend difficilement conscience de sa responsabilité personnelle. C’est un véritable problème pour l’individu s’il ignore les conséquences de ses actes et il a du mal à les prendre au sérieux tant qu’il ne voit pas sa part de responsabilité dans la situation problématique. Rien n’est plus difficile que d’essayer d’en prendre conscience. S’il y parvient, il devrait être capable de préserver son identité dans les relations.
• SW. J’espère que de plus en plus de gens découvriront qu’ils peuvent construire un avenir meilleur en étant responsables et aimants.
• AMS. Merci pour tout ce que nous avons partagé et j’ai hâte d’écouter votre musique.

La boussole de la pleine conscience de Steve Waite

1. La capacité à définir une vision : Pour pouvoir se tenir à sa vision, il faut savoir préserver son identité et bien connaître ses valeurs. Steve Waite nous dit comment il a su tout jeune exposer sa « vérité » à sa mère sur des sujets qui lui paraissaient importants. Les questions spirituelles l’ont toujours attiré. Il constate que ses échanges responsables avec les autres reflètent sa certitude profonde que l’amour est la première raison d’être. Car beaucoup de concepts abstraits comme l’amour ou la compassion sont difficiles à mettre en pratique. Nous avons vu combien sa relation avec sa mère lui avait été dictée par l’amour pendant cette période difficile. Ses actes traduisent sa vision profonde qu’il réalise dans sa relation d’adulte avec sa mère et dans sa carrière professionnelle. Tout ceci semble s’être concrétisé après la mort de son père. Il s’est alors approprié les valeurs profondes de celui-ci dans sa vie de tous les jours et pour réévaluer ses objectifs de carrière. Son père savait lui parler ouvertement de la façon dont il voyait sa vie et Steve a pu ainsi réexaminer sa vision. Quand il nous parle de sa relation avec sa mère, nous sentons tout l’amour qu’il lui témoigne à ce tournant de sa vie. Sur le plan professionnel, il a décidé de rester dans sa voie et de se consacrer à la nanotechnologie et aux idées qui peuvent radicalement changer notre mode de vie.
2. L’opposition au changement qui vient de soi ou des autres : Waite occupait un poste bien rémunéré qui ne lui correspondait pas. C’est très fréquent. Pourquoi remettre les choses en question quand tout va bien ? C’est difficile pour nous tous de faire face à soi-même et d’effectuer des changements selon nos principes ou nos valeurs profondes. C’est souvent plus simple de continuer à aller dans le sens des autres et à leur faire plaisir. Les changements d’orientation professionnelle sont souvent une source de perturbation pour la vie familiale. C’est une des raisons pour lesquelles on trouve peu d’individus comme Steve Waite qui soient prêts à quitter leur travail pour écrire un livre ou changer d’orientation professionnelle.
3. La capacité à entrer en relation : Steve Waite avait perdu son père depuis peu, et je n’ai donc pas voulu aborder avec lui la question de ses relations avec sa famille élargie. Ses frères et lui semblent se serrer les coudes pour aider leur mère. Un noyau familial soudé a souvent plus de mal à s’ouvrir à la famille plus éloignée. La relation risque donc de se couper et de poser problème aux générations futures. Mais beaucoup de familles mettent deux à trois ans pour se réorganiser après la mort du chef de famille.
Sachant que Steve se présente plutôt comme un introverti, il risque d’avoir plus de mal à se construire un réseau de relations familiales proches. C’est plutôt à la femme que revient cette responsabilité car elle est souvent plus sociable. Sur le plan professionnel, intellectuel et musical, Steve Waite semble bien s’entendre avec un grand nombre de personnes. Beaucoup limitent leurs relations familiales à leurs parents.
4. La capacité à être soi-même : Steve Waite semble devoir sa capacité à préserver son identité dans ses relations et à rendre service aux autres à son aptitude à évaluer ses valeurs profondes. Sa compassion profonde et son amour véritable pour les autres peuvent l’aider à gérer les malentendus et les conflits.

Chapitre huit-La forêt et les arbres

Connais-toi toi-même.
On attribue à Socrate et aux autres sages Grecs cette déclaration gravée au fronton du temple d’Apollon à Delphes.

Le passé laisse présager de l’avenir
Alfred North Whitehead

Considérer le contexte global et se prendre en charge.
Nous ne sommes physiquement que des particules flottantes, des d’étoiles en quelque sorte. Ces particules sont réunies pour un temps et nous nous disperserons ensuite dans l’univers comme des étoiles. Et puisque nous sommes des particules flottantes, l’histoire risque de s’arrêter là. Mais nous avons une conscience et nous aimons apprendre et créer, et beaucoup d’entre nous aimeraient donc bien savoir quel sera notre héritage. Après tout, nous laissons tous des empreintes sur le passé et sur l’avenir.

Je crois que si nous pouvons être fidèles à nos valeurs profondes, nous laisserons cette planète un peu meilleure que nous l’avons trouvée. Mais avant, nous devons apprendre à connaître notre nature humaine tant exaltée. C’est alors que nous serons en mesure de prendre des décisions mieux adaptées et à trouver notre voie à travers les systèmes sociaux complexes qui constituent notre monde.

Tout au long de ce livre, j’ai présenté la boussole de la pleine conscience comme un moyen pour vous guider dans la jungle des systèmes sociaux. J’ai proposé au lecteur d’élaborer sa boussole personnelle pour agir avec plus de lucidité et de sagesse. Je vous proposerai plus loin de regarder la boussole directrice pour vous sensibiliser à ce qui se passe dans la jungle des entreprises où vous risquez d’entrer. Pour exercer son influence ou se laisser influencer, pour changer un peu le sens d’une citation célèbre, on a besoin de savoir où on en est et où on va. Les quatre points de la boussole directrice vous y aideront. Voici ces quatre points :

• Le Nord : Les principes, les lois, les règles, les valeurs et les croyances
• Le Sud : les problèmes ; la coopération et l’ouverture
• L’Ouest : les paradoxes, la polarisation et les situations relationnelles difficiles
• L’Est : ce qu’il en coûte de considérer et de résoudre les problèmes

Un système social regroupe un ensemble de personnes. La comparaison légendaire entre la forêt (le système) et les arbres (les gens) est intéressante pour nous permettre de mieux comprendre les effets de l’entreprise sur ses membres. C’est aussi une comparaison intéressante, un moyen d’orienter notre pensée dans les deux directions. Si nous regardons aux éléments (les arbres) pour étudier l’ensemble (la forêt), nous verrons plus facilement les influences qui s’exercent. De plus, notre observation simultanée de l’individu et du groupe nous ouvrira de nouvelles perspectives sur deux dynamiques différentes.

Nous voulons également réfléchir aux racines des arbres. Comment l’arbre est-il relié à la terre et aux autres arbres ? Quels en sont les effets sur sa croissance et son développement ? Cette troisième image nous permet d’établir le parallèle entre le cerveau pensant autonome de l’individu et les influences qu’il exerce sur les autres et inversement.

Nous vivons dans un environnement social, qu’il soit professionnel ou familial. Comment évaluer les effets qu’il produit sur nous ? La science finira par nous proposer des réponses, mais en attendant, différents symboles et différentes métaphores peuvent assouplir et ouvrir notre réflexion et nous conduire par conséquent vers de nouvelles découvertes.

Si donc nous connaissons un arbre nous connaissons un peu la nature de tous les arbres de la forêt. Si nous regardons un seul arbre ou un seul individu, notre œil est sensible aux détails mais la globalité (le système dans son ensemble) nous échappe. Si nous regardons la forêt, nous en voyons l’ensemble mais pas les détails. Mais si nous regardons les deux, nous comprendrons mieux différents aspects du cerveau, de la famille et du groupe social.

J’étais décidée à mettre au point une boussole directrice car je voulais trouver un moyen simple d’examiner une entreprise quelle qu’elle soit. Ma formation de thérapeute familial me permettait de reconnaître les signes quand les familles reprenaient leurs anciens mécanismes de fonctionnement en périodes d’angoisse. La famille est un système, ce n’est pas une entreprise. Mais je pensais que ma connaissance des systèmes pouvait m’aider à mieux comprendre le fonctionnement en périodes d’angoisse des autres systèmes complexes comme les sociétés ou même les nations.

Dans la forêt, il n’est pas bien difficile de dire si les arbres souffrent de la cloque. Mais chez les humains, on a souvent du mal à détecter les problèmes avant qu’il soit trop tard. Les humains sont beaucoup plus doués que les arbres pour faire semblant. Quels sont les signes qui vous alertent si votre entreprise déclenche une forte fièvre ? Ou comment savez-vous qu’elle est suffisamment en bonne santé pour subir un bouleversement important, rester productive et s’en relever ?

Bien sûr, une part de la réponse consiste à repérer les gens qui retombent dans leurs anciens modes de fonctionnement affectifs quand ils sont confrontés aux problèmes, au stress ou à l’anxiété. Si les arbres se portent mal, la forêt aussi. Fixer son regard sur les gens joue donc un rôle essentiel dans la survie de toute entreprise.

On ne sait jamais ce qui peut bouleverser une forêt ou un groupe. Tout ce qui soulève des problèmes est source de stress. Mais le stress n’est pas un gros marteau qui nous tombe sur la tête. Il n’est pas facile à détecter. Mais il y a des causes de stress qui sont bien connues.

Le changement, qu’il soit réel ou imaginaire, est un grand facteur de stress. Les gens peuvent s’y adapter ou bien y réagir en devenant plus nerveux. On ne voit pas l’ensemble (le bénéfice global à long terme) parce qu’on se focalise trop sur les détails (l’incertitude et l’anxiété à court terme). Ce sont les arbres qui cachent la forêt. Mais un leader suffisamment lucide peut exercer une influence positive sur un système tendu s’il sait être ouvert aux changements, bien les gérer et aider les gens à s’y adapter. Votre présence sera d’autant plus apaisante pendant ces périodes de tension que vous aurez évalué le contexte global.
Je dis souvent qu’on cultivera une bonne relation avec les arbres si on porte un regard neutre sur la forêt. Vous n’avez pas besoin de programme, simplement d’être disponible pour observer et comprendre. Vous pourrez alors agir avec sagesse.

Pour les émissions sur le thème de l’évolution que Carl Sagan a diffusées à la télévision publique Américaine, il a présenté un tableau. En ramenant plusieurs milliards d’années à un an, ce tableau résume l’histoire de l’univers. Chaque mois correspond à un peu plus d’un milliard d’années et la vie apparaît le dernier soir du dernier jour de cette année. (Nous faisons actuellement marche arrière et devenons plus objectifs sur notre situation dans le temps !) Dans ce tableau, la vie cellulaire apparaît au bout de neuf mois. C’est bien antérieur à la première forêt mais c’est le début des échanges entre les cellules qui ont du négocier et s’entendre pour survivre. Dès qu’elles ont pu modifier les informations stockées dans le génome, tout s’est mis en route. Les cellules ont pu s’adapter aux conditions changeantes et c’est la même chose pour nous. Les cellules ont juste à s’intéresser à ce que font les autres cellules pour faire en sorte de s’y adapter.

Oui, j’ai simplifié dans cette analogie la complexité du leadership. Mais le leader doit savoir aborder les évènements avec objectivité pour y réfléchir avec lucidité, quelque soit le problème. Il doit aussi regarder le contexte global sans révolte ni compromis. Et il doit bien sûr cultiver de bonnes relations avec son entourage.

Un certain désaveu.
La nature abonde d’énigmes et il n’est pas facile de diriger, mais il existe des panneaux indicateurs pour guider les gens motivés sur les voies prometteuses du succès.

On peut les rechercher en s’amusant. La Boussole Directrice que vous découvrirez dans ce chapitre présente les quatre directions essentielles sur lesquelles les leaders peuvent s’appuyer pour prendre les décisions les mieux adaptées à leurs entreprises. Elles sont le fruit de mes expériences de thérapeute familiale. Elles s’appliquent à mon domaine de compétence, qui n’est pas l’entreprise en soi. Mais une fois que j’ai vu comment les familles fonctionnaient, j’ai repéré facilement les modes de fonctionnement dans les entreprises. J’espère qu’elle vous profitera. Ce ne sera peut-être pas le cas pour tous. Mais, je le répète, si vous pouvez observer les arbres et l’ensemble de la forêt, vous identifierez plus facilement les modes de fonctionnement.

En tant qu’avertissement supplémentaire, je citerai les propos d’Eliot Aronson, un éminent scientifique et l’un des cent psychologues les plus influents du 20ème siècle : « Nous ne sommes pas des êtres rationnels mais des êtres rationalisants. Nous avons besoin d’explications. »

Si ce livre et les deux boussoles qu’il présente ne se limitent pas à nous expliquer pourquoi nous réagissons de la sorte dans nos relations, il nous faut alors trouver le moyen de prévoir les conséquences de nos actes. Voyons donc maintenant si l’histoire peut nous révéler si nous savons diriger nos systèmes sociaux.

L’histoire- Qu’est ce qui compte vraiment ?
Quand nous portons un regard d’historien sur la forêt, nous voyons combien les hommes ont travaillé au cours des vingt derniers siècles pour développer des modes d’échanges plus civilisés. Il a fallu par exemple des centaines d’années pour que l’homme découvre la liberté individuelle par opposition aux rapports entre maître et esclave. Jamais dans les siècles passés les hommes n’avaient connu autant d’indépendance. Le développement du capital intellectuel en est une conséquence directe. Dans le monde du travail, les leaders prennent conscience qu’on augmente la productivité en donnant plus d’indépendance aux gens et en les respectant davantage.
Certains, comme Francis Fukuyama, croient que les rapports entre maître et esclave ont été le premier modèle social. Mais il y a peu de preuves historiques. Je ne suis pas certaine que les études des peuplades primitives confirment aujourd’hui cette théorie. Il est facile de dire qu’entre deux personnes, il y avait un gagnant et un perdant et que le gagnant avait le rôle du maître. Mais un groupe de chasseurs, par exemple, devait certainement avoir tout intérêt à s’associer pour survivre et entretenir des activités plus indépendantes. Il pouvait bien sûr y avoir un perdant et un gagnant à la suite d’un évènement pendant ou après la chasse. Mais l’esprit d’équipe n’aurait pas pu se développer au début de l’histoire de l’humanité si les hommes n’avaient vécu que des relations de maîtres à esclaves. Il a fallu attendre l’organisation d’une société plus hiérarchisée pour que les esclaves construisent des pyramides sous les ordres de leur maître.
Julian Jaynes a étudié les fluctuations des relations humaines dans son livre écrit en 1976, The Origins of Consciousness in the Bicameral Mind (l’origine de la conscience dans l’esprit bicamériste). Il a décrit certains liens entre la cognition et ce qui est dicté par l’extérieur. Il fonde son hypothèse sur l’étude du langage depuis les premiers temps. Il souligne que les premiers hommes qu’on isolait de leurs figures d’autorité continuaient à entendre les ordres et avaient le regard vide comme s’ils étaient encore sous leur coupe. Il semble que ces hallucinations étaient un moyen de contrôle fréquent dans la société de l’époque. Ces tribus primitives ressemblaient davantage à des groupes d’insectes. Aujourd’hui, on considère que l’individu qui hallucine déclenche une fonction utile pour ces civilisations anciennes. Ces voix et ces hallucinations pouvaient maintenir une harmonie entre les gens qui n’étaient plus réunis. Elles peuvent encore aider à compenser la perte d’un proche ou d’une connaissance.
Dans toute hiérarchie sociale rigide on doit se soumettre aux ordres. Il y a des gens qui sont incapables de voir ce qu’ils doivent faire tout seuls.

Un psychiatre pourrait considérer qu’un soi différencié est un échec. Autrefois, les hallucinations paraissaient normales car elles apparaissaient chaque fois que l’individu était isolé de son maître.
Julian Jaynes a noté que le démembrement des tribus primitives a commencé en Europe et en Asie en 1000 avant Jésus-Christ. Ce morcellement politique s’est accompagné du passage de l’homme bicaméral à l’homme conscient. Les individus se sont adaptés et ont commencé à réaliser des tâches complexes sans obéir à leurs hallucinations.
D’autre part les gens s’adaptent plus facilement aux exigences de la société en mutation sous un gouvernement plus égalitaire où le contrôle et l’autorité ont été remplacés par le dialogue. L’écriture et le calcul sont apparus. Ils ont favorisé le développement des fonctions cognitives du cerveau et réduit le besoin d’obéissance. Le cycle de dépendance augmente avec le besoin de contrôle de la population. L’obéissance stricte conduit à un fonctionnement plus automatique. Les individus ont moins besoin de se prendre en charge. En fait se prendre en charge représente une menace pour le groupe social. C’est une manière d’être qui modifie le fonctionnement du cerveau au fil des générations. Il est plus difficile de contrôler les gens qui veulent gravir les échelons sociaux. L’individu doit alors se prendre en charge. Ceux qui n’y parviennent pas auront davantage tendance aux hallucinations.
Cette étape du cycle de l’évolution s’est répétée à certains égards pendant le Moyen Age. Le féodalisme est réapparu en Europe et la plupart des citoyens ont été à nouveau réduits à l’esclavage. La renaissance a été une période de démocratie relative où la société était moins dominatrice.
A l’époque actuelle, la majorité de la population mondiale jouit d’une plus grande liberté. L’esclavage est répandu mais il est moins courant et même moins admis qu’il y a 200 ans. Il y a encore des guerres, mais il y a aussi des groupes sociaux qui luttent à l’échelle des nations et des cultures pour tenter de trouver des solutions aux conflits. Les biens sont encore inégalement répartis sur notre planète (logement, nourriture, médicaments), mais là encore il y a des organismes qui travaillent pour y remédier. La science a fait de grands progrès mais elle est aussi à l’origine des armes dévastatrices et d’une grande cruauté. On a du mal à mesurer le progrès car il passe par des phases d’avancement et de recul. Il est rare qu’un temps de régression ne fasse pas suite à un temps de développement. Un pas en avant, un demi pas en arrière, et parfois il faut faire deux pas en arrière avant de pouvoir observer des changements solides.
Au fil du temps, on accorde de plus en plus d’importance à la liberté et à la responsabilité de chacun et au respect de l’individu. Ces organisations et ces nations soucieuses de respecter la liberté individuelle se sont aussi développées financièrement. La moralité et l’éthique ont ouvert la voie à des modes de fonctionnement plus civilisés, fondés sur des principes de vie.
Mais malgré les changements sensibles dans le comportement social, la structure du cerveau humain n’a pas beaucoup évolué au cours de ces derniers millénaires pour justifier de telles transformations. Que se passe-t-il donc ? Les individus et les groupes sociaux, la société, la religion, la nation, tous doivent modifier leurs comportements et leurs principes d’organisation pour s’adapter au milieu changeant.
Si on laisse les gens plus libres de s’adapter à l’environnement plutôt que de leur dicter leur conduite, les familles et les entreprises fonctionneront différemment. Oui, l’essentiel est bien de modifier le mode de fonctionnement du cerveau.
Tout cela serait impossible si le cerveau n’avait pas la capacité d’établir des interconnexions. On est capable de fonctionner autrement parce que le cerveau sait établir des connexions qui entraînent des comportements différents. C’est souvent le cas quand on réagit à des changements externes. Il faut savoir que l’homme a la capacité de modifier le réseau des connexions neuronales de son cerveau. C’est parfois spontané si on a acquis un nouveau savoir faire. Ce peut être un talent de musicien ou une intention d’action, mais l’imagerie médicale montre que les connexions se sont renforcées.
L’attention joue un rôle prépondérant car elle permet aux individus de gérer le flot d’énergie et d’informations qui envahit le cerveau. Elle favorise la maîtrise de soi. Elle est un atout que chaque génération peut développer et qui laisse son empreinte sur le cerveau.
Un cerveau primaire sait décider et réagir vite. Pas de problème jusqu’à ce que les circonstances se compliquent. Car il va falloir s’arrêter pour réfléchir. Les anciens modes de réactions peuvent ne plus être fonctionnels quand les situations se compliquent.
La partie plus primitive du cerveau peut se raccrocher aux anciens rituels. Un cerveau plus fonctionnel peut prendre conscience des différences et s’y adapter. En se sensibilisant progressivement à l’évolution des situations, l’individu puis le groupe peuvent trouver le moyen de les gérer différemment.
Avec le temps, les hommes ont du s’adapter aux exigences de l’environnement changeant. Les lobes frontaux sont essentiels à la capacité de raisonnement nécessaire pour prendre des décisions. Les individus et les groupes évoluent progressivement en conjuguant leurs premières impressions avec une approche nouvelle du monde extérieur.
Nous pouvons suivre cette évolution au cours de l’histoire. Nous ne pouvons pas malgré tout nous contenter de la survoler, nous devons l’approfondir. Mais ça vaut bien la peine de faire un effort pour identifier comment le fonctionnement humain a évolué au fil des temps. La transparence et la stabilité me semblent deux dynamiques essentielles au développement de la maturité.

La transparence et la stabilité
Le président du groupe Eurasia, Ian Bremmer, a observé comment les dynamiques fonctionnent dans un système. Dans son livre The J Curve, il identifie ces deux dynamiques interdépendantes que sont la transparence et la stabilité. Il étudie douze nations au cours de ce siècle. Son analyse sur l’essor et la chute des nations porte sur une période relativement courte, mais elle peut être utile pour prendre en compte le passé et anticiper l’avenir. Il démontre que les nations moins figées deviennent plus dynamiques et plus prospères avec le temps.

La transparence fragilise un peu, mais c’est le prix à payer. Les régimes dictatoriaux semblent plus solides que les régimes moins figés. Un évènement comme une pénurie de pétrole peut entraîner paradoxalement une politique de transparence inattendue de la part de certains pays. Songez à l’importance pour les marchandises et les services sociaux de pouvoir franchir les frontières. Les frontières doivent s’ouvrir pour pouvoir exporter le pétrole.

L’accroissement de l’énergie intellectuelle et de la liberté d’innovation augmente également le capital intellectuel. La répression et l’autoritarisme s’opposent à la liberté intellectuelle mais pour réaliser un fonds de roulement positif, les nations comptent souvent avec une plus grande ouverture. C’est l’exemple de la Chine.

Ces nations qui fuient la transparence deviennent de plus en plus rigides et de moins en moins capables de s’adapter, et c’est souvent l’effondrement politique et économique. On observe les mêmes dynamiques de fonctionnement (stabilité et transparence) dans les familles et les entreprises.

Tout au long de l’histoire, des groupes se sont formés autour de principes, comme la confiance en l’autorité ou en la démocratie. Les principes et les leaders ont été éprouvés quand ces groupes ont rencontré des situations difficiles. La transparence ou l’ouverture aident les leaders à inciter le groupe à participer davantage à la résolution des problèmes. C’est pourquoi nous voyons davantage de sociétés, de nations et de familles qui adoptent la transparence même au risque de se fragiliser un peu.

Avons-nous fait le libre choix de nos principes de vie ou nous ont-ils été inculqués ?
Les entreprises s’y prennent différemment des familles pour essayer de développer le niveau de fonctionnement des individus, mais attention aux impasses. Elles peuvent établir des classifications et répartir inéquitablement les ressources. Et c’est la porte ouverte aux difficultés relationnelles.

Les difficultés relationnelles sont la première source de stress, le premier indice de discorde dans le groupe. Sachant combien il est facile de réagir et de s’effondrer quand tout va mal, les groupes sociaux et les familles élaborent des principes et des valeurs pour favoriser un comportement moins primaire. Ces principes aident les gens à réagir de manière plus méthodique et participent ainsi à temporiser les difficultés relationnelles.

Dans les familles, on ne tapisse pas les murs avec ces principes. Ce sont des bonnes manières et des impératifs moraux et éthiques qui s’intègrent et se transmettent de génération en génération. On peut exposer les principes qui fonctionnent dans les familles, mais il faut souvent un peu de temps pour constater quelles sont les valeurs auxquelles les gens se réfèrent spontanément.

Beaucoup d’entreprises ont affiché leurs principes au mur, si je peux dire, car ils figurent dans les cahiers des charges et les descriptions de poste du personnel. Ce n’est pas une garantie que le personnel s’y conformera mais il sait ce qu’on attend de lui.

Les familles et les entreprises cherchent comment développer le travail d’équipe. Son fonctionnement relève du mystère quand on sait qu’il exige le renoncement à certaines aspirations personnelles. La théorie des jeux a démontré que la coopération est plus efficace que le comportement égoïste.

Des individus qui s’associent pour travailler ensemble peuvent réaliser des choses remarquables malgré le combat qu’ils mènent intérieurement et qui se résume en ces termes: quelle part d’énergie est-ce que je consacre à mes intérêts personnels et quelle est celle que je suis prêt (e) à abandonner pour aider les autres ?

Faîtes de votre mieux et observez comment le groupe évolue
Le changement est source d’angoisse et nous savons qu’une certaine fermeté est nécessaire pour défendre des principes quand l’angoisse monte dans les groupes sociaux. Tout est une question de fermeté émotionnelle. Il est si facile de se laisser séduire et manœuvrer par ceux que nous aimons ou respectons. Quand un individu ou un groupe nous impose de fonctionner comme il l’entend, il nous met la pression. Pensez à ce pauvre Adam qui s’est laissé influencer par Eve. Pensez à Solomon Asch et à l’expérience des traits qui changeaient de longueur en fonction du groupe. Notre perception des faits même les plus simples risque d’être faussée par notre entourage.

Mais surtout l’individu a tendance dans les situations d’angoisse à abandonner son mode de réflexion mature, sensé et objectif et à prendre des décisions dictées par la peur. C’est la partie du cerveau où siègent les émotions qui dirige.

Qu’est ce qui va donc permettre aux gens de solliciter leur lobe frontal pour adopter une approche plus scientifique et moins affective ? Une seule réponse : la prise de conscience, et un seul petit mot : non.

Bien que la partie du cerveau où siègent les émotions dirige les évènements, nous pouvons dire NON à nos réactions automatiques. Il nous suffit de les identifier. Mais c’est là que ça se complique parce que vous avez besoin de découvrir les trois générations de votre histoire, leurs dynamiques de croissance, leur sensibilité et leur réactivité avant de comprendre la forêt dans laquelle vos réactions sont enracinées.

Si nous prenons conscience des anciens mécanismes de réaction, nous quitterons plus facilement ces sentiers qui nous sont devenus habituels et trouverons la force de dire non à nos anciens modes de pensée et de fonctionnement. Nous serons plus disponibles pour mesurer sans jugement la véracité de notre façon de appréciation des choses un peu réactive.
Mais en disant non, nous commençons à démolir d’anciens schémas et à préparer le terrain pour des actions plus sensées. Et nous instaurerons peut-être même cette mystérieuse notion de liberté. En disant non, nous ferons plus facilement appel à nos principes et à notre raisonnement pour sortir de notre embrouillamini émotionnel

Chacun d’entre nous peut s’y enfoncer et ce n’est pas une expérience agréable. Quand les émotions se heurtent à la réalité, le bien être affectif peut être dangereux à long terme. Si on peut réorienter son fonctionnement sur ses principes de vie et sa réflexion, on sortira plus facilement de la jungle des émotions.

Votre réflexion se fonde-t-elle sur vos émotions ou sur la science ?
J’aime demander aux gens s’ils fondent leur réflexion sur leurs émotions ou sur une base scientifique. Posons-nous la question chaque fois que nous vivons un stress, que nous cherchons des solutions ou que notre groupe social est sous tension. C’est déjà un moyen de freiner les choses. Nous devenons plus attentifs. Nous commençons à prendre conscience des dégâts que nos réactions affectives peuvent engendrer. Quand l’angoisse monte, nous sommes dictés par les émotions. Nous voulons avoir raison et gagner ou bien nous protéger. Nous trouvons toujours le moyen de justifier nos certitudes et notre conduite.

La réflexion scientifique est souvent complexe. Si notre cerveau est envahi par les émotions et l’anxiété, il lui est impossible d’adopter une approche scientifique et encore plus de bien évaluer une situation. Mais c’est la seule méthode pour apaiser et renforcer notre cerveau et notre fermeté émotionnelle. Et nous pourrons alors lire plus facilement notre boussole.

La boussole de la pleine conscience vous permet d’examiner votre perception des choses et de dépasser votre réflexion dans les émotions pour adopter une approche scientifique. La boussole directrice vous éclairera sur le mode de fonctionnement des entreprises et vous réussirez ainsi à mieux gérer vos réactions affectives dans une entreprise et à réguler votre conduite par la réflexion.

Si les individus ne voient pas les processus émotionnels à l’œuvre dans un petit système comme le système familial, imaginez leur aveuglement dans la structure organisationnelle des GRANDS systèmes.

Pour avoir une approche plus scientifique, il faut anticiper. Avec une boussole qui vous guide dans la jungle sociale ou émotionnelle, vous pouvez faire votre travail et observer comment fonctionne votre entreprise.

On peut fonder son savoir social sur ce qu’on a appris dans sa famille. Quand nous considérons notre famille, et celle de notre meilleur ami, nous commençons à discerner les rapports qu’il y a entre les deux. Nous commençons à voir les dynamiques communes aux systèmes humains : rivalité, bouc émissaire, favoritisme et bien d’autres dysfonctionnements qui apparaissent sur un terrain de jeu social qui n’est jamais parfaitement calme. Ce sont les principaux types d’échanges qu’on retrouve dans les systèmes sociaux familiaux ou professionnels.

Par opposition aux systèmes familiaux, les systèmes professionnels ont besoin d’objectifs à long terme et doivent être transparents. Les systèmes familiaux et professionnels ont des modes de fonctionnement qui se rejoignent mais l’entreprise est la seule à devoir s’appuyer sur des principes clairement définis.

Milton Friedman applique ce concept au système économique en affirmant qu’il souhaiterait que chaque système économique collabore à une plus grande liberté politique, un meilleur rendement et un taux de rentabilité égal. Il est clair que le système exerce une influence sur l’individu et que celui-ci peut encourager l’entreprise à s’exprimer.

Les quatre points de la boussole directrice
Vous avez déjà établi votre boussole de la pleine conscience. Il est donc temps maintenant de réfléchir à la boussole directrice. Elle se fonde sur la réalité de l’entreprise : un leader doit veiller à réguler sa conduite sur ses principes de fonctionnement. Il a besoin d’identifier et de résoudre les problèmes. Et enfin il a besoin de méthodes pour définir comment rentabiliser ce qu’il veut instituer et comment évaluer les résultats.

• Le Nord : les principes, les lois, les statuts, les valeurs et les croyances
Comme l’information génétique que les cellules stockent sous forme d’ADN, la plupart des systèmes organisationnels ont des principes directeurs qui guident leur fonctionnement interne. Mais quelle est l’efficacité de ces principes ? Sont-ils mis en pratique au quotidien ou sont-ils enterrés quelque part dans un manuel poussiéreux ? Comment pouvez-vous connaître les principes directeurs quand vous arrivez dans l’entreprise? Ils peuvent être des vérités fondamentales, des lois, des statuts, des doctrines ou même des tactiques ou des modes d’action préétablis. Mais suffisent-ils à présager du bon fonctionnement du système ?
Dans les familles et les nations matures, des règles bien définies incitent souvent à la collaboration et à la responsabilité individuelle. Dans les nations, les documents historiques exposent en général les principes directeurs. (Aux Etats-Unis par exemple, les libertés individuelles sont exposées dans the Bill of Rights, la déclaration des droits.) Dans les familles et les nations immatures, il y a peu de principes cohérents. Un parent ou un leader peut dire : « Je ne suis attaché à aucune loi. J’ai toujours raison. Si tu n’obéis pas à mes ordres, je vais te punir ou te tuer. » Les familles et les entreprises s’appuient en général sur des principes mais elles ont du mal à être cohérentes. Les groupes sociaux immatures et les autres rencontrent aussi des difficultés pour s’adapter aux environnements nouveaux.
Dans The Origin of Wealth, Eric D. Beinhocker démontre que les principes qui se transforment en lois jouent un rôle prépondérant dans la prospérité d’un pays. La législation, les droits de propriété, le système bancaire bien organisé, la transparence économique, l’absence de corruption et d’autres facteurs institutionnels et sociaux ont joué un rôle bien plus déterminant dans le succès économique national.

Les défis du point Nord de la boussole sont donc : (1) Comment connaître les principes et s’y tenir quand les problèmes réels ou imaginaires font monter l’angoisse ? (2) Comment modifier les principes courants si le système ou ses membres ont besoin de changer ?

• Le Sud : les problèmes. La coopération et la transparence
Les gens s’organisent ensemble par ce qu’ils veulent que le travail soit fait. Les premiers groupes de chasseurs n’avaient peut-être pas de principes ni de mission bien établie mais ils savaient qu’il leur fallait compter sur les uns sur les autres s’ils voulaient de la bonne viande pour leur repas. Les autres espèces comme les fourmis ou les babouins ont aussi des règles informelles pour inciter à la coopération. Elle puise ses racines dans l’évolution de la vie dans la forêt.
Pour les lecteurs intéressés par ce sujet, je recommande la lecture des ouvrages de Robert Axelrod et Robert Wright. Ils démontrent que les tendances génétiques à la coopération l’emportent sur les tendances à la fraude et qu’on découvre à travers l’histoire de l’humanité comment les groupes ont cette force innée de collaborer en groupes de plus en plus grands. Tous les groupes qui veulent réussir doivent régler le problème de leur intérêt personnel par rapport à la coopération.
John von Neumann et Oskar Morgenstern, les fondateurs de la théorie du jeu ont fait la distinction entre les jeux « à somme nulle » et les jeux « à somme non nulle ». Dans les jeux à somme nulle, les gains de l’un correspondent aux pertes de l’autre. Au tennis, aux échecs, à la boxe, ce qui est gagné par l’un est perdu par l’autre. Dans les jeux à somme non nulle, les gains de l’un ne sont pas nécessairement une mauvaise nouvelle pour l’autre. Dans les grands jeux à somme non nulle, les intérêts des joueurs coïncident parfaitement. En 1970, quand les astronautes d’Apollo 13 ont cherché comment redescendre leur vaisseau spatial endommagé sur terre, ils participaient à un jeu à somme non nulle, car le résultat serait bon ou mauvais pour tous les membres d’équipage. (Ce fut un succès pour tous). Robert Wright

Beaucoup de nos conflits sont identiques à ceux de nos ancêtres. Ce sont en général des histoires de sexe, d’argent, de croyances ou de statuts qui créent des tensions dans les relations. (Rappelez-vous cette maxime de l’époque Victorienne de ne jamais parler de sexe, d’argent ou de politique à table.) On se demande semble t-il depuis bien longtemps comment gérer les différences. Les conflits éclatent au cours des repas de famille ou autour de la table ronde internationale. D’un côté on voit des familles se disputer et de l’autre des pays se faire la guerre. Les conflits éclatent à la chambre des Congrès et même dans les monastères. On tombe en désaccord sur des points de divergence minimes et c’est l’escalade de la violence. On en arrive à des divergences extrêmes et on en conclut que les autres sont inhumains. Dans son expérience de la prison de Stanford, Philip Zimbardo souligne le pouvoir incroyable du règlement de l’entreprise à encourager un comportement odieux. Des gens normaux qui obéissent à des règles leur imposant de déshumaniser les autres peuvent se laisser aller à des comportements redoutables et ignobles. C’est ce que nous voyons dans les reportages sur la dernière guerre en Irak. La prison d’Abu Ghraib est devenue une organisation barbare pour déshumaniser l’ennemi. Certains critiques de la politique étrangère des Etats-Unis ont soutenu que le comportement des gardes révélait un état d’esprit américain plus vaste et une politique d’irrespect et de violence à l’égard des Arabes.

En période de conflit, chacun part de son côté et la peur s’installe. C’est l’angoisse qui domine. Le travail collectif et la transparence n’ont plus leur place. On efface les principes de justice. La domination remplace le respect de la différence. La confiance finit par disparaître. Les individus et les groupes craignent d’être trompés ou manipulés et ils ont à juste titre beaucoup de mal à pardonner de peur d’être encore davantage trompés.
Nous apprenons beaucoup en observant la nature. Mais nous devons chercher à imaginer ce que nous ne voyons pas. Nous devons imaginer les règles qui régissent les échanges (un prêté pour un rendu, la règle d’or, le communisme, la démocratie, le capitalisme, un groupe religieux etc.) Si ces règles ne suffisent pas pour que le groupe arrive à résoudre les situations difficiles, il ne pourra pas aller bien. Autrement dit, les individus et les entreprises peuvent choisir un certain nombre de règles. Ce choix encourage différentes interactions entre les membres du groupe et dans leur rapport au monde extérieur. Nos choix entraînent des conséquences.

C’est une petite version du processus d’évolution à l’œuvre : des variations de règles qui entraînent des interactions diverses dans les groupes sociaux avec des conséquences diverses et plus ou moins favorables qui se transmettent aux autres générations.

Peut-on travailler ensemble ?
Que nous vendions des gadgets ou que nous sauvions la forêt, le problème est le même : comment nous accorder avec les autres afin de pouvoir travailler ensemble et avoir de meilleurs résultats ?

Au travail, les problèmes trouvent leur solution dans le contexte du « cahier des charges » ou des « règles de l’entreprise ». Quelque soit son nom, ce contexte oriente chacun vers la transparence et l’ouverture ou au contraire la réactivité et les problèmes majeurs. Espérons que l’objectif de la famille, du groupe ou de l’entreprise sera d’observer, admettre et traiter les problèmes à court et long terme.

Une famille mature se caractérise par sa capacité à aborder ouvertement les situations difficiles sans se voiler la face. Les intentions cachées peuvent être source d’angoisse et de dépit. Ceci étant, rien n’est plus difficile que d’aborder ouvertement les sujets épineux, et rien n’est plus important que de pouvoir coopérer sincèrement.

• L’ouest : les paradoxes, chacun de son côté, les situations relationnelles difficiles
Quand une entreprise a des principes et qu’elle a clairement défini les problèmes qui se posent, l’anxiété peut commencer à couver. Elle peut se déclencher à une extrémité ou à l’autre du système. Le moindre souci sur la manière dont le travail doit être fait peut engendrer des problèmes relationnels. Il y a par exemple un désaccord entre deux associés ou deux services. Si les responsables ne gèrent pas l’angoisse qui monte, elle va gagner l’ensemble du personnel. Chacun sentira un malaise sans trop savoir ce qui se passe. C’est comme l’enfant qui ressent le malaise des parents et qui commence à absorber l’angoisse. Puis les symptômes commencent à apparaître: on revendique, on ne fait pas du bon travail d’équipe ou on ne vient plus travailler. Si les symptômes diffèrent, leur apparition est inévitable. Conclusion : les problèmes peuvent se déclencher n’importe où. Le groupe social les perçoit et il y réagit.

➢ Les difficultés émotionnelles peuvent provoquer des réactions chez ceux qui les perçoivent.
➢ Certains individus absorbent plus l’anxiété que d’autres.
➢ Les symptômes dans un système imbriqué et conditionné semblent libérer certains individus tandis que d’autres absorbent l’anxiété, et que d’autres encore manifestent des symptômes.

Mère Nature en a décidé ainsi, même si cela nous semble injuste.
Je sais que les leaders courageux sont très sensés. Ils veulent surpasser ce mode de réaction naturel et spontané à l’anxiété. Leur secret est de ne jamais se laisser aller aux reproches, d’appréhender globalement la situation, d’être ouverts et réceptifs dans les échanges et habiles à résoudre les problèmes.

La raison et la logique devant le mur du paradoxe
Oui, l’anxiété complique par nature la réflexion. Le stress et l’anxiété réduisent la capacité de réflexion et de résolution des problèmes complexes chez l’individu moyen. Or les problèmes complexes font partie intégrante de notre mode de vie. Beaucoup m’ont demandé pourquoi l’intelligence et la logique ne peuvent pas traiter tous les problèmes. Mais nous savons qu’avec l’apparition du langage les problèmes complexes ont trouvé un autre refuge qui s’éloigne un peu de la logique : les problèmes paradoxaux.
Depuis l’entrée en scène du langage, nous devons chercher des leaders capables de gérer le paradoxe.

« Le paradoxe » se définit comme une proposition vraie et juste mais qui implique une contradiction.
Le paradoxe a une place importante dans les débats éthiques. Par exemple, la maxime « tu aimeras ton prochain » est contradictoire avec la situation de votre prochain qui s’apprête à vous tirer dessus : s’il réussit son coup, vous ne pourrez pas l’aimer. Mais si vous vous défendez ou si vous retenez son geste, on n’y verra pas un acte d’amour. On peut appeler ça un dilemme éthique. Un autre exemple, c’est la contradiction entre le commandement de ne pas voler et celui de prendre soin d’une famille que vous ne pouvez pas vous permettre de nourrir sans argent volé. (Encyclopédie Wikipedia)

Comment aborder scientifiquement ces problèmes ? Autrement dit, les individus et les groupes vivent toutes sortes de situations affectives difficiles à double sens et défiant la logique. Beaucoup de ces problèmes n’ont pas toujours des réponses faciles ni exactes.

La thérapie familiale a du se débattre avec ce problème car les familles émettent souvent des règlements qui sont taxés de paradoxaux ou de très rigides. Les parents peuvent répéter sans cesse à l’enfant quelque chose comme : tu n’y arriveras pas, tu nous inquiètes, tu ne fais rien de bien, je veux que tu restes avec moi à la maison.

On a mis au point bien des manières pour s’interposer quand les familles s’enlisent dans ce genre de situation. Certains thérapeutes ont recours au paradoxe. Ils orientent les familles vers une autre approche de leurs problèmes et leur permettent ainsi de les résoudre elles-mêmes.

Combien de leaders songent aux paradoxes ? Je ne pense pas qu’ils soient nombreux. Certains peuvent l’envisager dans une dimension intuitive et même humoristique.

Le paradoxe est d’autant plus utile que la logique et la raison sont des armes fragiles pour gérer la complexité des émotions.

Si les gens n’ont pas un mode de fonctionnement rationnel et logique, il leur est impossible de résoudre les difficultés par le raisonnement. De plus l’aspect irrationnel des problèmes émotionnels fait peur et très peu d’ouvrages abordent ces questions.

Chacun de son côté. Les risques d’une réflexion simpliste
Par contre, les gens formés à la théorie de l’entreprise ont plus de facilité à discerner que la montée de l’angoisse engendre un autre problème, l’isolement. (Après tout, il y a beaucoup d’ouvrages qui traitent de la résolution des conflits). Il est facile de voir combien on s’écarte de l’autre quand on a peur. Le voisin qu’on n’aimait pas devient celui qu’on voudrait voir en prison. Nos concurrents ne sont pas juste là pour gagner un client ou deux mais pour nous tuer. On peut même avoir du mal à résoudre les problématiques purement logiques sans entrer dans les émotions.
On peut considérer que partir chacun de son côté exige peu d’investissement. Les gens n’ont pas vraiment intérêt à chercher à résoudre les problèmes, ils en font porter la responsabilité aux autres et ça ne leur coûte rien. C’est-à-dire que tant que je pense que j’ai raison et que les autres ont tort, je reste fort et je n’ai pas de problème à résoudre. Quand l’anxiété monte dans les entreprises et les familles, on rejette la faute sur l’autre, souvent dans l’intérêt à court terme de quelqu’un.

Le danger, c’est qu’en rejetant la faute sur l’autre, on règle momentanément le problème. L’un est renvoyé, l’autre est déshérité et le reste du groupe est apaisé. Mais le système s’est affaibli. On ne sait plus ce qui a provoqué la montée de l’angoisse et des émotions. On peut souvent en conclure à un manque de transparence compensé par des individus qui jouent un rôle.

La recherche du problème et le feedback
Un leader doit être capable de déceler un problème. S’il sait détecter le type de problème qui se présente dans l’entreprise, c’est souvent grâce au feedback. Dans l’ancien système hiérarchisé, les dirigeants n’avaient aucun contact avec les points de vue et les remarques de leur personnel. On prône maintenant l’ouverture et les entreprises où chacun est autonome. Les gens sur qui repose la responsabilité de pressentir et de comprendre les problèmes sont mieux informés.

Si l’entreprise est plus ouverte, les gens qui occupent des postes à responsabilité auront maintes occasions de tirer partie d’un feedback. Celui-ci peut vous informer des difficultés que votre entreprise rencontrera et vous éclairer également sur la nature des « petits » problèmes relationnels.

Les signes de ces petits problèmes se révèlent souvent quand le personnel commence à faire du mauvais travail, à tomber malade ou à manifester d’autres types de symptômes : lenteur au travail, irritabilité, sentiment de persécution. Ces symptômes révèlent l’existence de problèmes quelque part dans le système et pas seulement dans le cahier des charges ou à la chaîne de montage ; c’est le personnel qui absorbe l’anxiété.

Oui, les problèmes génèrent l’anxiété et les relations l’absorbent. On peut comparer les gens à des éponges. Quand la tension monte, certains absorberont plus que leur dose d’anxiété, comme nous l’avons dit à maintes reprises.

Nous absorbons tous plus d’informations que nous n’en avons conscience sur l’état de notre monde. Un retard de production d’un produit, un nombre insuffisant de commandes, un manque d’argent pour la recherche, autant de choses qui peuvent brouiller les relations et engendrer l’anxiété. Ce n’est la faute de personne. Mais si les problèmes affectent les gens, ils doivent avant tout les aborder en identifiant bien le lien entre les « problèmes » et la manière dont ils y « réagissent ».

Si vous êtes un leader capable de voir à la fois comment réagissent les arbres et la forêt, vous serez mieux armé pour associer les symptômes d’une partie de la forêt (des individus) avec les problèmes et l’administration globale de la forêt (l’entreprise).

Les feedbacks nous permettent de savoir ce qui se passe partout dans la forêt. Le rôle du leader est de mesurer les faits et de prendre des décisions mûrement réfléchies en fonction des problèmes qui se présentent.

Un changement dans le leadership ou la perte d’un membre important de la famille
Je vous donne un exemple. Le problème le plus courant auquel se confrontent les entreprises et les familles c’est le changement qui survient avec le départ ou le décès d’un dirigeant ou d’un membre de la famille.

Chacun sait que le patron va bientôt prendre sa retraite et les rumeurs vont bon train. Une société peut souvent gérer les rumeurs ainsi que le stress et l’anxiété qu’elles génèrent en tenant son personnel informé de ses démarches pour trouver un nouveau responsable. Le stress retombe souvent quand on explique que le processus prendra six mois par exemple, ou que quatre candidats ont été sélectionnés pour ce poste.

Dans les familles, il est beaucoup plus effrayant d’évoquer la mort imminente de la personne qu’on aime ou de définir comment on fera face au changement qui s’en suivra. Si les responsables de la famille ne sont pas assez ouverts pour dissiper les craintes et les doutes, il y aura obligatoirement des réactions. Les enfants seront plus angoissés, leurs résultats scolaires seront en baisse et les accidents seront plus fréquents. Les parents n’iront pas bien non plus. Les disputes éclateront et une liaison n’est pas à exclure. Un des membres de la famille commencera peut-être à croire que les autres ont besoin de changer. C’est la principale réaction : espérer et souhaiter que les autres changent pour se relâcher.

A la maison ou au travail, c’est au responsable d’identifier comment l’anxiété a embrouillé les relations. Quand on est sous pression, on a tendance à transmettre son stress à l’autre. C’est l’escalade des conflits, on fait des remarques négatives aux autres et sur les autres, on tombe malade, on part ou on coupe le dialogue. C’est vrai dans les familles, les entreprises, et aussi à l’échelle mondiale, comme en témoignent les journaux.

Entrez dans les bureaux d’une société qui est sous tension et vous y serez aussitôt sensible. Si cela vous est difficile, regardez autour de vous. Les employés ont-ils l’air détendus ? Se serrent-ils les coudes ou cherchent-ils plutôt à se cacher ? Assistent-ils facilement aux réunions et sont-ils attentifs ? Si vous discutez avec eux après la réunion, prétendent-ils que le vrai problème, c’est la façon dont les autres le voient ?

Le premier signe de tension apparaît quand chacun se retire dans son coin ou commence à traiter les problèmes clandestinement. C’est un signe que le courant passe mal.

J’avais l’habitude de dire que les problèmes aidaient les gens à survivre car ils n’étaient pas seuls pour tout porter et ils pouvaient rejeter la faute sur l’autre. Et c’est vrai que nous pouvons partager les problèmes et l’anxiété qui va avec. Mais il y a des limites.

Plus le problème est lourd et plus les gens sont dans la crainte, plus ils risquent de se retrancher et de se fermer aux idées des autres. Il est temps de tirer la sonnette d’alarme quand les systèmes commencent à se fermer et qu’on ne peut plus aborder certains sujets. La tension monte. Les gens commencent à avoir des problèmes, de sérieux problèmes. Cher leader, que ferez-vous dans un cas comme ça?

Vous dîtes que vous avez essayé d’aborder ouvertement les problèmes et que ça n’a pas marché ? On entre alors dans des dysfonctionnements : on triangule, on fait semblant, on se pose en sauveteur, on contrôle, on domine, on écrase l’autre. Ce sont des modes de fonctionnement qui ne sont pas toujours faciles à identifier. Si vous demandez aux gens ce qu’ils en pensent, ils vous diront que ces symptômes ne sont que le fait du hasard, que les gens sont malades, qu’ils sont un peu claustrophobes car l’hiver a été long, que Pierre et Paul ne se sont jamais bien entendus, et rien de plus. Souvent les gens n’ont pas conscience du processus.

Ils jouent la comédie ou ne voient même pas les liens entre les évènements. C’est du déni et quand c’est le cas, il est inutile d’insister. Le feedback n’est guère utile si les gens sont aveugles.

➢ Quand un système est envahi par l’angoisse, il a besoin de quelqu’un capable de prendre du recul et d’analyser la situation.
➢ Il suffit d’une personne un peu plus calme et plus lucide pour faire baisser la tension.

Un père de famille constate par exemple que sa femme et son enfant tombent malades après la mort de son beau-père. S’il peut y voir un lien avec leurs inquiétudes inexprimées par rapport à l’avenir, il prendra des dispositions pour être plus disponible et plus patient. Sinon, il risque de se contrarier, de se mettre en colère et de reprocher à sa femme et à son enfant de lui compliquer la vie.

C’est la même chose pour le PDG d’une grande société. Un bon sens relationnel peut résoudre bien des problèmes liés à la peur. Mais c’est l’un des points les plus difficiles.

Les chefs d’entreprises et les chefs de service sont intelligents, ils identifient le problème et discernent la réponse. Ils se contentent de l’expliquer rationnellement aux personnes concernées. Mais c’est un piège. Il est si difficile de constater qu’on ne peut être efficaces qu’en dialoguant avec les gens sans essayer de les changer.

Autrefois, le patron était le maître et les employés les esclaves ; mais aujourd’hui, il doit les amener à réfléchir et à résoudre les problèmes avec bon sens. C’est une transformation radicale du mode de fonctionnement humain. Ce n’est pas inné mais c’est un changement qui exige de l’attention et du courage.

Quand les gens racontent des histoires
Les leaders rencontrent encore un autre problème : Comment cultiver de bonnes relations avec des gens qui ne savent pas être honnêtes avec eux-mêmes et avec ce qu’ils éprouvent ?

Les gens dans les entreprises jouent souvent la comédie pour éviter les affrontements. Ils ne veulent pas se dévoiler car ils s’imaginent souvent qu’ils n’ont pas le droit d’être vrais. Il y a aussi ces « méchants » toujours prêts à voler et à mentir. Ils ont une incidence sur la culture de l’entreprise. C’est difficile à croire mais nous risquons tous de nous laisser contrôler par l’entreprise dans laquelle nous sommes au risque de ne plus savoir nous orienter et de perdre notre boussole. Philip Zombardo nous a démontré comment la position sociale peut transformer des gens sensés en de véritables monstres.

Je me risquerais à dire que, dans bon nombre de grandes entreprises, le faire semblant augmente avec la position hiérarchique. La mission essentielle du dirigeant est d’essayer d’identifier qui est vrai et qui ne l’est pas. Après tout on est très motivé pour berner le patron ou pour lui lécher les bottes. Je fais parfois le parallèle avec nos tentatives de dialogue avec nos ados qui ne cherchent pas vraiment non plus à savoir qui sont leurs parents et ce qu’ils en pensent.

Faire semblant est en quelque sorte naturel. C’est le propre des hommes et des animaux. Nous avons l’impression que nos animaux nous aiment mais s’ils ont faim ou s’ils sont très contrariés, ils peuvent nous mordre. Les hommes font semblant de vous apprécier pour toucher une augmentation ou pour vous emprunter votre voiture pour sortir. C’est un comportement qui est aussi parfois révélateur d’un système fermé ou d’une peur qui grandit.

Malheureusement ce besoin de faire semblant est une réaction à la pression affective et peut aboutir à un comportement irresponsable et immature. C’est un indice que les principes de vie de l’individu ne sont pas suffisamment fondés pour l’aider à résister à la pression.
Il y a aussi les gens qui disent : « Si tu m’aimais vraiment, tu m’aimerais sans conditions. »Dans les entreprises, ça se traduit par : « Je mérite d’être bien payé, même si la société n’a pas eu de bons résultats. »

Tous ces problèmes et bien d’autres encore doivent se résoudre dans les relations. Les problèmes sérieux ne trouveront pas de solution par le licenciement ou l’absence de dialogue. C’est peut-être une stratégie efficace mais qui ne résout jamais les problèmes. Elle peut juste mettre un terme à une dynamique continuelle et inefficace. Elle peut marcher pour un temps. Les stratégies du donnant-donnant aboutissent souvent à des relations confuses tant que les choses ne changent pas.

La transparence est un antidote à la peur, si on connaît bien le manque de fonctionnement logique des systèmes émotionnels. La logique ne résout pas les problèmes quand l’anxiété est grande et que les gens se cachent derrière des barrières irrationnelles.

Il faut exercer son attention pour cultiver de bonnes relations avec les gens qui présentent différents types de problèmes. Cela demande du courage. Il faut accepter de prendre le risque d’avoir tort. Si vous devez diriger dans des situations émotionnelles complexes, prenez soin de cultiver avec les gens des relations qui apaisent leur niveau d’anxiété et qui les aident à assumer la responsabilité de leurs actes.

Nombreux sont les exemples de leaders qui ont eu à résoudre des situations relationnelles difficiles mais je pense à ce qu’a vécu Abraham Lincoln avec le Général McClellan pendant la guerre civile. Leur relation révélait un problème systémique plus large difficile à résoudre par la logique.

Est : Ce qu’il en coûte de constater les problèmes et de les résoudre
Il y a un prix à payer pour chaque solution et c’est une erreur de le négliger. Voyons comment les leaders et les entreprises matures en évaluent le coût.
D’abord, comment le leader réunit-il les indices annonciateurs des problèmes ?
Le feed-back joue un rôle vital. Si vous voulez savoir si un produit de votre société se vend aux quatre coins du monde, adressez-vous aux vendeurs. Si la réponse est négative, vous pouvez vous demander si le problème vient de l’article ou de la manière dont il est vendu.
Si ça ne suffit pas, demandez-vous si le problème ne vient pas du système de distribution. La cause d’un problème se révèle en général en fonction des données sauf s’il s’y ajoute une dimension affective. Je pense que les leaders regardent souvent les données sans prendre en compte cette dimension. Le feed-back permet de comprendre ce qui pose problème et de trouver la meilleure solution possible. Il peut aussi indiquer ce qu’il en coûte pour le résoudre. Vous pouvez faire un essai, que ce soit un produit ou une idée, et évaluer les réactions en temps réel. Si elles semblent indiquer que le produit est utile, vous pouvez rassembler les fonds pour en fabriquer ou en acheter davantage. Si le produit est bon mais que le marché réagit peu, vous pouvez consacrer du temps et de l’énergie pour mieux le faire connaître ou recycler les vendeurs.
Les entreprises semblent donc tirer profit du feed-back pour leurs opérations plus concrètes. C’est dans le domaine des problèmes à long terme et du fonctionnement humain que le feed-back est moins performant, soit parce que les entreprises s’y dérobent ou qu’elles ne savent pas identifier les problèmes émotionnels.
Quand les gens n’ont pas de feed-back sur le coût dans le temps de certains fonctionnements à court terme, ils ne savent pas très bien l’évaluer. Ce n’est pas très grave si par exemple une société fait de économies à court terme en déversant des produits chimiques dans la rivière, mais c’est avec le temps que ses résultats financiers s’en ressentiront.
Et de même que les parents qui ont du mal à dire « non » à l’enfant finissent par céder à un comportement de moins en moins acceptable, les entreprises et les nations peuvent aussi avoir du mal à évaluer l’impact à long terme des changements d’attitudes réguliers et progressifs.
Le plus préoccupant, c’est quand une société, une entreprise ou une famille discernent un problème sans pouvoir le résoudre parce que les intérêts à court terme s’opposent aux intérêts à long terme.
Comment mieux faire comprendre que les solutions faciles et immédiates peuvent entraîner des catastrophes à long terme ?

Quel est le prix à payer et quel est le problème ?
L’aveuglement aux conséquences à long terme est plus évident quand on n’a pas conscience du danger. Le leader qui regarde aux résultats à court terme s’expose à davantage de risques. Si un leader peut dire qu’il y a un problème et qu’on ne connaît peut-être pas toute la solution mais qu’on va essayer de la trouver, le groupe prend conscience du problème sans se sentir pour autant désarmé.
En plus de cela, les groupes qui vivent des situations de stress risquent bien de chercher surtout à plaire aux autres. C’est une attitude très classique qu’on a observée à maintes reprises quand les sociétés ont fait faillite ou que les groupes sociaux se sont effondrés.

Le besoin de soutien et d’approbation peut éradiquer les doutes et l’esprit critique, bercer d’illusions, pousser à un accord prématuré et finalement à une décision désastreuse. La psychologie de groupe et la réflexion de groupe peuvent fonctionner pendant plusieurs années.
Jared Diamond
Comme nous l’avons vu, résoudre les problèmes consiste en grande part à comprendre les répercussions des relations humaines sur ces derniers. L’un des plus grands défis consiste à essayer de percer un peu le mystère de ces relations pour analyser ce qui se passe. Ce n’est pas tâche facile de comprendre que les déclarations contradictoires peuvent être vraies et que la réflexion de groupe influence la perception.
Ceux qui sont capables d’identifier les problèmes sont ceux qui ont la responsabilité de se lever et de faire face aux situations difficiles. Ce n’est pas facile. Ces individus prévoyants se mettent dans des situations difficiles. Ils affrontent le rejet et la dérision et prennent le risque de se faire exclure du groupe. Mais s’ils peuvent avoir une approche à la fois affective et plus générale des problèmes, l’entreprise ou la nation seront plus conscients et plus aptes à faire face aux difficultés et à les gérer.
Si ces leaders sont suffisamment fermes pour ne pas réagir aux vagues de la critique, ils pourront créer par la suite des réseaux relationnels capables de travailler ensemble et beaucoup moins réactifs. Je n’exagère pas en soulignant combien c’est difficile à réaliser et combien ça en vaut la peine.

Murray Bowen et son huitième concept
Murray Bowen a commencé il y a 35 ans à étudier les liens existants entre les dynamiques familiales et la vie dans un groupe quelconque. Il a commencé par observer les similitudes entre les familles et les sociétés dans leur manière de traiter les problèmes avec circonspection, bien conscient des pièges qu’il y a à vouloir généraliser à partir d’un nombre de faits trop restreint.

En 1972, le gouvernement de l’Agence de la Protection de l’Environnement lui a demandé de présenter un article sur les réactions de l’homme aux problèmes environnementaux. En se penchant sur le sujet pendant une année, il a commencé à étendre sa théorie sur la famille au processus émotionnel social dans son ensemble. Il pouvait constater que les sociétés et les familles géraient de nombreux problèmes affectifs de manière pratiquement identique.

Voici un exemple : Les parents disent à leur adolescent : « Si tu es arrêté pour conduite en état d’ivresse, nous n’irons pas te tirer d’affaire. » Cela paraît clair. Il y a un règlement et le jeune en est informé. S’il est arrêté pour conduite en état d’ivresse, les parents ont le choix de s’en tenir à leur décision ou de céder en lui portant secours et en lui prouvant leur incohérence.

Mais il est difficile de s’en tenir aux règles et aux principes quand les émotions s’en mêlent. Disons par exemple que la règle des parents est la suivante : « Tu dois aller à l’école. » Si l’enfant refuse, on peut réagir dans les émotions. L’enfant peut menacer de se blesser et les parents n’oseront pas insister. L’école se préoccupe du souci des parents et délègue un précepteur pour l’enfant (qui est à la charge de l’administration locale).

Un tel doute se présente toutes les fois que les parents ont la double responsabilité d’écouter l’enfant et d’exposer des règles et des principes que celui-ci doit suivre. Le doute de la famille se transmet comme un fardeau au groupe élargi.

Selon Bowen, un acte qui se fonde sur la peur est un problème émotionnel.

Les décisions prises dans les émotions auront souvent un effet apaisant immédiat sur la peur ou le doute mais elles engendrent des problèmes à long terme et une dégradation progressive des principes établis. Bowen a observé que les gens qui vivent une grande anxiété sur de longues périodes sont pratiquement incapables de se laisser guider par leur réflexion et leurs principes de base. Ils assument de moins en moins la responsabilité de leurs actes, leurs pensées se laissent progressivement dicter par leurs émotions et il ne sont plus guère capables de réfléchir méthodiquement.

Par exemple, les parents finissent par céder aux exigences de leurs enfants pour se sentir mieux. (Souvent c’est l’un des parents qui cède plus que l’autre). Ces parents ont été pendant un temps sensibles et fidèles à leurs principes de vie, mais avec la montée de l’anxiété, ils ont préféré céder plutôt que de se battre en disant « NON, je ne permettrai pas ça » ou « Si tu continues, je te prive de sortie pendant une semaine. »
Bowen a constaté que les familles confrontées à de sérieux problèmes comme celui de la délinquance chez l’enfant avaient cédé pendant des années à la « permissivité ». Il a remarqué aussi que ces familles se fondaient de moins en moins sur leurs règles de vie et leurs valeurs. Les membres d’une famille ou d’une société mature sont responsables de leurs actes mais cette dimension a tendance à disparaître dans les familles et les sociétés à problèmes.

Ces observations ont amené Bowen à développer le huitième concept de sa théorie systémique familiale. Il l’a appelé « la régression sociale ». Ce concept affirme que lorsqu’une famille a vécu une angoisse chronique et prolongée, elle commence à perdre le contact avec les principes qu’elle a adoptés et à prendre de plus en plus de décisions sous l’effet des émotions afin de soulager son angoisse. C’est un processus qui finit par occasionner des symptômes et une régression vers un niveau inférieur de fonctionnement.

La régression ou l’aveuglement : l’importance de donner un nom
Je me suis demandé si ce terme de « régression sociale » ne suffisait pas pour tuer la curiosité de ce processus. Bowen aurait peut-être eu besoin de conseils en marketing mais il fonctionnait comme ça. Il avait pensé également au titre de « processus émotionnel dans la société » pour indiquer qu’il y a des périodes où la société se comporte progressivement en adulte et d’autres où elle a plus de mal à assumer la responsabilité des problèmes. (En psychologie ; le terme de régression exprime un retour à une ancienne dynamique comportementale ou affective moins mature.)

Bowen a émis l’hypothèse que tous les systèmes émotionnels, la famille, la société et la nation, gèrent l’angoisse de manière analogue. La seule différence selon lui, c’est qu’ils sont engagés dans un processus qui intègre aussi la nature.

Selon lui, l’angoisse chronique serait la conséquence de « l’explosion démographique, de la disparition progressive des sources de matières premières nécessaires au maintien de la vie et de la pollution de l’environnement qui menace l’équilibre nécessaire à la survie de l’homme. » Il en a conclu qu’il était encore plus difficile pour les hommes de gérer leur relation avec la nature que leurs relations entre eux. Il avait découvert quelque chose ! Nous commençons actuellement à le constater avec le réchauffement climatique pour lequel la société découvre progressivement sa part de responsabilité.

Bowen a constaté qu’à la survenue des problèmes dans une famille, les demandes de soutien et d’aide entraînaient souvent un affaiblissement du système familial. Quand les relations entre parents et enfants se dégradaient, il y voyait les premiers signes d’une régression familiale. La confusion sociale sur l’équilibre entre les droits et les devoirs reflétait selon lui un processus analogue dans la famille nucléaire.

L’effort pour aborder de façon rationnelle les processus subtils en jeu dans la société a poussé bien des gens à baisser les bras en désespoir de cause. Mais d’autres ont essayé d’élargir les anciens modes de pensée. Nous n’avons pas de mal à identifier les processus prévisibles dans la nature (les cycles des saisons, les cycles de croissance) mais c’est beaucoup plus difficile dans nos vies. Cependant, nous pouvons élargir notre regard en observant d’autres formes de vie.

Il faut du temps pour que l’humanité change sa façon de penser. Il a fallu beaucoup de temps pour que les gens admettent que leurs problèmes affectifs les « tirent » d’autres problèmes et qu’ils cessent de jeter la faute sur la méchanceté ou la maladie de l’autre. Mais c’était précisément ce vers quoi tendait Bowen. Il voulait s’orienter vers un mode de pensée systémique pour que la psychiatrie abandonne son regard étroit sur la maladie mentale de l’individu et s’ouvre à une approche plus globale des problèmes affectifs dans les systèmes relationnels. C’était tout à fait logique pour lui car les problèmes émotionnels des humains sont aussi prévisibles que ceux des autres formes de vie. Après tout, les chiens et les chats sont bizarres aussi.

Bowen a constaté que les difficultés relationnelles des hommes sont à l’origine de la majorité de leurs problèmes. « Les problèmes émotionnels proviennent des relations des hommes entre eux, et notre personnalité est grandement déterminée par ce que nous vivons avec les autres. »

Il soutenait que si le développement émotionnel des hommes et des autres formes de vie est progressif, nous sommes à l’apogée d’une réforme de la psychologie. Les contacts de la psychiatrie avec les autres sciences reconnues seront plus solides et le fonctionnement humain sera mieux compris.

Orienter les gens vers un autre mode de pensée
Je suis toujours curieuse de voir comment les leaders mettent leurs idées en pratique. Dans le cas du Docteur Bowen, j’ai eu la chance de pouvoir recevoir son enseignement et enregistrer ses échanges avec les étudiants et le corps enseignant. J’ai découvert comment il amenait les gens à la réflexion pendant mes études en troisième cycle universitaire. Après avoir été engagée au Centre Familial, j’ai commencé à enregistrer la plupart des cours de Bowen pour les étudiants de master. Bowen insistait beaucoup sur la manière dont nous menons notre réflexion. (Rappelez-vous l’opposition entre la pensée scientifique et la pensée émotionnelle). Je l’observais quand il était face à la marée de jeunes thérapeutes désespérés et qu’il cherchait comment les guider vers une vue d’ensemble de la forêt au lieu de les laisser se focaliser sur un arbre particulier.

Il avait l’art de manier le paradoxe dans ses questions pour guider les gens hors du chemin étroit de la pensée linéaire. Les idées surprenantes et ambiguës qui suivaient les questions non conventionnelles offraient d’autres ouvertures aux gens pour résoudre les situations problématiques ou pour voir les choses différemment. Bowen disait par exemple à quelqu’un qui se plaignait de son conjoint ou de son travail : « Qui connaît la forêt en se focalisant sur un seul arbre ? » Il sous-entendait que le problème n’était peut-être pas la personne ou le travail, mais la famille ou l’entreprise. Ou encore « Qui peut se préoccuper uniquement de la forêt sans faire attention à l’arbre ? » Un autre indice : Peut-être qu’en réfléchissant à ce qui est le mieux on évite aux individus de subir un échec. Les gens peuvent prendre leurs propres décisions s’ils savent ce que signifie être un arbre dans une GRANDE forêt. On peut par exemple rester dans une société sans réaliser qu’on risque de perdre sa place si elle fusionne. Seul le responsable de la société peut présenter les deux côtés de la pièce.

Elever les gens à autre niveau.
Si les étudiants revenaient à leurs problèmes conjugaux ou professionnels, Bowen avalait une gorgée de café, allumait une cigarette et demandait : « Quelle différence faîtes-vous entre la pensée causale et la pensée inductive ? Qu’est-ce qui différencie la théorie systémique générale de la théorie systémique familiale ? Qui parmi vous a lu Gregory Bateson ? Que vous enseigne la cybernétique sur la famille ? Quel rôle jouent les mathématiques dans le développement de la science du comportement humain ? Comment Freud aurait-il abordé la maladie émotionnelle s’il avait vraiment lu Darwin?

Comment réagissez-vous à ces questions ? Pour moi, la pensée émotionnelle est naturelle tandis que la pensée scientifique exige beaucoup d’efforts.

Ce que j’ai compris au contact de Bowen, c’est que nous avons besoin de consolider la partie du cerveau où siège la réflexion pour mieux contrôler les processus et les réactions plus émotionnels et plus automatiques.
Cela peut prendre des années d’entraînement. J’avais l’habitude d’appeler cette discipline ma réflexion personnelle, en observant comment je réagissais. Plus je prenais du recul pour regarder s’affronter mon système émotionnel et mon système intellectuel et plus cela m’amusait. Mon système émotionnel remportait des points, et mon système intellectuel aussi. Ils avaient juste besoin d’un peu de temps pour comparer les résultats et régler quelques différences.

J’ai appris comment structurer ce que je croyais et où j’en étais (mes sentiments et ma réflexion logique) et j’ai pu affronter mes anciens schémas et même les figures d’autorité avec un peu plus de sérénité et de fermeté.

Ce processus est valable pour chacun d’entre nous. Ce que nous apprenons intellectuellement, nous devons le vivre dans nos systèmes émotionnels.

Nous pouvons travailler comme des bêtes pour mettre de l’ordre dans notre réflexion logique mais nous devons encore ensuite gérer nos réactions émotionnelles au groupe social ainsi que sa réaction à notre égard. C’est alors que nous saurons contrôler nos réactions émotionnelles pour aborder un problème par la réflexion.

Je pourrais vous raconter plein d’histoires pour illustrer combien il est facile de prendre des décisions basées sur les émotions. Mais ce n’est pas l’objet de ce livre. Je veux que vous compreniez bien le contexte global de l’être humain. Pensez à ceci. Il y a dans votre cerveau un circuit qui mène au centre des émotions, l’amygdale, qui s’active à la moindre menace. Pour apaiser cette menace et l’anxiété qu’elle génère, vous devez activer d’autres circuits et surtout la connexion à l’hippocampe qui implique la mémoire. Le souvenir peut apaiser et orienter la réaction émotionnelle. Vous êtes sur la bonne voie. Une part de votre cerveau associe l’évènement présent et l’évènement passé et réagit dans les émotions tandis que l’autre peut faire appel à la mémoire et rétablir la vérité. La peur s’apaise et vous pouvez alors analyser le contexte global.

Adopter une position paradoxale
C’était en 1978. Mon grand père Walter Maher se mourait d’un cancer. Il avait 87 ans et avait choisi d’habiter chez moi plutôt que d’aller en maison de retraite. Je lui avais promis qu’il pourrait rester aussi longtemps qu’il voudrait. Je travaillais à l’époque dans un hôpital psychiatrique et je faisais souvent partie de l’équipe de nuit. J’avais engagé des aides à domicile mais un jour il est tombé et s’est blessé. Mes deux frères ont commencé à dire que notre grand père n’était pas en sécurité chez moi. Ils avaient peut-être raison et j’aurais pu en discuter avec eux, mais j’étais incapable de prendre du recul par rapport à la situation. Je savais que c’était une question de savoir qui était responsable de quoi. Ils voulaient qu’il parte en maison de retraite. Mon rôle était de les sensibiliser à la responsabilité de leur point de vue au lieu de céder à leur bon vouloir. Il me fallait répondre par un paradoxe.

Quand j’ai compris cela, je leur ai simplement dit : « Demandez lui s’il veut partir avec vous, ou attachez-le et emmenez-le en maison de retraite si c’est ce que vous voulez. » Autrement dit, je leur ai permis de faire ce qu’ils voulaient, mais seulement dans des conditions irréalisables (mon grand-père refuserait d’y aller) et inacceptables (qui l’aurait emmené de force quelque part ?)

Ils ont cédé. Ils ont compris qu’ils ne voulaient pas prendre cette responsabilité. Ils voyaient aussi que cela ne servait à rien de me menacer. Mais ils ont continué à penser que j’avais tort de ne pas voir qu’on pouvait résoudre le problème en le mettant dans une maison de retraite. Les paradoxes ne résolvent pas les problèmes.

D’un autre côté, je voyais que la disparition prochaine de mon grand père et ses conséquences généraient une anxiété et une panique chez mes frères. Ce n’était pas un problème personnel. Je voyais à la fois la forêt et les arbres. J’ai dit en quelque sorte à mes frères : « Vous pouvez assumer votre part de responsabilité dans cette forêt si vous en avez le courage. Mais je ne vous laisserai pas m’obliger à céder à ce que la panique vous dicte. Je tiendrai la promesse que j’ai faite à mon grand-père. »

J’aurais pu faire aussi la grande sœur autoritaire : « Je sais ce qui est le mieux et vous n’avez rien à dire. » Il y a un grand pas à franchir pour aller de la relation maître/esclave (la grande sœur a raison) à la pensée paradoxale et à la dé triangulation.

Tout ce que j’ai fait dans cette situation aurait pu semer le trouble chez certains, mais c’était le fruit d’années de réflexion sur la responsabilité de soi et le travail de libération des autres.

La science et le raisonnement inductif
Cette histoire s’applique t-elle au monde de l’entreprise ? Je pense que oui, car les relations et les situations émotionnelles difficiles font partie de notre cheminement dans la forêt sociale. Le raisonnement inductif nous dit qu’une histoire est un cas particulier mais elle peut malgré tout révéler des cycles répétitifs. Nous pouvons dire par exemple que tous les cubes de glace sont froids parce que nous en avons vu un qui était froid. Mais le raisonnement inductif n’assure jamais qu’on pourra généraliser une observation précise. Même si tous les cygnes que nous avons vus sont blancs nous ne pouvons pas dire pour autant qu’il n’en existe pas des noirs. Nous devons faire une place à l’exception.

Les médecins s’appuient sur le raisonnement inductif pour classer leurs données quand ils sont à la recherche d’indices pour effectuer leur diagnostique. Le raisonnement inductif nous aide à découvrir des dynamiques. On a reproché cependant à ce type de raisonnement d’être trop général et inapte à proposer des réponses qui s’adaptent à tous les cas.

D’autres scientifiques ont appliqué le raisonnement inductif et les mathématiques pour identifier les concepts et les principes qui fonctionnent dans un domaine et les appliquer à d’autres. Par exemple, Norbert Wiener (1894-1964) et d’autres ont découvert que le feedback (ou rétroaction) était un régulateur qui opérait dans bien des domaines différents. D’où le développement du champ interdisciplinaire de la cybernétique. Et en 1936, le biologiste Ludwig von Bertalanffy (1901-1972) a employé le terme de théorie générale des systèmes pour définir son objectif de trouver un cadre commun pour identifier les lois et les principes applicables à de nombreux systèmes. Il pensait qu’avec un cadre commun, les scientifiques pourraient mieux communiquer et partager leurs découvertes. « Il semble légitime de chercher une théorie non pas de systèmes plus ou moins particuliers mais de principes universels qui s’appliquent aux systèmes en général. »)

Vous avez le choix. Nous avons besoin d’examiner différents points de vue pour résoudre les problèmes complexes. Mais la diversité n’est utile que dans certaines conditions et les concepts doivent être fondés.

Les enseignants par exemple devront toujours veiller à amener les étudiants à une réflexion personnelle. Ce n’est pas facile de les encourager dans ce sens car ils veulent avoir de bonnes notes et par conséquent mettre par écrit ce que leurs professeurs attendent. Il y a là un danger pour l’avenir de la liberté de pensée et des divergences de points de vue.

Bowen avait de nombreuses cordes à son arc pour guider les gens vers une réflexion personnelle. Le jour où une de mes patientes lui a exprimé devant moi son vif intérêt pour le travail que nous avions fait ensemble, Bowen l’a regardée et lui a dit : « Pourquoi ne vous contentez-vous pas de croire tout ce qu’elle vous dit ? » Poussée à trouver une réponse à cette question surprenante, ma patiente a commencé à identifier plus clairement ce quelle croyait et ce qu’elle ne croyait pas. Elle assumait ses responsabilités et je suis devenue moins problématique.

Bowen était aussi implacable avec les thérapeutes qui ne savaient pas très bien comment se situer dans l’univers psychiatrique. Etaient-ils au clair avec leur conception du fonctionnement humain ? Bowen provoquait des émotions pour confronter leur réflexion. Un jour par exemple il pouvait se mettre en colère si vous ignoriez le fondement des différentes théories psychiatriques. J’ai compris aussi en voyant Bowen comment on peut tirer partie des émotions pour inciter les gens à adopter un mode pensée scientifique.

Si Bowen revenait pour vous poser des questions, vous exprimeriez bien sûr vos convictions personnelles.
Même s’il ne revient pas, votre patron ou votre conjoint sont probablement belle et bien là pour vous demander d’avoir des connaissances spécifiques et des réactions prévisibles. Vous devriez donc maintenant être prêts pour votre patron ou votre conjoint (e), prêts à rester fermes dans vos convictions même si il ou elle est dans les émotions. Et j’espère que vous serez suffisamment courageux pour faire face à ceux qui veulent savoir où vous en êtes. Vous pouvez aussi vous attendre aux critiques de votre conjoint, vos enfants et vos amis, et bien sûr de vos collègues de travail quand vous exprimerez votre façon de penser ou que vous essaierez simplement de rester vous-mêmes.

Bien sûr, personne ne peut résoudre un problème émotionnel en énumérant les faits d’un argument intellectuel. Non les faits seuls ne suffisent pas pour orienter dans une direction différente l’individu ou le groupe qui traverse une tempête émotionnelle, même s’il s’agit simplement d’une petite crise affective ou d’une situation embarrassante. Les expériences de Solomon Asch et d’autres sont là pour nous le rappeler. Il est tout à fait possible de jeter un sort affectif à ce qu’on appelle l’analyse rationnelle en balayant la pensée et le fonctionnement logique.

C’est une des raisons pour lesquelles on a élaboré la boussole de la pleine conscience. Si les capacités qu’elle vous a permis de développer vous ont équipé pour rester vous-mêmes, la boussole directrice vous aidera à vous concentrer sur un certain nombre de variables dans les systèmes élargis. Cela vous aidera à comprendre où va votre entreprise et à mieux vous positionner dans le processus en cours.

A vous de jouer. Le leader et le message émotionnel
Nous avons bien examiné ce que signifie se préparer au leadership, apprendre à voir la forêt et à établir des rapports avec les arbres. Voyons maintenant ce que nous pouvons en tirer. Quand un leader doit par exemple prendre une décision puis l’annoncer, son message laisse obligatoirement transparaître l’état d’esprit dans lequel il se trouve. Il peut faire sa déclaration sur un ton convaincant et ajouter « Il est inutile de me poser des questions. » Il peut aussi prendre un ton inquiet ou dire « Il y a de quoi avoir peur. »

Après chaque intervention présidentielle, les médias analysent ce type de message chargé d’émotions. Et qui d’entre nous n’a pas ri d’un politicien qui cherchait à expliquer ce qu’il voulait vraiment dire ? Le politicien s’efforce d’être clair, conscient qu’il n’a peut-être pas bien mesuré la portée de ses propos et de ses actes. Il a aussi des conseillers et des gens qui écrivent ses discours. Arrêtez-vous donc un instant et réfléchissez combien il est difficile d’être « vrai » quand on a un message important à transmettre.

C’est un problème universel. Peu importe la formation et l’éducation que nous avons reçues, nous restons câblés. Ce qui signifie que nous sommes conditionnés à réagir les uns aux autres comme si nous vivions encore en tribus. En cherchant à détecter chez nos leaders s’ils sont en train d’innover des changements ou de s’orienter dans une autre direction, nous réagissons à leur manière de communiquer, qu’elle soit authentique ou pas.

Les messages et les initiatives des leaders ne sont pas simplement une indication stérile. Ils peuvent avoir des effets sur l’ensemble du système et souvent en modifier les dynamiques. Ces points critiques peuvent être des faits peu importants mais qui sont de puissants révélateurs.

Je n’ai pas d’autre réponse facile à ce problème que de réaliser combien il est difficile d’être authentique devant un public. C’est aussi un challenge pour l’auditoire de discerner l’authenticité de l’orateur. Mais que vous soyez l’orateur ou l’auditoire, c’est dans ces circonstances que vous verrez le fruit de votre travail pour devenir un leader digne de ce nom et un soi autonome.

Des modèles de leadership et leur coût.
S’ils ne mesurent pas ce qu’il en coûte sur le plan affectif de résoudre les problèmes, les leaders auront du mal à voir les choses avec réalisme et à acquérir la fermeté nécessaire pour traiter les situations complexes qui s’y rapportent.

L’ouvrage du célèbre biogéographe Jared Diamond, L’effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition et de leur survie, nous présente différents types de leaders qui n’ont pas saisi l’impact à long terme de leurs décisions. L’un de mes exemples favoris est tiré de l’histoire du Groenland.

Le Groenland a été colonisé au 10ème siècle par les Vikings bien décidés à conserver leur culture Scandinave au lieu de s’adapter à leur nouvel environnement. Ils ont réussi à conserver leur culture et pourtant ils sont morts de faim 450 ans plus tard. Les indigènes y vivaient depuis de nombreux siècles mais les Vikings ont refusé d’apprendre quoi que ce soit des Inuites.

Quel était le problème ? D’abord, les Vikings avaient une société hiérarchisée, ce qui signifiait que les responsables et les chefs religieux étaient propriétaires de la plus grande partie du pays et contrôlaient le commerce. Ensuite, ils n’étaient pas préparés aux changements climatiques sévères. C’est peut-être une bonne idée de s’obstiner à investir dans la construction d’églises quand le climat est tempéré. Et on peut comprendre qu’ils aient méprisé des indigènes qu’ils avaient dominés. Après tout, il est difficile de respecter des gens qu’on peut commander, même s’ils ont réussi à vivre pendant 700 ans sur une île glaciale. Il aurait pu paraître logique de mépriser les outils et les inventions des Inuites et de les considérer simplement comme des curiosités « du pays ». Mais les Vikings ont vraiment été stupides de refuser de manger du poisson et de préférer leurs moutons et leurs vaches.

Quand le froid est apparu entre 1400 et 1420, les bateaux ont cessé de circuler au Groenland. Le dernier évêque du Groenland qui avait été nommé par l’église Norvégienne a été congédié et n’a pas été remplacé. Sans figure d’autorité, il était devenu impossible de maintenir l’ordre social et les habitants de l’île réduits à la pauvreté se sont attaqués aux forteresses des riches. Il n’y avait finalement plus personne pour diriger le peuple. C’était la loi de la rue et l’extinction finale.

Ce n’est qu’en 1576 que les Européens sont retournés sur l’île et ils n’ont trouvé aucune trace des Vikings. Ces derniers avaient totalement disparu. On craignait que les esquimaux les aient anéantis mais en fait ils étaient devenus incapables de se prendre en mains et de gérer l’environnement. Ils sont morts de faim en s’obstinant à vouloir garder leurs vieux principes.

Le rôle des croyances pour les leaders
Chaque principe implique une certaine conviction, et comme les Vikings nous pourrions tous nous laisser piéger par nos illusions au lieu de les soumettre à notre réflexion logique. Nous pouvons nous demander quel regard nous portons sur nos convictions et sur leurs effets sur les facultés d’adaptation et de survie du groupe.

J’aime beaucoup les réflexions de David Sloane Wilson sur l’émergence et la croissance des groupes. Il a étudié comment divers systèmes religieux ont subsisté ainsi pendant des milliers d’années parce qu’ils semblaient faire du bien au groupe. Wilson, l’auteur de Darwin’s Cathedral, indique comment les convictions d’un groupe peuvent inciter à un comportement adaptatif. La religion est, dit-il, le fruit d’une évolution culturelle issue d’un processus de sélection de groupe. La religion est en soi une adaptation de tout un groupe. Il est prouvé que certains groupes religieux ont eu des systèmes de croyances qui les ont aidés à survivre au cours de l’évolution.

Quelque soit l’arrière plan religieux de l’individu, les croyances énoncent des principes qui lui permettent de comprendre le monde et de s’y adapter. Freud considérait par exemple que la religion était pure duperie et qu’il fallait la combattre. William James est arrivé à la conclusion que les croyances religieuses aident notre esprit à discerner la vérité. Nous pourrions peut-être en conclure qu’une réflexion sérieuse a besoin à la fois de croyance et de scepticisme.

Le président Lincoln et le Général McClellan
Quand j’ai lu Team of Rivals de Doris Kearns Goodwin, j’ai été frappée de voir comment le Président Lincoln a su collaborer avec les autres et vivre en accord avec ses convictions. Les hommes ne vivaient guère plus de 45 ans à l’époque. Les femmes mouraient souvent en couches et le taux de mortalité chez les enfants était très élevé. Les gens de l’époque devaient peut-être leur extraordinaire force intérieure aux épreuves qu’ils vivaient et à leur courage pour les surmonter. Il est clair que Lincoln avait été bien éprouvé sur le plan affectif en perdant sa mère à l’âge de 6 ans et sa sœur quand elle en avait 19.

Mais il avait eu la chance d’avoir un père qui lui racontait des histoires et il avait l’habitude de réfléchir profondément au sens des mots. L’un de ses amis d’enfance écrira plus tard : « Il savait qu’il était exceptionnellement doué et qu’il avait un grand potentiel. Il prenait spontanément en mains la responsabilité des garçons. Il lisait et relisait ses livres pendant que nous jouions. Il avait toujours une position d’avance sur nous et il était notre guide et notre chef. »

Tout le monde connaissait ses convictions personnelles et sa position politique par rapport à la guerre civile mais il devait être prudent quand il évoquait ses espoirs pour la nation. Même s’il était persuadé que l’esclavage était une pratique immorale monstrueuse, elle restait légale dans certains états. Ses efforts pour trouver un compromis afin d’épargner à la nation une terrible guerre témoignent de sa faculté d’adaptation aux lois de l’époque. Il savait apprécier ce qui était possible et agir avec sagesse. Son approche du leadership se fondait sur des principes. On pourrait dire qu’il devait un aspect de sa grandeur à son approche de la situation à la fois plus réservée, moins idéaliste et plus lucide.

Bien que Lincoln ait eu l’esclavage en horreur, il savait qu’il avait besoin pour son leadership de s’entourer de gens qui n’étaient pas de son avis. Il ne voulait donc pas imposer aussi catégoriquement ses convictions à la nation, même s’il était persuadé que l’esclavage était injuste. L’Union allait être préservée mais les esclaves ne seraient pas des hommes libres, du moins pas encore.

En Février 1861, les Etats Confédérés se sont constitués en grande partie pour protéger l’esclavage en tant qu’institution légale. Le 4 Juillet de la même année, Lincoln a prononcé devant le Congrès son fameux discours stipulant que la guerre était « un combat du peuple… une lutte pour maintenir dans le monde cette forme et ce pouvoir du gouvernement dont l’objectif est d’élever la condition de l’homme… » Le Congrès a lancé ensuite un appel au recrutement de 500 000 hommes.

Le 21 Juillet, l’armée de l’Union commandée par le général Irvin McDowell a subi une terrible défaite à Bull Run à environ 26 kilomètres au Sud-Ouest de Washington. Lincoln a compris que la guerre serait longue.

Le 27 Juillet, Lincoln a nommé le Général McClellan à la tête de l’Armée de l’Union. Mais celui-ci n’a pas emmené ses troupes au combat. Il a dit qu’il avait besoin de temps. Lincoln a compris que l’objectif final de la guerre serait la victoire et il a compris aussi que McClellan devait trop aux Sudistes pour remporter la victoire. La relation entre les deux hommes en a été entachée et personne ne savait qui était responsable de quoi.

Le 20 Février 1862, le fils bien-aimé de Lincoln, Willie, est mort à la Maison Blanche. Ce drame l’aurait-il endurci à la mort des hommes au combat ? L’aurait-il incité à déclarer les hostilités ? Personne ne sait, mais peu de temps après la mort de Willie, Lincoln a fait transférer le centre de commandes de McClellan sur le sien. Il était ainsi directement relié aux commandants des escadrons et il a averti les troupes qu’il était maintenant le commandant en chef responsable de la mobilisation. Lincoln avait vraisemblablement pris sa décision de transfert du centre de commandes après en avoir calculé les coûts et les bénéfices et il était prêt à payer le prix de sa décision. Son inaction lui avait déjà coûté cher car certains disaient qu’il avait été trop patient et qu’il n’avait pas su prendre à cœur son rôle de commandant en chef.

Comme dans bien des situations de ce genre, ces deux hommes n’étaient pas d’accord. Leurs différends ont été tenus secrets jusqu’à ce que le leader qui était déterminé à prendre des mesures en accord avec ses principes finisse par se démarquer. Les relations tendues entre les deux hommes et leurs orientations politiques divergentes se sont traduites par une peur croissante de la mobilisation pour la guerre. Une famille, une société, ou même une nation donc, peuvent adopter ce mode de fonctionnement affectif pour défendre leurs convictions.

La dimension affective des problèmes

Il est nécessaire d’être un observateur attentif pour saisir la dimension affective profonde des problèmes. Notre mode de fonctionnement affectif n’évolue pas avec les progrès de la civilisation. La montée de l’angoisse dans le monde actuel renforce l’incertitude, et il en a toujours été ainsi. Nous avons beaucoup d’exemples. Les menaces qui pèsent actuellement sur l’environnement sont peut-être nos plus grandes sources de stress. Les scientifiques ne sont pas d’accord sur les mesures à prendre et certains ne voient même pas le problème (beaucoup finissent quand même par changer d’avis). En outre, on n’arrive pas à définir qui doit faire quoi ni qui en paiera le coût. Ces questions sans réponse augmentent l’angoisse et nous avons plus de mal à prendre des mesures à long terme.

On trouve bien d’autres exemples dans le monde actuel. Le taux de pauvreté est en hausse dans de nombreux états du Moyen-Orient et le pays est en guerre. On assiste aussi à une forte poussée démographique des jeunes de moins de 30 ans. Et des troubles éclatent chez les primates quand les adultes mâles sont en nombre insuffisant pour gérer leur progéniture. Si on y ajoute la diminution du nombre des femmes en âge de se marier dans de nombreux territoires d’Asie, l’avenir est encore plus inquiétant.

Les générations à venir participent à l’augmentation de l’angoisse. Voici un autre exemple : Même si nous avons assez d’essence verte (et ce n’est pas forcément le cas), son utilisation est source de problèmes. Il semblerait d’après les scientifiques que l’augmentation de l’asthme chez les enfants et de certaines maladies de cœur et des poumons chez les adultes soit due à la pollution et à d’autres polluants provenant de la combustion de l’essence verte.

Nous sommes tous confrontés à long terme à des problèmes systémiques complexes. C’est un sujet difficile à résoudre. Par conséquent, la montée de l’angoisse engendre les conflits et les relations deviennent délicates. Nous avons donc vraiment besoin qu’un leader digne de ce nom se lève et prenne la situation en mains.

Le Docteur Bowen a sa façon bien à lui de nous ramener à l’essentiel, à la nature humaine. Il nous a démontré concrètement comment nous sommes façonnés et prisonniers de notre histoire. Il a su mettre en évidence le lien entre notre façon d’être actuelle et notre évolution sur des millions d’années. Est-ce à dire que nous pouvons encore faire des découvertes sur nos systèmes élargis en observant comment se vivent aujourd’hui les relations dans les petites cellules familiales? Cela ne fait aucun doute. Nous ne faisons que commencer à effleurer la faculté de l’homme à comprendre sa façon d’être en groupes. C’est un travail qui remonte à moins de 100 ans.

Quatre points pour conclure

(1) Même si ce sont des principes fondamentalement rationnels, ils ont toujours besoin d’être mis en pratique par des gens qui ne sont pas toujours très logiques. Pour observer et comprendre à la fois les individus et les entreprises, il est impératif de comprendre l’intérêt que les gens accordent aux principes et comment ils les mettent en pratique.
(2) Si, comme ce fut le cas pour Lincoln, le leader discerne que certains principes sont ne contradiction avec d’autres, il doit s’investir pour élaborer des réseaux de relations qui l’aideront à résoudre ces conflits afin d’appliquer ou de modifier les principes si nécessaire.
(3) C’est le rôle du leader de bien comprendre le besoin de changement indispensable à la qualité de communication et de fonctionnement du groupe.
(4) Les leaders doivent se démarquer légèrement du groupe tout en veillant sur les intérêts de celui-ci. Les leaders matures semblent capables de se tenir à l’écart. Ils sont sensibles à la fois au mode de fonctionnement affectif et intellectuel du groupe social.

Je formule l’espoir que vous preniez en compte votre Boussole directrice et votre boussole de la pleine conscience afin de mieux prendre votre avenir en mains.
Votre cheminement vers la connaissance de soi passe par votre capacité à réfléchir sur votre propre histoire et à y voir plus clair. C’est ainsi que vous saurez plus précisément où vous en êtes et ce que vous allez faire et ne pas faire.

J’espère que ces outils vous aideront à y voir plus clair. Nous emprunterons tous des chemins sinueux. Nous sommes façonnés par notre passé et nous façonnons un peu notre avenir. C’est vous qui décidez de votre avenir, alors prenez du bon temps avec vos problèmes ! C’est aussi ce que je m’apprête à faire.